Abus dans le hockey junior

Une demande d’action collective déposée contre la LHJMQ

Une demande d’autorisation d’action collective a été déposée, mercredi matin, au palais de justice de Québec contre la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ), ses 18 équipes actuelles et la Ligue canadienne de hockey. L’action vise « tous les joueurs de hockey qui ont subi des abus, alors qu’ils étaient mineurs et évoluaient » au sein de la LHJMQ, depuis 1969 jusqu’à ce jour.

L’ex-joueur des Saguenéens de Chicoutimi Carl Latulippe est le requérant principal de l’action collective, déposée par le cabinet Kugler Kandestin. La Presse a présenté au début d’avril l’histoire de ce choix de premier tour des Saguenéens de Chicoutimi en 1994. Carl Latulippe a raconté avoir été victime de plusieurs abus de la part de certains vétérans chez les Saguenéens, notamment de violence, d’intimidation et d’agressions.

Dans la demande d’action collective, on apprend que M. Latulippe aurait aussi été victime d’abus chez les Voltigeurs de Drummondville. Là-bas, M. Latulippe et d’autres recrues « s’enduisaient de shampooing avant de se doucher afin que leur peau soit glissante et que les vétérans ne puissent pas les attraper dans les douches pour les agresser », peut-on lire dans le document judiciaire. M. Latulippe aurait notamment été témoin « d’un coéquipier qui a été attrapé par un vétéran qui lui a inséré un ceintre dans l’anus, entraînant son déchirement ».

Sans nier que des abus aient pu être commis lorsqu’ils jouaient chez les Voltigeurs de Drummondville au milieu des années 1990, d’anciens joueurs de l’organisation affirment n’avoir jamais eu connaissance des sévices décrits dans la demande d’action collective.

Dans un échange de messages textes avec La Presse, Daniel Brière, qui est aujourd’hui directeur général des Flyers de Philadelphie, affirme n’avoir assisté à aucun des gestes décrits, et ce, en dépit du fait qu’il était lui-même une recrue cette saison-là. « Je ne dis pas que ce n’est pas arrivé », insiste-t-il. « Je n’ai pas été mis au courant de ces gestes et je n’ai rien vu de mes propres yeux en ce sens », ajoute-t-il.

Denis Gauthier, aujourd’hui analyste à la télévision, a fait partie du personnel d’entraîneurs des Voltigeurs de 2010 à 2015 et est demeuré proche du club jusqu’en 2021 dans un rôle de consultant. Lui aussi assure n’avoir « jamais eu conscience » des faits allégués. « Je n’ai rien vu, rien subi, rien fait de ça », a-t-il dit au cours d’une brève conversation téléphonique. Il se dit toutefois navré si une situation aussi « atroce » a eu lieu « sous [son] nez ».

Dans la demande d’action collective, on affirme que M. Latulippe aurait subi différentes séquelles de ces mauvais traitements, notamment des problèmes d’anxiété et de consommation. Il « n’a jamais été capable de remettre les pieds dans un aréna de hockey » et il « ne veut pas que son fils joue au hockey, de peur que celui-ci subisse les mêmes abus que ceux qu’il a vécus », peut-on lire.

Des entraîneurs dans l’autobus

La demande d’action collective revient aussi sur le passage de Carl Latulippe chez les Saguenéens. On mentionne notamment que durant le camp d’entraînement en 1994-1995, « lors d’une partie de hockey hors concours à Chibougamau, [Carl Latulippe] a été victime de violences sexuelles par ses coéquipiers vétérans dans l’autobus les ramenant à Chicoutimi, alors que des entraîneurs se trouvaient à bord ».

Selon le document, Carl Latulippe se serait plaint de sa situation à l’entraîneur-chef de l’époque, qui lui aurait dit qu’il « fallait endurer ces comportements, que ceux-ci ne duraient qu’un an et que ça formait le caractère ».

M. Latulippe réclame 650 000 $ aux défendeurs ; 15 millions de dollars de dommages-intérêts punitifs et exemplaires collectifs sont aussi demandés.

La Ligue canadienne de hockey est aussi visée par la demande d’action collective, en tant qu’« organe directeur du hockey junior au Canada ». Ainsi que toutes les anciennes équipes de la LHJMQ. « C’est important pour nous que ceux qui ont subi ces abus sachent qu’il existe un moyen de réclamer justice. Ils peuvent communiquer avec nous gratuitement et dans la plus stricte confidentialité pour discuter de leurs droits », affirme l’avocat David Stolow, du cabinet Kugler Kandestin.

Dans une brève déclaration écrite, la LHJMQ dit avoir « pris connaissance » du dossier. Elle rappelle qu’elle est « au courant » des allégations vu l’enquête indépendante en cours au sujet de ce qui se serait passé en 1994 à Chicoutimi. « La LHJMQ prend les allégations de maltraitance très au sérieux et condamne la conduite des individus ou des équipes qui ont agi de façon inappropriée et en dehors des attentes et des standards de la ligue », ajoute-t-on, rappelant qu’un « plan d’action » sera déposé au cours des prochaines semaines « pour renforcer les initiatives déjà mises en place par la ligue ».

Parallèlement à l’Ontario

Le dépôt de la demande d’action collective au Québec survient alors qu’en Ontario, un juge a rejeté en février une demande similaire déposée par trois plaignants au nom des 15 000 ex-joueurs de hockey junior canadiens, notamment dans la LHJMQ.

Le juge ontarien a toutefois ouvert la porte à la possibilité que des actions individuelles soient menées.

La demande d’action collective québécoise déposée mercredi prévoit d’ailleurs que tous les joueurs qui opteront pour la participation à une action individuelle en lien avec la procédure en Ontario seront exclus de la procédure québécoise.

MStollow souligne que les règles d’autorisation des actions collectives ne sont pas les mêmes au Québec et en Ontario, et que les chances de voir l’action autorisée ici sont bonnes. « Par exemple, au Québec, il ne faut pas un représentant par équipe, contrairement à l’Ontario », dit-il.

À Québec, Isabelle Charest, ministre responsable du Sport, du Loisir et du Plein air, s’est gardée « d’appuyer ou ne pas appuyer un recours collectif ».

Comme par le passé, elle a encouragé « les gens à porter plainte et prendre les recours, les bons recours, pour avoir justice ». « Passer par le système de justice, c’est le bon moyen quand on a des allégations de violence sexuelle ou de violence psychologique. Ce sont les bons tribunaux. »

— Avec la collaboration de Tommy Chouinard, La Presse

Si elles désirent obtenir du soutien, les personnes qui ont été victimes d’agressions peuvent trouver des ressources auprès du Regroupement des organismes québécois pour hommes agressés sexuellement (ROQHAS), dont le site web est accessible ici.

L’histoire jusqu’ici

3 février 2023

Le rejet d’une demande d’action collective, en Ontario, lève le voile sur des décennies de sévices physiques, psychologiques et sexuels dans le hockey junior canadien.

3 avril 2023

Une enquête de La Presse révèle l’histoire de Carl Latulippe, ex-attaquant de la LHJMQ qui dit avoir subi des violences similaires lors de son passage chez les Saguenéens de Chicoutimi lors de sa saison recrue, en 1994-1995.

24 mai 2023

Une demande d’action collective est déposée contre la LHJMQ, ses 18 équipes et la Ligue canadienne de hockey. Au nom des victimes potentielles, Carl Latulippe réclame plus de 15 millions de dollars en réparation.

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