Chronique

La mémoire de Félix

Jeudi, ça faisait 25 ans que le grand Félix Leclerc est allé accrocher ses souliers au paradis. De plus, en 2014, on célébrera le 100e anniversaire de la naissance du poète de La Tuque.

J’espère qu’on va nous bombarder d’hommages, d’émissions spéciales et de spectacles-concepts. Gens du showbiz, ne vous retenez surtout pas. Pour une fois, trop ne sera jamais assez. Il faut que tout le Québec soit remis en contact avec cette œuvre qui fut le big bang de la chanson québécoise. C’est l’occasion idéale de rappeler aux nouvelles générations que Félix n’est pas seulement un nom de trophée, il est avant tout le nom de notre identité artistique.

Découvrir l’œuvre de Félix Leclerc, c’est comprendre l’âme de notre peuple. Sa force, sa poésie, sa simplicité et son courage. Ses chansons sont immortelles parce qu’elles existent de façon naturelle  : une voix et une guitare. Pas besoin d’échantillonnages, de remix ou de synthétiseurs. Des cordes tendues sur du bois, la façon la plus intemporelle de faire de la musique, des troubadours jusqu’à Ed Sheeran.

Ses textes aussi sont indémodables parce qu’ils racontent les sentiments et les batailles qui habitent l’homme depuis la nuit des temps. Une diversité de sujets montrant le grand rayonnement de ses intérêts.

Le p’tit bonheur

Le bonheur perdu...

Mon bonheur a fleuri

Il a fait des bourgeons

C’était le paradis

Ça s’voyait sur mon front

Or un matin joli

Que j’sifflais ce refrain

Mon bonheur est parti

Sans me donner la main

J’eus beau le supplier, le cajoler, lui faire des scènes

Lui montrer le grand trou qu’il me faisait au fond du coeur

Il s’en allait toujours la tête haute, sans joie, sans haine

Comme s’il ne pouvait plus voir le soleil dans ma demeure

***

C’est en écoutant cette chanson, enfant, que j’ai compris la détresse des gens. Et que dire de ces vers scellant le grand amour. Il n’y a pas d’image plus belle....

Dialogue d’amoureux

Lui  : Quand je te détesterai

Pour que tu le voies bien

Quand je te détesterai

Je mettrai ma casquette

Elle  : Quand je ne t’aimerai plus

Pour que tu le voies bien

Quand je ne t’aimerai plus

Je me ferai des tresses

Lui  : Depuis cette entente, ma mie porte chignon

Elle  : Et lui, à tous les vents il marche tête nue

***

Félix, c’est aussi l’engagement social...

Les 100 000 façons de tuer un homme

Je reviens aux sentiments premiers

L’infaillible façon de tuer un homme

C’est de le payer pour être chômeur

Et puis c’est gai dans une ville

Ça fait des morts qui marchent

***

Et politique...

L’alouette en colère

J’ai un fils dépouillé

Comme le fut son père

Porteur d’eau, scieur de bois

Locataire et chômeur

Dans son propre pays

Il ne lui reste plus

Qu’la belle vue sur le fleuve

Et sa langue maternelle

Qu’on ne reconnaît pas

***

Félix s’est exprimé sur tout ce qui importe. C’est notre Confucius. Le plus grand sage du Québec. Il n’est pas seulement le patriarche de la chanson d’ici, il a mis au monde plein de chanteurs à travers toute la francophonie.

La chanson française, telle que nous la connaissons, est née d’un couple de deux hommes  : Trenet et Félix. Trenet, c’est la chanson heureuse, la chanson piano, la chanson soleil. Le fou chantant est l’influence des Montand, Bécaud, Sardou... Félix, c’est la chanson tourmentée, la chanson guitare, la chanson lune. Le chanteur canadien, comme on l’appelait en France, est l’influence des Brassens, Moustaki, Cabrel.

Heureusement que sa fille Nathalie Leclerc a consacré sa vie à la survie de son œuvre en créant l’Espace Félix-Leclerc sur l’île d’Orléans. En 2014, montrons-lui que nous sommes tous ses frères et sœurs en fêtant nous aussi notre paternel.

Cet été, nous avons déjà eu droit à un hommage musical aux Francofolies et à un défilé inspiré des chansons de Félix au festival Juste pour rire. Heureuses initiatives, il faut les multiplier durant la prochaine année, pour que chaque Québécois s’enrichisse de son héritage.

Peu importe l’époque, pour supporter le difficile et l’inutile, il y aura toujours les chansons de Félix.

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