Anne Hidalgo

« Je suis l’objet d’un acharnement irrationnel »

La maire de Paris n’est pas encore en campagne mais regarde ses concurrents se déclarer. Sa préoccupation, le bien-être des parisiens.

Partie de campagne pour la pasionaria du Paris sans voitures… Hélas, la réalité n’est pas toujours bucolique. Dans une capitale où 41 % des déplacements se font à pied et 40 % en transports publics, 16 % en voiture et 3 % à vélo, la mobilité devient un parcours du combattant et les modes de circulation s’entrechoquent. Arrondissements voués au logement touristique, périphérie hantée par la misère des migrants, délinquance et saleté, les problèmes sont cuisants et la méthode Hidalgo décriée. Du marcheur Griveaux à Rachida Dati en passant par le Vert Belliard et le dissident Villani, la maire fait face à un front multiple. Sa chance, c’est qu’il est également fragmenté. À six mois du scrutin, elle affiche une hauteur de vue confortable, retardant au maximum son entrée dans la mêlée.

Paris Match : C’est la dernière rentrée de votre mandat, commencé en 2014. Comment l’abordez-vous ? 

Anne Hidalgo : Je suis très sereine. La ville se transforme et les Parisiens vont en avoir de nouvelles preuves. C’est très concret. J’aborde cette rentrée avec beaucoup d’envie et d’énergie après une année 2018 où notre équipe a été, c’est vrai, très attaquée. Mais la page est tournée. L’enthousiasme est là. 

Quelle est votre priorité ? 

Réussir la rentrée scolaire, comme pour tout maire. Et Paris est au rendez-vous, avec beaucoup de rénovations dans les écoles pour améliorer le confort des élèves. En termes d’infrastructures, je pense aussi à la livraison de pistes cyclables : bien maillé et protégé, le réseau permet désormais de traverser la ville d’est en ouest et du nord au sud. La nouvelle place de la Bastille, après la place de la Nation, sera finie à l’automne. La réouverture du Théâtre du Châtelet sera un événement exceptionnel, le 13 septembre. Enfin, je pense à la gratuité des transports, notamment pour les petits Parisiens de 4 à 11 ans. Je pourrais continuer la liste… 

On entend qu’il y aurait trop de chantiers, certains seraient même factices… 

Il fallait redoubler d’efforts pour mieux informer, car les travaux étaient nombreux et la gêne réelle. J’en ai conscience. Après, Paris sans chantier, ça n’existe pas ! Seulement 7 % d’entre eux relèvent de la Ville. Par exemple, les travaux sur le réseau de froid et de chaleur ne sont pas de mon ressort. Mais ils vont nous permettre de baisser notre niveau d’émission de gaz à effets de serre. Je ne vais pas m’y opposer ! Quant aux travaux sur la voirie, ils feront plus de place aux vélos et aux piétons. Et ça, oui, j’assume : je construis la ville de demain. 

43 °C en juillet à Paris. Vous avez mis la ville en “état d’urgence climatique”. Qu’envisagez-vous de faire ? 

Je n’ai pas attendu juillet pour agir. La lutte contre le réchauffement climatique est au cœur de la politique municipale depuis le début de mon mandat. En 2015, juste avant l’accord de Paris, près de 1 000 maires du monde entier s’étaient réunis à l’Hôtel de Ville et s’étaient engagés. Paris n’est pas Séville ! Et ce qui s’est passé cet été ne constitue que des prémices. Il faut se préparer. 

Comment ? 

Notre Plan climat comprend un volet sur l’adaptation de la ville aux épisodes extrêmes : chaud, froid, crues, etc. Ce ne sont pas des déclarations creuses, mais de l’action concrète. Un exemple : rien qu’en juillet, on a ouvert quinze nouveaux jardins. L’épisode caniculaire de cet été conforte le diagnostic et la vision que nous avons eus. Certains ont cru bon de les moquer, de les décrier. On ne peut pas s’émouvoir des températures caniculaires et, en même temps, ne rien faire face à la voiture. À l’évidence, s’adapter au dérèglement climatique était un impératif. 

Accueillir les JO en 2024, c’est faire preuve de sobriété ?

Dès 2015, le CIO lui-même s’est engagé sur une autre voie que celle des jeux dispendieux et indifférents à l’environnement. Paris 2024 est un levier : les Jeux olympiques vont accélérer la transition écologique de Paris. En matière de transports collectifs, c’est du confort en plus pour tous les Franciliens. Avec Tony Estanguet, notre vision reste la même. Notre tandem fonctionne. 

Allez-vous intensifier votre politique pour réduire encore la place de la voiture dans les prochains mois ? 

Je ne vais pas ralentir sous prétexte que l’élection arrive. Le confort politique n’est pas mon sujet. Il n’est plus possible de tergiverser ! Je ne composerai jamais avec le péril climatique. Les Parisiens l’ont compris : 15 000 sont devenus des volontaires du climat pour se former. 

Christophe Najdovski, votre adjoint, regrette que les contrôles des automobilistes ne soient pas plus poussés au moment des pics de pollution. A-t-il raison ? 

Depuis 2015, je propose à l’État de participer financièrement à la mise en place de systèmes de contrôle plus efficaces. À l’époque, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve y étaient favorables. Malheureusement, l’élan s’est arrêté. La Ville ne peut pas faire face toute seule. Le contrôle des plaques d’immatriculation ne relève pas de ma compétence. 

Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, estime que les mises en fourrière des trottinettes ne sont une « mesure ni proportionnée ni adaptée. » Allez-vous passer outre ? 

Ce sont des encombrants qui empêchent les Parisiens d’utiliser les trottoirs. J’avoue avoir été très, très surprise de cette réponse. L’arrivée des trottinettes à Paris remonte à l’été dernier. À l’époque, j’ai écrit à Elisabeth Borne [alors ministre aux Transports] pour l’alerter et lui proposer de donner aux maires des pouvoirs de régulation. La loi sur les mobilités a pris du retard. Entre-temps, il a bien fallu agir. Franchement, qu’un problème de trottinettes dépende d’un ministre, les bras m’en tombent… Les mises en fourrière continueront si nécessaire. Il faut faire confiance aux élus locaux. 

Faut-il que le maire de Paris dispose de pouvoirs de police encore renforcés ? 

La loi de février 2017 sur le statut de Paris accroît les compétences du maire. Elle m’a permis de jeter les fondations d’une police municipale ne disposant pas d’armes létales. Elle veillera à la tranquillité publique. La police nationale se concentre sur la lutte contre le terrorisme, le maintien de l’ordre et la grande criminalité, même si le compte n’y est pas toujours sur ce dernier sujet. En effet, il y a une absence notée et notable de la police sur la question du trafic de drogue, en particulier dans le Nord-Est. J’ai sonné l’alerte au début de l’été. Les Parisiens n’ont pas constaté de changements depuis. Je le regrette. Il y a une explosion de la petite délinquance, des vols à la tire, des cambriolages. On manque cruellement de policiers. Et ils ne sont pas visibles. 

Votre police municipale s’occupera-t-elle des campements ? 

La situation est indigne, mais c’est à l’État d’agir : sa nouvelle politique de gestion des flux migratoires n’a rien amélioré. Sous la responsabilité d’un grand flic, Michel Felkay, la police municipale occupera le terrain, sécurisera et sanctionnera des comportements inciviques. Les nuisances sonores sont devenues un fléau majeur. Ils sont 3 400 agents aujourd’hui. Peut-être faudra-t-il augmenter leur nombre dans les années à venir… 

L’avenir est au cœur de votre livre, Le lieu des possibles, à paraître le 25 septembre [aux éditions de l’Observatoire]. Marque-t-il le début de votre campagne ? 

Pas du tout. Il me permet de dire ma vérité. Comme maire de Paris et présidente du C40 [une organisation qui réunit les plus grandes villes du monde], j’ai voulu expliquer les chemins à prendre. On ne peut pas temporiser face au réchauffement climatique, on l’a vu. Mieux vivre tous ensemble est aussi un défi à relever. Une capitale mondiale comme Paris se doit d’accueillir les exclus tout en restant un lieu de création de richesses, notamment dans la nouvelle économie. J’ai voulu replacer mon mandat dans le cadre d’une vision sur la ville de demain. 

Douze mille Parisiens quittent chaque année la capitale pour s’installer ailleurs. Paris est-il devenu invivable, voire inaccessible ? 

La population parisienne a toujours subi des variations, à la hausse ou à la baisse. Mais « Paris se vide », ça n’existe pas. Ces dernières années, nous avons aussi réduit la densité du logement parisien. La ville ne perd ni de son attractivité ni de sa qualité de vie. Les classements internationaux en témoignent : Paris est toujours en haut du podium ! 

Vos adversaires qualifient souvent votre gouvernance de « brutale »… 

Des attentats aux campements de réfugiés en passant par les gilets jaunes, les crues, les pics de pollution à répétition, etc., cette équipe a subi une série de chocs exceptionnels. Si j’avais eu une méthode autoritaire et pyramidale, la majorité n’aurait pas tenu trois mois. J’écoute, je consulte. Mais après, oui, je décide. Parce que je suis la seule responsable aux yeux des Parisiens. Mieux vaut d’ailleurs que le maire de Paris ait de l’autorité. Mieux vaut aussi qu’il assume ses actes. La comédie du pouvoir ne m’intéresse pas. Les caricatures qu’on a faites de moi non plus. 

Les grandes manœuvres de campagne sont lancées. Quand vous déclarerez-vous officiellement ? 

À six mois de l’élection, je ne connais pas encore tous les candidats. Je regarde les actualités d’une campagne qui est encore très confuse. Je suis maire et j’ai encore des projets à livrer. Donc, je suis dans cet exercice. Je n’ai pas décidé ni du quand ni du comment de ma candidature. Je suis dans le temps de la réalisation. 

Quand l’écologiste Yannick Jadot met en cause votre engagement écologiste, vous restez de marbre ? 

Chacun est libre de son expression. Ces cinq dernières années ont tout bouleversé, y compris la psychologie parisienne. Les attentats n’étaient pas écrits. Les vagues migratoires non plus. La violence hebdomadaire des gilets jaunes dans la capitale non plus. L’expérience de ce mandat si particulier m’inspire une leçon : les Parisiens ne toléreraient pas qu’on tombe à un niveau de petite politique politicienne. Avec ce qu’elle a traversé, nous devons collectivement un débat digne à cette ville. Les petites attaques à l’ancienne ne sont pas au niveau. 

Quel est l’état de votre relation avec Emmanuel Macron ? 

Elle est bonne. J’ai encore en mémoire ses paroles très positives le soir de l’incendie de Notre-Dame. Quelles que soient nos différences, tout ce que Paris peut faire pour aider la France, Paris le fera. Paris n’est pas hors-sol. Je suis toujours prête à travailler en bonne intelligence avec l’Etat. Mais les attentes des Parisiens doivent aussi être prises en compte. 

En septembre 2018, dans Respirer, votre précédent livre, vous faisiez cet aveu : « Parfois, je me sens seule. » Est-ce toujours le cas ? 

L’année 2018 a été très difficile. Certaines critiques pouvaient être justifiées. J’ai fait aussi l’objet d’un bashing irrationnel. Des changements sont intervenus dans mon équipe. Je n’éprouve plus du tout un sentiment de solitude aujourd’hui. Bien au contraire.

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