L’avis du nutritionniste

De l’importance d’être un bon hôte

« Alors que le soleil se couchait sur le lac Eyasi, en Tanzanie, près de 30 minutes s’étaient écoulées depuis que j’avais inséré une poire à jus dans mon derrière et injecté les selles d’un Hadza – un membre de l’une des dernières tribus de chasseurs-cueilleurs dans le monde – dans mon côlon. Je me battais pour garder les jambes en l’air avec mes orteils pointant vers ce que je pensais être le contour de la Croix du Sud montant dans le ciel du soir. Avec mes mains sous mes hanches – et les fesses appuyées contre un gros rocher pour le soutien –, je pédalais sur une bicyclette imaginaire, dans l’air, pour faire passer le temps, pendant que je luttais pour que mon nouvel écosystème intestinal reste en place. » — Extrait traduit et adapté de rewild de Jeff Leach

Jeff Leach est fondateur de l’organisme à but non lucratif Human Food Project et cofondateur de l’American Gut Project. Ses recherches visent notamment à étudier, décrire et comprendre le microbiote intestinal, soit la communauté de bactéries qui ont élu domicile au sein de nos intestins. Il s’est penché sur les Hadza, une tribu de chasseurs-cueilleurs en Tanzanie, ou plutôt sur ce qui se trouve dans leur tube digestif. Ces derniers sont en effet les hôtes d’espèces de bactéries particulières que l’on ne trouve pas ailleurs et leur diversité est bien plus élevée que celle du microbiote des Nord-Américains. Leach espère mieux comprendre comment influencer cette flore microbienne, afin de favoriser la santé humaine.

L’engouement pour le microbiote est réel. Au Québec seulement, au moins trois ouvrages sur le sujet ont vu ou verront le jour durant la saison littéraire :  Mille milliards d’amies de la biochimiste Marianne Desautels-Marissal, La santé par l’intestin de la nutritionniste Stéphanie Côté et L’étonnant pouvoir du microbiote des chercheurs en microbiologie et en immunologie Erica et Justin Sonnenburg.

Le microbiote, ça vend.

C’est que les chercheurs ont réalisé que les très nombreuses bactéries qui logent dans la chaleur humide de notre tube digestif ne sont pas que de vulgaires squatteuses. Elles participent à la digestion des aliments, produisent des vitamines et d’autres composés bénéfiques et nous protègent contre les bactéries pathogènes, pour ne nommer que quelques-uns des services qu’elles nous rendent.

Mais pour jouer son rôle de façon optimale, encore faut-il que cette communauté microscopique soit bien diversifiée.

On a en effet associé une plus faible biodiversité de notre écosystème interne à des risques plus élevés d’obésité, de diabète de type 2 et de maladies cardiovasculaires.

La façon dont on s’alimente, notre environnement, l’utilisation d’antibiotiques et même la voie par laquelle nous sommes venus au monde (naturelle ou césarienne) influencent la composition du microbiote. Et comme l’a expérimenté Jeff Leach en Tanzanie de façon très, très artisanale et non sûre, il est même possible d’implanter les bactéries d’un individu chez un autre individu. La transplantation fécale a d’ailleurs fait ses preuves dans le traitement de l’infection à la bactérie C. difficile.

LE BON HÔTE MANGE…

Le bon hôte mange des végétaux. Puisque les bactéries se régalent de fibres et d’autres glucides non digestibles, elles sont au paradis lorsque nous leur fournissons un buffet végétal. Elles apprécient beaucoup les légumes, les fruits, les grains entiers, les légumineuses, les noix et les graines.

Le bon hôte mange peu transformé. La transformation des aliments a généralement tendance à diminuer leur valeur nutritive. Plus on consomme d’aliments ultratransformés riches en sucre, en sel et en gras, moins notre microbiote est diversifié.

Le bon hôte mange varié. Avec environ 1200 espèces de bactéries qui ont élu domicile dans nos entrailles, il n’est pas étonnant d’apprendre qu’elles possèdent toutes des préférences alimentaires différentes. En nous nourrissant d’une grande variété d’aliments, nous les traitons de façon égale.

Alors que ce domaine de recherche explose et que le terme « microbiote » s’implante au sein de notre vocabulaire comme l’ont fait les oméga-3 et les antioxydants, je ne peux m’empêcher de craindre qu’il devienne l’objet d’une obsession collective menant à des excès de la part de l’industrie et des mangeurs. L’obsession d’être un bon hôte, où on ne mange pas nécessairement par plaisir, mais plutôt pour celui de ses microorganismes. Où l’industrie joue sur cette crainte de la maladie pour vendre de nouveaux produits alimentaires aux promesses alléchantes, mais généralement décevantes. Un scénario que j’ai observé maintes fois depuis le début de ma jeune carrière de nutritionniste.

Manger une variété de végétaux peu ou pas transformés : nul besoin d’aller plus loin. Avant d’insérer une poire à jus là où le soleil ne brille jamais, ou de se tourner vers des aliments ultratransformés additionnés d’ingrédients « favorisant la santé intestinale  », tentons plutôt de combiner la santé et le plaisir de l’hôte et de ses invités.

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