Des inconnus « s'improvisent » importateurs de cocaïne
Le crime organisé a non seulement profité de la pandémie de COVID-19, il s’est aussi adapté et a un peu changé.
« Maintenant, des Québécois se rendent dans des pays producteurs ou exportateurs de cocaïne et nos agents de liaison nous demandent : “C’est qui, ces gars-là ?” On leur répond qu’on n’en a aucune idée », lance Patrick Daoust, superviseur et analyste en renseignement criminel à la Division C (Québec) de la Gendarmerie royale du Canada (GRC).
Depuis la pandémie, les corps de police, que ce soit la GRC, la Sûreté du Québec ou le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), constatent qu’il y a de plus en plus d’individus inconnus de leurs services « qui s’improvisent » importateurs de cocaïne.
Ils se rendent dans les pays du Sud pour effectuer des transactions, ou exploitent une « porte » (une personne ou un groupe capable de faire entrer la drogue au Canada) qui leur permet de cultiver le corridor Toronto-Montréal.
L’arrestation de trois Québécois à la fin janvier au Pérou pourrait être un exemple de cette nouvelle tendance, croit la police.
« On assiste à une démocratisation des importations, des jeunes qui veulent devenir prolifiques un peu comme dans les téléréalités. Je pense qu’il n’y a pas un groupe qui ne fait pas, ou qui ne tente pas de faire, des importations aujourd’hui. »
— Patrick Daoust, superviseur et analyste en renseignement criminel à la Division C de la GRC
« Ce sont des gens qui sont moins influents au sein du crime organisé sur le plan stratégique, mais qui sont très importants pour les groupes criminels », renchérit sa collègue Julie-Anne Moreau, aussi analyste en renseignement criminel.
Selon M. Daoust, beaucoup d’importations sont maintenant payées en cryptomonnaie et cela pourrait concorder avec le fait que l’on retrouve des importateurs improvisés plus jeunes, rompus à ces nouvelles technologies qu’ils ont à portée de main, dans leur téléphone par exemple.
Toutefois, la volatilité récente des cryptomonnaies pourrait peut-être inciter les importateurs à retourner vers des méthodes de financement et de transferts d’argent plus traditionnelles.
Coke en stock
Au début de la pandémie, un kilogramme de cocaïne s’échangeait à 85 000 $ à Montréal, en raison de la rareté causée par la fermeture des frontières.
Aujourd’hui, le prix du kilogramme de cocaïne est d’environ 28 000 $, car tout ce qui a été bloqué durant des mois a fini par entrer dans la province, explique la GRC.
« La hausse des prix au début de la pandémie a été causée par la fermeture des frontières et par le fait que les échanges commerciaux ont été arrêtés pendant une longue période. Ensuite, les marchandises se sont remises à entrer à un rythme effarant et les contrôles douaniers ont peut-être diminué, parce que la marchandise devait entrer. »
— François-Olivier Myette, sergent à la Section du renseignement criminel de la GRC
Les organisations ont donc accumulé de grandes quantités au moment où les importations se sont poursuivies, principalement à partir du Mexique, et surtout par voie terrestre, faisant ainsi en sorte que l’offre est devenue très importante.
La GRC affirme que, pour compenser et faire plus d’argent, des groupes criminels établis au Québec s’impliqueraient maintenant dans des exportations vers l’Europe et l’Australie, où le kilogramme de cocaïne s’échange respectivement à plus de 40 000 $ CAN et à plus de 300 000 $ US.
Infiltration commerciale
En temps normal, pour importer de la cocaïne, le crime organisé simule des transactions commerciales et fabrique de fausses factures pour justifier l’envoi d’argent, et la quasi-totalité de l’argent sale servant à financer les importations sort alors du pays.
Mais avec la fermeture des frontières et la suspension des transactions commerciales, le crime organisé montréalais s’est retrouvé avec des capitaux à blanchir et devait avoir accès à des comptes bancaires pour faire des transactions.
« Et s’il retourne à la base, le crime organisé qui est ici et qui veut réinvestir son argent, il fait quoi ? S’il ne peut plus investir dans d’autres commodités et qu’il veut importer des pays sources, il fait quoi ? Il se tourne vers ce qui se trouve autour de lui : les commerçants en difficulté à Montréal ou ailleurs », décrit le sergent François-Olivier Myette.
Durant la pandémie, M. Myette et ses collègues ont observé ce que le sergent appelle une « ozarkification », en référence à la télésérie américaine Ozark dans laquelle le personnage principal achète des commerces locaux pour blanchir de l’argent sale.
Après mars 2020, la GRC a observé des membres du crime organisé montréalais prendre le contrôle de petites entreprises en faisant à leurs propriétaires légitimes « des offres qu’ils ne pouvaient refuser » : ils investissaient une somme supérieure à la véritable valeur de la société tout en demandant aux propriétaires de continuer à gérer leur entreprise avant que celle-ci soit fermée, une fois que la manœuvre n’était plus nécessaire.
Autre exemple : les criminels développaient un intérêt soudain et éphémère dans un marché virtuel qui leur était totalement inconnu.
« Pour blanchir son argent, le crime organisé s’est tourné vers le commerce de proximité, vers les petits marchés locaux, et a profité des gens et des entreprises à statut précaire pour faire des acquisitions massives d’entreprises de toutes sortes. »
— François-Olivier Myette, sergent à la Section du renseignement criminel de la GRC
« On a vu des personnes dans l’entourage de gros acteurs du crime organisé, des prête-noms, faire l’acquisition d’actifs de manière importante. Tout à coup, quelqu’un arrive de nulle part et se retrouve à la tête d’une trentaine d’entreprises de cette nature-là, avec aucune connaissance, sans fonds pour le faire, et dont les fonds proviennent de quelque part », poursuit François-Olivier Myette, selon qui le crime organisé s’est également tourné vers l’acquisition d’immeubles durant la pandémie.
Le retour des maisons de jeu
Des études récentes indiquent que la clientèle des jeux en ligne a explosé durant la pandémie.
Sans avoir de chiffre à l’appui, la GRC croit que la mafia montréalaise, qui contrôle les paris sportifs illégaux en ligne, en a sûrement profité elle aussi.
Avec la fermeture des établissements licenciés en raison des mesures sanitaires, les maisons de jeu clandestines ont poussé dans la région de Montréal durant la pandémie, provoquant même des conflits pour le contrôle des territoires.
« Il y avait des maisons de jeu illégales partout sur le territoire de la grande région de Montréal, contrôlées par tous les groupes, pas seulement les plus importants, mais aussi les gangs de rue. »
— Julie-Anne Moreau, analyste en renseignement criminel à la Division C de la GRC
Les joueurs qui ont fréquenté ces endroits ont eu besoin de liquidités et la GRC affirme que des guichets automatiques illégaux se sont retrouvés dans ces maisons de jeu, tout comme des machines à sous qui échappaient au contrôle de Loto-Québec.
Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.