Demandes d’asile au Canada

mineur et seul à la frontièRE

Le nombre de mineurs non accompagnés qui arrivent à la frontière a augmenté cet été. Mais le phénomène n’est pas nouveau. Voici l’histoire de Sami, qui a fait l'ultime pari de quitter son pays à 16 ans à l’insu de sa famille, l’an dernier, en quête d’une vie meilleure.

UN DOSSIER D’HUGO PILON-LAROSE

De Bagdad à Montréal

KIRKLAND —  — Sami* a 17 ans. Il étudie en sciences au cégep, travaille à temps partiel dans un Tim Hortons, suit des cours de salsa et rêve de devenir médecin. La vie normale et rangée d’un adolescent ambitieux qui vit chez sa tante dans l’Ouest-de-l’Île. Or, il y a à peine plus d’un an, le jeune homme recevait des menaces de mort chez lui, à Bagdad, puisqu’il affichait sur Facebook sa vision libérale du monde. Il a tout quitté sans le dire à personne.

Au petit matin du 25 juillet 2016, le téléphone a sonné à la résidence de Moafaa Salman et d’Eman Ali. Quand ils ont répondu, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada leur a demandé s’ils connaissaient un enfant nommé Sami.

« On était sous le choc », se rappelle Mme Ali.

Sami est leur neveu. Un jeune garçon « discret et intelligent », disent-ils, qui se décrit comme un féministe et qui leur a toujours posé beaucoup de questions sur le Canada lorsqu’ils le voyaient lors de leurs voyages en Irak.

« Le garçon, je ne sais pas où il a pris toutes ses idées. Il est vraiment plus progressiste que la société dans laquelle il vivait. Sa mère avait toujours peur que des gens le tuent en raison de ce qu’il écrivait sur les réseaux sociaux », raconte M. Salman.

Un jour, à l’école, des inconnus sont venus lui parler devant ses camarades pour lui faire comprendre qu’il devait cesser d’afficher ses opinions politiques sur les réseaux sociaux. Plus tard, on s’est à nouveau attaqué à lui et à sa famille en vandalisant leur maison.

Sa professeure d’anglais lui a expliqué : « Si tu n’arrêtes pas, tu mets ta vie et celle de ta famille en danger. »

Quand on lui a offert en juin 2016 d’aller en voyage éducatif aux États-Unis avec un petit groupe d’élèves, Sami a accepté. Un matin, après avoir voyagé avec ses camarades de la Caroline du Nord à l’État de New York, il est parti sans le dire à personne avec un sac sur son dos. Arrivé à une gare routière, il a pris un billet d’autocar en direction de Montréal.

À 16 ans, seul à la frontière, parlant à peine l’anglais et pas du tout le français, il a regardé la douanière dans les yeux et lui a dit : « Je demande l’asile. »

Un phénomène qui prend de l’ampleur

L’histoire de Sami n’est pas unique. Depuis toujours, des enfants se présentent chaque année à la frontière canadienne sans parents ni tuteurs et demandent l’asile. On les appelle des « mineurs non accompagnés ».

Lorsqu’ils arrivent au pays, les douaniers appellent les intervenants du Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile (PRAIDA) du CSSS de la Montagne, à Montréal. Rares sont ceux qui sont envoyés au centre de détention pour immigrants à Laval. Lorsqu’ils le sont, explique-t-on à l’Agence des services frontaliers du Canada, ce n’est que pour quelques jours, car on craint pour leur sécurité.

Selon la direction du PRAIDA, le nombre de mineurs non accompagnés a augmenté ces derniers mois au Québec, passant de deux nouvelles arrivées en mai à huit 8 en août et encore huit en septembre. Entre avril et septembre 2016, le PRAIDA avait traité le dossier de 23 mineurs non accompagnés, comparativement à 28 dossiers pour la même période en 2017.

Cette demande, sensiblement plus forte qu’à l’habitude, a mené la direction du programme à augmenter le nombre de travailleurs sociaux qui accueillent les enfants pour déterminer leurs besoins et leur « famille d’entraide », c’est-à-dire un proche ou un membre de leur communauté culturelle qui peut les accueillir.

« Ils sont vraiment aidants », estime Mme Ali, tante du jeune Sami, qui est toujours épaulée depuis l’arrivée-surprise de son neveu par les intervenants sociaux du PRAIDA.

Un choc pour tout le monde

Pendant que sa tante et son oncle allaient le chercher à la douane, en juillet 2016, ses cousins et cousines se sont précipités dans un magasin de rabais pour acheter des drapeaux canadiens et décorer la porte de la maison.

« Tout le monde pleurait. C’est quelque chose qui n’arrive que dans les films. »

– Une cousine de Sami

La douanière aussi peinait à contenir ses émotions, racontent Eman Ali et Moafaa Salman.

« La femme à la frontière était très gentille. Après que Sami lui a dit qu’il demandait l’asile, elle est restée avec lui jusqu’à notre arrivée. Il avait l’âge de son fils. Elle lui a donné de la nourriture, lui a dit de prendre ça "relax" et qu’on viendrait le chercher. Tout le monde était en état de choc », se rappelle Mme Ali.

Arrivé à la maison, Eman Ali a appelé la mère de Sami. Elle ignorait tout du plan qu’avait préparé son fils en cachette.

« Ce qu’il voulait, c’était vivre en paix. C’est ça qu’il s’est mis dans la tête quand il a cherché comment se rendre à Montréal depuis New York. Quand nous avons appelé ma sœur [la mère de Sami], elle n’arrêtait pas de pleurer et de répéter : "Mais qu’est-ce qu’il a fait ?" J’ai dû lui répéter qu’il avait pris la bonne décision », se remémore Moafaa Salman.

Le prenant par le bras, Mme Ali a montré au jeune Sami le mur de son salon rempli de diplômes.

« Je lui ai dit : "Considère-moi comme ta mère, même si je ne le suis pas. Tout ce que j’ai fait pour mes filles et pour ma famille, je le ferai pour toi. Nous allons travailler pour ton avenir. Tu vois tous ces diplômes ? Ce sont ceux de mes enfants. Un jour, tu auras toi aussi ton diplôme sur ce mur" », dit-elle fièrement.

*Puisqu’il s’agit d’une personne mineure, nous avons choisi ce prénom fictif afin de maintenir son identité confidentielle.

Tous enfants, tous différents

Certains viennent ici seuls avec un visa et choisissent de ne plus partir. D’autres voudraient bien retourner chez eux, mais le déclenchement d’une guerre les force à demander l’asile. Parfois, ce sont des familles qui se mobilisent pour sortir leur enfant de la violence et trouvent une route qui le mène au Canada. Les mineurs non accompagnés qui arrivent au pays partagent l’espoir d’une meilleure vie, mais ils ont des passés bien souvent uniques. Entrevue avec Ylenia Torres, travailleuse sociale et chef d’équipe à PRAIDA, le programme qui leur vient en aide au Québec.

Y a-t-il eu une augmentation du nombre de mineurs non accompagnés qui se sont présentés à la frontière entre le Canada et les États-Unis ces derniers mois ?

Au début de la vague des demandeurs d’asile, on n’avait pas remarqué une augmentation de mineurs non accompagnés (MNA), mais depuis, tranquillement, on le voit. Il existe deux types de MNA : ceux qui arrivent seuls à la frontière, souvent âgés de 16 ou 17 ans, et ceux qui arrivent accompagnés d’un membre de leur famille, comme une tante ou un oncle. Dans ces cas-là, nous travaillons en soutien avec la famille, que l’on appelle « la famille d’entraide ». Nous les aidons et les accompagnons pour fournir à l’enfant tous les services dont il a besoin, des rendez-vous médicaux aux processus d’immigration à l’inscription à l’école.

Mais si l’enfant arrive seul ?

À ce moment-là, pour un enfant qui n’a pas de membre de la famille au Canada, nous faisons vraiment une prise en charge complète et nous lui trouvons un toit avec le Centre jeunesse de Montréal. Nous assumons également tous les frais de séjour de l’enfant et nous l’accompagnons dans son dossier d’immigration.

D’où viennent majoritairement les mineurs non accompagnés ?

C’est souvent représentatif des conflits que l’on retrouve dans le monde. Nous avons, par exemple, beaucoup d’enfants du Burundi qui étaient déjà au Canada avec un permis d’études ou un visa de voyage et qui n’ont pas pu retourner dans leur pays lorsque la situation politique s’est détériorée. En 2010, nous avons reçu beaucoup de mineurs non accompagnés en provenance d’Haïti, en raison du tremblement de terre [qui a dévasté le pays]. Puis, nous avons beaucoup de mineurs qui arrivent de pays arabes où le groupe armé État islamique et des groupes djihadistes kidnappent les enfants pour en faire des soldats. Il n’y a donc pas un seul pays qui est producteur de mineurs non accompagnés. Ils viennent d’un peu partout dans le monde.

Les enfants qui arrivent ici sont déracinés de leur famille et de leurs repères. On peut facilement imaginer que plusieurs ont besoin d’un soutien particulier.

Dans certaines situations, les mineurs non accompagnés qui arrivent ici se trouvaient dans des camps de concentration pour enfants soldats. Ils réussissent alors à s’échapper avec l’aide de gens qui ont payé pour leur fuite. Avant d’arriver au Canada, ils ont vécu la torture et des traitements cruels. Ils gardent alors certaines séquelles. D’autres enfants arrivent au pays sans avoir vécu de traumatisme. Une petite fille peut avoir été envoyée au Canada, par exemple, par sa mère qui a appris que son oncle voulait la marier de force ou pratiquer sur elle l’excision. Il faut vraiment prendre le temps de les évaluer et d’offrir tous les services essentiels qui leur sont appropriés.

Note : Les réponses ont été abrégées et adaptées pour faciliter la lecture.

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