Un café avec… Nathalie Ouellette

La science comme un road trip au Tennessee

Cette semaine, l’astrophysicienne Nathalie Ouellette prend le café avec notre éditorialiste Philippe Mercure.

Il y a l’histoire de la comète Hale-Bopp, qui a traversé le ciel quand Nathalie Ouellette n’avait que 10 ans et qui lui a donné le « sentiment d’être connectée à quelque chose de gigantesque ».

Il y a celle de l’éclipse solaire de 2017, que la jeune femme a traquée jusqu’aux confins du Tennessee dans un invraisemblable road trip. Une expérience quasi religieuse qui l’a « transformée ».

Il y a ces ciels à couper le souffle qu’elle a contemplés à partir des plus grands observatoires astronomiques du monde – Hawaii, Chili, Nouveau-Mexique.

Écouter Nathalie Ouellette raconter l’espace, c’est comme s’installer devant un bon film. On prend un café et on savoure. Le mien est attrapé au café étudiant du campus MIL de l’Université de Montréal. L’astrophysicienne opte plutôt pour un thé London Fog, avant de me guider vers son bureau.

Sur les murs, les photos de famille côtoient les clichés de galaxies. On voit une affiche sur les types de nuages, une navette spatiale en Lego, un dinosaure en plastique.

« J’aime la nature, j’aime la grandeur de la nature. Je trouve que ça nous remet à notre place, que ça nous redonne un peu d’humilité. »

— Nathalie Ouellette

Au cou, Nathalie Ouellette porte un pendentif doré. Les non-initiés pourraient y voir les alvéoles d’une ruche. Il s’agit en fait d’une réplique du miroir principal du télescope spatial James Webb. Après 13 ans de retard, ce successeur du bon vieux télescope Hubble s’apprête enfin à être lancé dans l’espace.

Celle qui porte le titre de coordonnatrice du télescope James Webb au Canada a le rôle de faire le pont entre les scientifiques de cette mission et le grand public. Le lancement, prévu le 18 décembre, promet de la tenir occupée.

« Mes vacances de Noël… ce ne seront pas vraiment des vacances ! », lance-t-elle.

Le décollage en fusée mettra à rude épreuve cette machine de haute précision, qu’on décrit parfois comme la plus complexe jamais construite par l’être humain. La mission implique 10 000 scientifiques. Ses coûts frôlent les 10 milliards de dollars américains.

Un lancement réussi serait loin d’être la fin du suspense. Le télescope, plié comme un immense jeu d’origami, devra se déployer dans l’espace, puis gagner un point situé à 1,5 million de kilomètres de la Terre. Un problème majeur serait à peu près impossible à corriger.

« Il ne faut pas manquer notre coup », résume la scientifique.

Celle qui est aussi coordonnatrice de l’Institut de recherche sur les exoplanètes à l’Université de Montréal espère que le télescope James Webb contribuera à une découverte qui marquerait l’histoire : la détection de signes de vie extraterrestre.

« Ça serait une énorme affaire. Mais ça ne se fera pas comme bien des gens l’imaginent. Ce ne sera pas comme dans le film Contact ! », dit-elle. Elle explique que c’est une biosignature détectée dans l’atmosphère d’une exoplanète (comme l’oxygène, la vapeur d’eau ou le CO2) qui nous mettra sur la piste. Il faudra ensuite éliminer les autres hypothèses.

« Mon rôle sera de modérer les attentes et d’expliquer ce qui se passe », dit-elle.

quelque chose de gigantesque

Née de deux parents ingénieurs, la jeune Nathalie baigne dans la science dès son enfance.

Elle a 10 ans quand la comète Hale-Bopp traverse le ciel. Nuit après nuit, la jeune fille sort de sa maison du quartier Ahuntsic pour la regarder.

« Je n’en revenais pas de savoir qu’on pouvait voir à l’œil nu cette immense boule de glace, de neige sale cosmique… Je me trouvais connectée avec quelque chose de gigantesque. Je me souviens que ça m’a donné un sentiment que je voulais recréer », raconte-t-elle.

L’occasion se présente quelques mois après l’obtention de son doctorat à l’Université Queen’s, effectué sur l’évolution des galaxies dans l’amas de la Vierge. Nous sommes en août 2017 et une éclipse solaire se prépare. Mais pour voir le Soleil complètement masqué par la Lune, il faut se rendre aux États-Unis.

Avec son copain de l’époque, Nathalie saute dans la voiture et met le cap sur le Missouri. À la dernière minute, des nuages menacent de voiler le spectacle. Elle conduit six heures supplémentaires vers l’est, jusqu’à la frontière du Kentucky et du Tennessee.

« J’ai trouvé une chambre fumeurs pour 300 piastres dans un motel vraiment crade du Tennessee, raconte-t-elle. Puis on s’est retrouvés dans le petit parc d’un village du Kentucky de 117 personnes. »

Elle décrit la noirceur qui tombe, les cigales qui commencent à chanter, les lampadaires qui s’allument. Et la température qui chute d’un coup.

« C’est sensoriel, viscéral. Ça te transforme. Je ne suis pas une personne religieuse, mais j’ai compris pourquoi les gens voyaient ça comme un signe de Dieu. »

Une personnalité forte

Nathalie Ouellette n’a jamais été intimidée d’évoluer dans un monde majoritairement masculin.

« Ma mère est une petite femme de 4 pi 11, immigrante vietnamienne, et elle était ingénieure au même niveau que mon père. Alors je n’ai jamais eu ce stéréotype de la femme qui est moins bonne en sciences ou en mathématiques », dit-elle.

C’est lorsqu’elle a commencé à fréquenter les conférences qu’elle a senti une certaine disparité de traitement provenant de certains professeurs plus âgés.

« J’ai une personnalité forte. L’homme qui a une personnalité forte, on dit qu’il est entreprenant, ambitieux, que c’est un bon leader. La femme, on la juge trop imposante. Elle est achalante, gossante. J’ai dû insérer des modificateurs dans ma personnalité pour en adoucir les contours. »

— Nathalie Ouellette

Aujourd’hui, son travail l’amène dans les écoles, où elle incite les filles à prendre leur place en sciences. Sa carrière l’oriente de plus en plus vers la communication scientifique, au point où la recherche prend une place secondaire.

« Une de mes grandes missions, à très long terme, va au-delà de l’astronomie. C’est de contribuer à améliorer la culture scientifique de la société canadienne », dit-elle.

La pandémie de COVID-19 lui a montré à quel point le processus scientifique doit être mieux compris du public. Et pour rejoindre celui-ci, elle laisse désormais libre cours à sa personnalité.

« Je suis une personne assez drôle et loufoque, dit-elle. Avant, j’avais peur de ne pas être crédible en montrant cette facette de ma personnalité. Maintenant, je le fais. Les gens veulent voir que les scientifiques sont aussi des humains. »

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : Je ne bois pas de café ! Sauf pour des boissons à saveur de café hyper sucrées ou pour la crème glacée, je trouve le goût trop amer. Plusieurs trouvent ça très surprenant d’apprendre que j’ai décroché un doctorat sans caféine !

Mon dimanche matin idéal : Faire la grasse matinée et manger un généreux brunch salé (œufs, pommes de terre) et sucré (crêpes, fruits).

La dernière fois où j’ai pleuré : En regardant un documentaire sur Netflix qui parlait de chiens. J’ai les larmes assez faciles, et les animaux sont un de mes points faibles !

Le don que j’aimerais posséder : Est-ce que ça peut être un superpouvoir ? Contrôler le temps (j’essaie de ne pas penser aux implications philosophiques ou aux bris de l’espace-temps !).

Un voyage qui me fait rêver : Visiter l’Asie, particulièrement le Viêtnam, le pays de ma mère.

Née le 10 septembre 1987 à Montréal.

Détient un baccalauréat en physique (Honours) de l’Université McGill et une maîtrise et un doctorat (sur l’évolution des galaxies dans l’amas de la Vierge) de l’Université Queen’s, en Ontario.

A été coordonnatrice des programmes publics et éducatifs de l’Arthur B McDonald Canadian Astroparticle Physics Research Institute de l’Université Queen’s.

Est aujourd’hui coordonnatrice du télescope James Webb au Canada et de l’Institut de recherche sur les exoplanètes à l’Université de Montréal.

Se décrit comme une « ex-workaholic » qui vise maintenant un meilleur équilibre entre la vie personnelle et le travail et qui songe à fonder une famille.

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