Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à l’écrivaine Kim Thúy.

Le Québec est partout.

Ou plutôt, partout où je vais, la culture québécoise est omniprésente.

Comme des millions de touristes, j’adore visiter le Japon. C’est pourquoi je me suis embarquée un jour dans l’avion, sans me préparer, pour une invitation à Tokyo par l’Association japonaise des études québécoises. Je me suis retrouvée dans une salle de classe universitaire en plein cœur de cette fascinante mégalopole. À ma grande surprise, devant de nombreuses rangées étroites de longues tables, le premier professeur japonais a présenté pendant une heure dans un français impeccable son travail sur la nordicité de la langue de Gaston Miron. La deuxième, tout aussi rigoureuse, a analysé la ponctuation phraséale d’Anne Hébert. La troisième a enchaîné avec la féminisation des titres. L’après-midi a continué au même rythme avec la même curiosité pour la littérature québécoise.

Le lendemain, j’étais invitée devant une classe de plus de 100 étudiants inscrits à un cours consacré uniquement au Québec. Ensuite, à Kanda, une ville située à environ une heure de train de Tokyo, quelques étudiantes d’un autre cours sur la culture canadienne anglophone et québécoise sont venues me saluer en me montrant fièrement leur t-shirt du restaurant La Banquise où elles avaient mangé des poutines à 3 h du matin.

À New Delhi, le professeur Alex Noël m’a reçue dans sa classe de littérature québécoise alors qu’à Bombay (Mumbai), la professeure Dre Vidya Vencatesan a prolongé notre rencontre dans ma chambre d’hôtel accompagnée de quelques-unes de ses étudiantes. Une autre professeure à Jaipur revient régulièrement au Québec avec son mari et son fils pour se replonger dans une culture qu’elle enseigne avec affection et attachement depuis une dizaine d’années.

En Roumanie, à Iase, une ville près de la frontière avec la Moldavie, une longue conversation suivie d’un long repas où plusieurs ont partagé leurs livres québécois préférés enrichis souvent de citations et d’anecdotes qui venaient renforcer leurs liens et amour inconditionnels pour ce lieu où vivaient une cousine, un frère, une tante.

Au Salon du livre à Kyiv avant la guerre, les livres qui se vendaient le mieux à ce moment portaient des noms québécois : Le poids de la neige de Christian Guay-Poliquin et plus d’un livre de Larry Tremblay. En Allemagne, India Desjardins accompagne les jeunes alors que Michel Jean rejoint la gauche et la droite en passant par le centre. De plus de 60 000 nouveaux titres sortis en France chaque année, Antoine Desjardins s’est taillé une place de choix dès son premier livre, tout comme Kevin Lambert, pour n’en nommer que deux.

Le Musée de la poésie à Édimbourg a une section de recueils de poèmes de nos poètes et poétesses québécois les plus illustres alors qu’une salle en plein cœur de l’Université de Pékin (Beijing) était réservée aux livres québécois, uniquement. En 2023, le prix Dublin Literary Award qui ne considère que les livres proposés par des bibliothécaires de 80 pays a retenu 70 livres. Dans cette liste prestigieuse, TROIS écrivaines québécoises se retrouvent.

J’ai été témoin de tant de discussions animées et intéressées en privé ou devant public à propos de notre façon de faire et de réfléchir à Varsovie, à Suzhou, à Bruxelles, à Bangkok, à Brême, à Taipei, au Wisconsin, à Bogotá, à Reims, à Mantova, à Mexico, dans le Périgord, à Princeton, à Angoulême, à Madison, à Genève… J’ai arrêté de compter le nombre d’étudiantes et d’étudiants en maîtrise et au doctorat qui mentionnent dans leurs thèses et mémoires Marie-Claire Blais, Michel Tremblay, Louis Hémon, Dany Laferrière, Naomi Fontaine, Hubert Aquin, Michel Marc Bouchard, Joséphine Bacon…

Pourquoi la voix du Québec est-elle si convoitée ? Si écoutée ? Si répandue ?

Ma réponse s’est révélée peut-être autour d’un café à Vernon où les gens venant des cinq continents ont avancé l’idée que la liberté est aux États-Unis ce que l’égalité est à la France. Dans cet élan, ils m’ont demandé quelle serait l’enseigne du Québec. Comme il fallait réduire à un mot, j’ai choisi l’humilité. L’humilité de ne pas penser que le modèle québécois de liberté et d’égalité est unique ou que nous ayons toutes les réponses, bien au contraire. Nous avons la soif d’apprendre. Nous traversons les frontières physiques et culturelles avec l’ouverture des aventuriers et la politesse des pèlerins.

Nous forgeons notre identité collective en accueillant les réflexions des uns, en écoutant les coutumes des autres, en embrassant d’aplomb l’inusité et l’innovation. Nous nous permettons la liberté des intuitions et l’audace des envies. Nous avançons avec la ferveur des curieux et la débrouillardise des patenteux, tout en gardant le calme et le respect des bienveillants.

Peut-être que mes collègues m’ont trouvée quelque peu chauvine, mais ils ont tous acquiescé avec enthousiasme, exprimant même le souhait que l’humilité à la québécoise devienne contagieuse.

À vrai dire, je me donne le droit d’être tranquillement fière. Nous sommes 8 787 554 personnes à marcher bras dessus, bras dessous avec une force tranquille et résiliente. Nous sommes 8 787 554 à recevoir le monde entier dans nos bras avec une assurance tranquille et profonde. Nous sommes 8 787 554 à semer à tout vent notre identité québécoise avec une humilité tranquille et ancrée, grandiose.