COVID-19

Trouble feuille de route pour le propriétaire d’une résidence minée par le virus

La situation critique dans les lieux d’hébergement pour aînés de la province demeure au cœur de l’actualité. Coup d’œil sur quatre cas de figure dans la grande région de Montréal.

Le copropriétaire de la résidence pour personnes âgées Notre-Dame de la Victoire, à Saint-Hubert, où la direction aurait tardé à demander de l’aide lors d’une éclosion de cas de COVID-19, a déjà perdu son permis pour un autre établissement qu’il exploitait, à la suite de la mort de deux pensionnaires.

Abraham Kaufman, un courtier immobilier d’Outremont, était copropriétaire de la résidence pour aînés Villa du Jardin Fleuri, à Trois-Rivières. Mais son permis a été révoqué à l’automne 2017 après plusieurs plaintes au CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec.

Le CIUSSS avait notamment ouvert une enquête concernant la mort d’André Bourassa, un résidant de 79 ans mort gelé après s’être retrouvé enfermé à l’extérieur de l’établissement en février 2017. L’année précédente, une femme de 93 ans, Thérèse Roberge, était morte dans des circonstances similaires.

Une enquête du coroner avait conclu que « la Villa du Jardin Fleuri était un endroit non adapté pour les personnes en perte d’autonomie, car plusieurs chambres avaient une porte donnant directement sur l’extérieur de sorte que les personnes souffrant d’errance pouvaient se retrouver à l’extérieur de la résidence sans que le personnel ne s’en rende compte », rapportait le quotidien Le Nouvelliste en juin 2018.

L’établissement était déjà fermé au moment où le coroner a déposé son rapport, mais la famille d’André Bourassa a déposé une poursuite de 1,2 million contre ses anciens propriétaires.

En juin 2018, le bâtiment désaffecté a été détruit par un incendie.

Escorté par la police

Abraham Kaufman se trouvait lundi à la résidence Notre-Dame de la Victoire, sur le chemin de Chambly, à Saint-Hubert, où la quasi-totalité du personnel et la majorité des pensionnaires sont atteints de la COVID-19.

M. Kaufman a cependant refusé de répondre aux questions des journalistes au sujet de sa gestion de l’établissement. Il est parti en fin de journée, après avoir demandé l’aide de la police pour empêcher quiconque de poser le pied sur le terrain de la résidence, où 35 résidants sur 50 sont atteints de la maladie, selon les plus récentes données fournies par le CISSS de la Montérégie-Centre.

Le CISSS a pris en charge la gestion de la résidence Notre-Dame de la Victoire à la fin de la semaine dernière, puisque le personnel, malade, n’était plus en mesure d’assurer les services aux résidants.

Ce que déplorent les familles, c’est de ne pas avoir été informées de la multiplication des cas de COVID-19. Certains se demandent aussi si l’aide du CISSS a été demandée assez rapidement.

« Ça fait un mois que les résidants sont confinés dans leur chambre, mais la direction n’a pas avisé les familles qu’il y avait autant de cas », dénonce Christiane Houle-Lapointe, venue porter des muffins à son père de 87 ans. « J’essaie tous les jours de parler au propriétaire, M. Kaufman, mais sa boîte vocale est toujours pleine. »

« J’ai peur de ne plus jamais revoir ma mère »

Gaétan Chabot, lui, voulait simplement se rendre à l’arrière de la résidence pour envoyer la main à sa mère de 93 ans, par la fenêtre de sa chambre, « pour la réconforter un peu ». Il affirme avoir été menacé par les agents de sécurité embauchés par le CISSS pour surveiller la résidence. « Ils m’ont dit qu’ils appelleraient la police si je restais là.  »

« J’ai peur de ne plus jamais revoir ma mère. On est très proches, elle a vécu chez moi pendant 10 ans avant », confie-t-il, secoué.

« Ils ne peuvent plus sortir de leur chambre, leur résidence est surveillée par la police, les employés sont des inconnus, ça doit être terrible de vivre ça ! »

Formation express pour les bénévoles dans un CHSLD privé de Laval

Les Forces armées sont également arrivées en renfort lundi

Le nombre de cas de COVID-19 est passé de 13 à 76 en deux jours au CHSLD Villa Val des Arbres de Laval. En plus d’accueillir 14 membres des Forces armées canadiennes en renfort lundi, l’établissement a mis sur pied en quelques jours une formation de huit heures pour des bénévoles et espère en recruter 100 afin de continuer de soigner les aînés hébergés.

« On a besoin de bras. On a 42 employés en moins. On a besoin d’aide. On a créé un projet pour aller chercher plus de monde », explique le propriétaire de la Villa Val des Arbres, Pierre Bélanger, aussi coprésident du groupe de résidences Mandala Santé.

Le CHSLD Villa Val des Arbres accueille environ 120 personnes en perte d’autonomie.

Lundi, 14 membres des Forces armées canadiennes sont venus prêter main-forte. « C’est un vent de fraîcheur. Ils ont une belle énergie et ils veulent aider », raconte M. Bélanger. 

Mais quoique bienvenue, cette aide ne sera pas suffisante pour faire face à l’épidémie de COVID-19, selon le propriétaire des lieux, qui a mis sur pied une initiative hors du commun pour attirer plus d’employés et de bénévoles entre ses murs.

Apprendre à aider et à se protéger

Dès la semaine dernière, le CHSLD Villa Val des Arbres a créé une formation en « soutien dans le secteur de la santé » conjointement avec le Service aux entreprises et de formation continue de la Commission scolaire de Laval. « On veut outiller les bénévoles sur comment se protéger, comment manipuler des aînés en perte d’autonomie et comment subvenir à leurs besoins de base », explique M. Bélanger.

Samedi dernier, des annonces ont été diffusées dans différents médias afin de recruter des candidats. Dès mercredi, 20 personnes suivront cette formation. M. Bélanger explique avoir reçu des bénévoles du gouvernement au cours des derniers jours. 

« Les gens veulent aider, mais ils ne savent pas comment. Certains repartent parce qu’ils ne connaissent pas les règles de sécurité. On a voulu s’assurer que tout se passe bien », dit-il.

Le recrutement est difficile depuis longtemps dans le milieu de l’hébergement pour aînés. Dès le début du mois de mars, Mandala Santé avait mené une campagne de recrutement et avait attiré 192 candidats pour les 4 établissements qu’il possède au Québec. Mais malgré ces nouveaux visages et malgré la présence récente de l’armée au CHSLD Villa Val des Arbres, les besoins sont criants. 

L’aide du CISSS de Laval a été bien mince, selon M. Bélanger. « Ils font ce qu’ils peuvent. Je ne les blâme absolument pas. Mais j’ai 72 personnes, j’aimerais qu’elles reçoivent les soins dont elles ont besoin. Et j’aimerais que mes 42 autres résidants non atteints puissent avoir un milieu de vie intéressant au lieu d’être confinés dans leur chambre. »

COVID-19

Situation préoccupante au premier CHSLD en partenariat public-privé

Saint-Lambert-sur-le-Golf, le premier CHSLD en partenariat public-privé (PPP), comme le souligne fièrement le Groupe Savoie sur le site de l’établissement, a vu la contagion s’étendre au cours de la fin de semaine. Près de 15 % de ses 200 résidants étaient infectés lundi, pour un total de 28, soit 10 de plus que vendredi.

« Il me semble que ça n’a pas d’allure, ça augmente de façon super rapide », souligne Christiane Tremblay, dont la mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer, a reçu un test positif.

Inquiète du manque de personnel infirmier, qu’elle trouvait déjà rare en temps normal, et du fait que le médecin soit sur place seulement quelques jours par semaine, Mme Tremblay a alerté le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Montérégie-Centre.

« Je sentais que cet établissement-là avait besoin d’aide et qu’il fallait aller voir », explique-t-elle. Son message n’avait pas reçu de réponse lundi en fin de journée.

Lorsque la dame de 83 ans a eu mal à la gorge la semaine dernière, il s’est écoulé quatre jours avant qu’on l’isole dans sa chambre et qu’on lui fasse passer un test, raconte Mme Tremblay.

Sa mère ne présentait plus de symptômes lundi, mais à cause de son diagnostic, elle a été transférée dans une autre chambre où sa ligne téléphonique, elle, n’a pas pu être transférée. Sa famille ne peut donc pas communiquer avec elle.

Manque de personnel

La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), qui représente quelque 70 infirmières et infirmières auxiliaires dans ce CHSLD, fait état d’un « manque de personnel » dans l’établissement. 

« Un peu plus de 40 employés ont été retirés du plancher », affirme la présidente de la FIQ, secteur privé, Sonia Mancier, en citant des informations recueillies à l’intérieur de l’établissement. La FIQ n’est toutefois pas en mesure de confirmer combien de ses membres ont été infectés.

Quatre préposés aux bénéficiaires et un préposé à l’entretien ménager ont reçu un test positif, a pour sa part indiqué la FSSS-CSN, qui compte 230 membres dans cet établissement.

La FSSS-CSN et la FIQ s’inquiètent aussi que les employés d’agence appelés en renfort ne soient pas toujours les mêmes, ce qui augmente la circulation.

Les salaires, moins élevés dans cet établissement privé que dans les CHSLD du secteur public, contribuent au manque de personnel, soulignent les syndicats.

Le Groupe Savoie, qui est propriétaire des Résidences Soleil, n’avait pas rappelé La Presse lundi soir.

« Huit résidants ont été transférés en milieu hospitalier dédié au COVID », a fait savoir la direction du CHSLD dans un communiqué aux familles envoyé vendredi dernier. L’établissement affirmait alors avoir obtenu « quelques ressources » du CISSS.

Selon Sonia Mancier, de la FIQ, « depuis la fin de semaine, le CISSS a fourni 26 quarts de travail au CHSLD ».

Le CISSS de la Montérégie-Centre n’avait pas fourni de réponses aux questions de La Presse lundi soir.

COVID-19

Les primes se font toujours attendre dans des ressources intermédiaires

Un propriétaire de résidences peine à garder ses employées

Promise depuis 19 jours déjà, la prime que doivent recevoir des préposés aux bénéficiaires tarde à leur être versée. Le propriétaire de plusieurs résidences privées pour aînés sonne l’alarme : chaque jour de retard rend la rétention du personnel un peu plus difficile.

Le 2 avril dernier, lorsque le gouvernement Legault a annoncé qu’il bonifiait le salaire du personnel de la santé « pour mieux soutenir nos anges gardiens », Anthony Falvo, propriétaire de huit résidences privées pour aînés, a affiché avec fierté le communiqué de presse dans les locaux des préposés aux bénéficiaires. La compensation allait prendre la forme d’une prime de 4 $ par heure travaillée.

« Pensez-vous qu’il y en a beaucoup des gens qui veulent donner des soins à des personnes atteintes de la COVID ? »

— Anthony Falvo, propriétaire de huit résidences privées pour aînés

« Alors, si au moins, la pauvre préposée qui se fend en quatre peut recevoir une prime, ça met un baume sur son cœur », a fait remarquer le propriétaire, admettant qu’il y a eu des morts de la COVID-19 dans ses résidences.

Sauf que 19 jours après l’annonce, les préposées œuvrant dans les ressources intermédiaires (RI) n’ont toujours pas reçu leur prime. « Elles nous demandent où est leur prime, si nous l’avons mise dans nos poches ! » lance avec consternation Anthony Falvo.

Déjà « plus de 40 % » de ses préposées ont quitté leur emploi depuis le début de la crise. Si le gouvernement tarde trop, il croit qu’il n’aura plus personne à qui « remettre la prime ». Des employées, payées pratiquement au salaire minimum, sont parties pour travailler dans les CHSLD, où elles sont mieux payées ; d’autres s’occupent de leurs enfants à la maison tout en recevant la prestation d’urgence du gouvernement fédéral.

« Sur chaque étage, j’ai normalement quatre préposées. Là, il m’en reste une ou deux. C’est effrayant ! Celles qui restent, ce sont des héros ! Je le dis et j’ai les larmes aux yeux. Elles restent parce qu’elles sont complètement dévouées à leur travail », ajoute le propriétaire.

RETARDS

Le ministère de la Santé et des Services sociaux reconnaît des retards pour le personnel œuvrant dans les ressources intermédiaires. Une partie de ces employés recevront le versement des sommes cette semaine. Ces primes sont d’ailleurs rétroactives au 13 mars dernier.

« C’est indécent de demander à des gens qui gagnent 13-14 $ de l’heure d’attendre », fulmine Johanne Pratte, directrice générale de l’Association des ressources intermédiaires d’hébergement du Québec (ARIHQ).

« Quand tu gagnes ce salaire, tu veux ton argent, parce que tu en as besoin et que tu travailles dans une situation de crise », ajoute-t-elle.

« Je trouve incroyable que le gouvernement s’en sorte sans jamais parler de nous. C’est du financement public, les ressources intermédiaires ! Personne ne choisit de venir vivre dans ce type d’hébergement et aucun propriétaire ne choisit ses clients », explique Mme Pratte.

Alors que les préposées « tombent comme des mouches » et que personne ne veut venir les remplacer, la directrice lance un cri d’alarme : « Nous sommes à la guerre avec des fusils à l’eau ! »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.