Cadeaux de Noël

Vers lʼinfini, et plus loin encore…

Dur, dur d’éviter la rencontre entre nos petits et les cahiers à dessins de Dora, les locomotives Thomas le train et les petites voitures des Bagnoles. À la télévision, à l’épicerie, à la pharmacie, dans les grandes surfaces, les yeux surdimensionnés des personnages accrochent le regard des enfants et les attirent comme des aimants. Et pourquoi, d’ailleurs, pourrait-on avoir l’idée de priver nos bambins d’un moment de plaisir lorsque celui-ci ne coûte que 12,99 $ ?

Développer et entretenir l’ʼimaginaire

La psychologue et enseignante en éducation à l’enfance Michelle Perreault croit que les parents doivent faire preuve de jugement, car « les produits dérivés suggèrent des images fortes aux enfants ». Grâce aux films dont ils sont issus, les cowboys, les robots et autres héros sur quatre roues viennent avec un mode d’ʼemploi très précis : des amis, des ennemis et un scénario bien ficelé. « Il ne faut pas oublier que c’est justement par le jeu que les tout-petits acquièrent leurs connaissances et développent leur imaginaire », affirme la psychologue. « Je crois quʼil est sain de se demander ce que les enfants apprennent en reproduisant les agissements des super-héros ou des princesses de Disney. Est-ce si utile pour bien fonctionner dans la vie de tous les jours ? Est-ce que le fait de jouer avec des personnages plus neutres ne permettrait pas aux enfants d’user davantage de leur imaginaire pour imiter certaines situations de leur vie et ainsi parfaire leurs connaissances de cette réalité ? »

Cette préoccupation n’est pas nouvelle. Dans les centres de la petite enfance et dans les autres milieux de garde, les éducatrices sont généralement encouragées à mettre à la disposition des enfants des jouets et du matériel en phase avec leurs goûts et leurs intérêts, certes, mais surtout qui encouragent la créativité. « Je dis souvent à mes étudiantes que le jouet parfait est un cul-de-poule. On peut y cuisiner, s’en faire un chapeau, un instrument de musique, y cacher des objets… », explique Michelle Perreault. De même, on suggérera aux futures éducatrices d’offrir des feuilles blanches pour le dessin plutôt que des images tracées à colorier.

Tout est dans la mesure

Paradoxalement, c’est à la garderie que naît parfois la passion des enfants pour les personnages de dessins animés. « Jules est resté avec moi à la maison jusqu’à deux ans et demi. Son père et moi ne l’avions pas surexposé aux films d’animation commerciaux et aux personnages de dessins animés, car cela ne correspond pas à nos valeurs », se rappelle Ann-Marie. Peu de temps après son entrée en garderie, Jules était devenu une véritable encyclopédie vivante des Bagnoles. « Même si le local de son éducatrice contenait des jouets de toutes sortes, les pairs de notre fils avaient des t-shirts et des casquettes sur lesquels étaient reproduits des personnages de Cars. Ils ont eu vite fait dʼinitier Jules et, visiblement, ça lʼa beaucoup impressionné. »

Dix-huit mois plus tard, la liste pour le père Noël du petit va comme suit : un vaisseau spatial comme Buzz ; des Spiderman ; des jouets de Dora ; des camions. « Évidemment, il désire plusieurs jouets de type produit dérivé, remarque Ann-Marie. Cela dit, même si nous voulons faire plaisir à notre fils, nous croyons qu’il est important de varier les plaisirs en continuant de lui proposer des jouets plus génériques. »

« Corporations are raising your kids »

La psychologue Michelle Perreault est aussi mère de deux enfants. « Il y a quelque temps, jʼai vu le documentaire dʼHelena Norberg-Hodge The Economics of Hapiness. Il y a cette phrase dans le film qui dit : “Corporations are raising your kids” [les entreprises élèvent vos enfants]. Ça m’a frappée de plein fouet. À ce moment-là, j’aurais voulu empêcher tous les produits de Disney et d’autres entreprises américaines d’entrer dans la maison. Je n’y suis pas arrivée. »

De l’aveu de la professionnelle, la solution réside dans la bonne mesure. « Si l’enfant exprime clairement le souhait de posséder tels jouets et que ceux-ci lui sont strictement interdits sans que ses intérêts et ses goûts soient validés, il est possible quʼil se sente rejeté dans ce quʼil est comme personne, dans son unicité. » Elle soutient par ailleurs que lorsque les choix des parents sont bien expliqués, cela peut faire en sorte que l’enfant soit exposé à d’autres types de jouets qui lui permettent de s’exprimer, de sʼidentifier, d’appréhender la réalité différemment. « Surtout, il ne faut pas jeter l'éponge. Adopter une approche nuancée demande des efforts, de la constance. Cela exige de réfléchir et de mettre des limites claires. »

Quant à Jules, ses parents ont choisi de lui acheter un gros avion de bois plutôt que des bonshommes de plastique pour Noël. « On ne veut pas contrôler ce que la famille et les amis offrent à nos enfants. Jules recevra probablement son lot de figurines. On a pensé qu’avec son avion, il allait pouvoir s’inventer ses propres aventures. » Vers l’infini, et plus loin encore…

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