Rogers-Shaw

Notre oligopole est déjà assez gros

Alors que les prix des forfaits de téléphonie sans fil sont très élevés et que le Big 3 contrôle déjà 86 % du marché, devrait-on permettre à la plus importante entreprise de télécoms dans le sans-fil (Rogers) d’acheter la majeure partie de la quatrième (Shaw) ?

Si on a les intérêts des consommateurs à cœur, la réponse est évidente : non.

C’est pourtant ce qui va probablement arriver, alors que le Tribunal de la concurrence a approuvé la semaine dernière l’achat de Shaw par Rogers. Le Bureau de la concurrence a fait appel de cette décision, qui démontre que les lois canadiennes sur la concurrence protègent mal les consommateurs.

Le commissaire fédéral de la concurrence, Matthew Boswell, fait bien de se tenir droit dans ce dossier, même si ses chances en appel sont minces.

Le gouvernement Trudeau, qui doit aussi approuver la transaction, veut examiner la décision du Tribunal. Ottawa a télégraphié ses intentions il y a quelques mois : il pencherait vers un oui, à certaines conditions.

Ottawa commettrait pourtant une erreur s’il laissait Rogers acheter Shaw.

Heureusement, le pire scénario – celui où Rogers achète Shaw au complet – a été évité. Pour convaincre le Bureau de la concurrence et le gouvernement Trudeau, Rogers a consenti à vendre une partie des activités de sans-fil de Shaw (Freedom Mobile) à Québecor, un opérateur de télécoms redoutable au Québec.

Sauf que Rogers conserverait les clients du sans-fil qui ont plusieurs services avec Shaw (Shaw Mobile), souvent les clients les plus rentables. Rogers se départit d’actifs de 2,85 milliards (Freedom Mobile, vendu à Québecor) sur une transaction de 26 milliards.

Le Canada est l’un des pays du G7 où les prix des forfaits sans fil sont les plus élevés. C’est beaucoup en raison de l’oligopole Rogers-Bell-Telus.

Pourtant, le Tribunal de la concurrence conclut sans rire que l’achat de Shaw par Rogers ne diminuera pas « sensiblement » la concurrence en téléphonie sans fil (c’est le critère dans la loi). Il faut vivre sur une autre planète pour croire ça. En téléphonie sans fil, un quatrième acteur fort permet de réduire les prix. On en a la preuve au Québec (avec Québecor) et en Europe.

Comment le Tribunal peut-il arriver à la conclusion que le plus important acteur d’un puissant oligopole peut acheter sans problème le quatrième acteur ? Parce que nos lois sur la concurrence sont dépassées, peu contraignantes, et protègent mal les intérêts des consommateurs. Au point où le Tribunal de la concurrence n’a jamais bloqué une transaction en entier.

Le gouvernement Trudeau, qui fait actuellement des consultations pour revoir nos lois sur la concurrence, a beaucoup de pain sur la planche.

Le dossier Rogers-Shaw démontre la trop grande permissivité de nos lois sur la concurrence. Les États-Unis ont refusé que leur quatrième acteur en télécoms (T-Mobile) soit acheté par le numéro un (AT & T).

Au Canada, l’achat du quatrième acteur par le numéro un est en train de passer presque comme du beurre dans la poêle. Parce que notre cadre juridique est dépassé.

Le gouvernement Trudeau semble favorable à la transaction si Québecor s’engage pour 10 ans au Canada anglais et si les prix au Canada anglais diminuent de 20 %, pour rejoindre ceux du Québec.

Tout ça n’est que du théâtre politique pour sauver la face. Comment voulez-vous que Québecor garantisse que les prix diminueraient de 20 % ailleurs au pays ? Et si ça ne marche pas, que ferait Ottawa ? Son principal levier serait de retirer les licences sans fil de Québecor dans l’Ouest, mais ça réduirait encore plus la concurrence. Ottawa bluffe, et tout le monde le sait.

Québecor a la capacité et l’expertise pour devenir le quatrième acteur national tant attendu depuis plus d’une décennie. Là n’est pas la question.

Le problème, c’est qu’Ottawa ne doit pas laisser disparaître le quatrième acteur dans l’Ouest canadien en espérant qu’un concurrent moins gros à court terme prenne sa place. Surtout que Shaw est en excellente santé financière, comme en témoigne sa marge de profit ajustée de 47 % en 2022. « Shaw est mieux placé que Vidéotron pour être le quatrième joueur qui aurait un effet sur les prix », dit Pierre Larouche, professeur de droit de la concurrence à l’Université de Montréal.

Une fois qu’on aura laissé Rogers mettre la main sur la majeure partie de Shaw, on ne pourra plus remettre le dentifrice dans le tube.

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