Un Beauceron et un Abitibien, ça pédale énormément

« Ce ne sera pas douloureux, mais fais ton testament… »

C’était quelque part en 2005 et Patrice Dionne s’était résigné à mourir. Le Beauceron souffrait d’une maladie cardiaque rare qui l’avait fait atterrir pendant des années sur une liste d’attente pour une greffe du cœur.

Et là, la taloche finale : un diagnostic de cirrhose du foie cardiaque, « pas rapport avec la boisson », précise-t-il. Son foie était, lui aussi, kaput.

Les médecins de l’hôpital Laval à Québec ont signifié à Patrice Dionne que greffer un cœur et un foie, c’était impossible.

D’où cette phrase : fais ton testament…

« J’ai un peu de nonchalance en moi, ça faisait quatre, cinq ans que je me préparais à mourir. Mais là, tu te fais dire : “Tu as juste quatre, cinq mois à vivre…” Comme on dit en Beauce : ça fesse ! »

Si je rapporte aujourd’hui les propos de Patrice Dionne, c’est évidemment qu’il a miraculeusement survécu.

Je résume la suite des évènements : ses médecins de Québec l’ont mis en contact avec une équipe de l’hôpital Royal Victoria de Montréal, où on planchait justement sur un projet de double greffe… 

L’équipe du Royal Vic lui a proposé d’être le premier patient québécois chez qui on tenterait une greffe cœur-foie. « Ils m’ont dit : “Ça n’a jamais été essayé, mais si tu veux, on va l’essayer sur toi…” Que voulais-tu que je réponde, j’étais quasiment déjà mort ! J’ai dit oui ! »

La double greffe a fonctionné. C’était en 2006. Patrice Dionne est désormais âgé de 70 ans.

Ce n’est pas une chronique sur un miracle de la médecine moderne. C’est l’histoire d’un soutien capital dans la guérison de Patrice Dionne : la Maison des greffés Lina-Cyr, à Montréal. C’est une ressource essentielle – j’ose dire : vitale – pour les personnes en attente d’une greffe qui habitent loin de Montréal.

Les greffes d’organe, c’est une hyperspécialité d’hôpitaux de pointe. La majorité des greffes sont donc faites à Montréal. Dans les mois où tu attends un organe, tu es faible, vulnérable, au bout de tes énergies. Et quand sonnera le téléphone pour t’annoncer qu’on a un organe pour toi, eh bien… il faudrait idéalement que tu sois déjà pas loin de Montréal. Car chaque minute compte.

Tu fais quoi si tu vis en Gaspésie ?

En Beauce ?

En Abitibi ?

Au Lac ?

Il y a l’option de louer une chambre d’hôtel à Montréal. Mais bonjour l’endettement, pour des gens qui ne peuvent plus travailler…

C’est ici qu’intervient Lina Cyr, qui a reçu une greffe du foie, en 1987. Gaspésienne, elle a côtoyé à Montréal plusieurs patients en attente, comme elle. Au pire moment de leur vie, il y avait ce souci, pour eux : l’hébergement.

Mme Cyr s’est dit : il faut aider ce monde-là !

C’est ainsi qu’elle a acheté et retapé un vieux couvent de religieuses, angle Sherbrooke et De Lorimier, pour accueillir les patients des régions qui doivent ronger leur frein à Montréal, en attente d’un organe. La Maison des greffés Lina-Cyr a ouvert ses portes en 1994 et depuis, 29 000 personnes y ont été hébergées à prix (très) modique et épaulées par une infrastructure de services médicaux et thérapeutiques.

Patrice Dionne a été l’une de ces personnes, il est devenu résidant de la Maison des greffés en octobre 2005. Lors de son séjour constamment à bout de souffle, il a rencontré Serge Trépanier, homme de hockey d’Amos. M. Trépanier attendait une greffe de foie. L’Abitibien et le Beauceron se sont mutuellement épaulés.

Patrice Dionne se souvient de l’accueil de Lina Cyr (aujourd’hui décédée) et de son empathie, du dévouement du personnel, de la solidarité entre résidants.

Pour garder le peu de forme qu’il lui restait, il s’efforçait de faire des marches rue Sherbrooke, au cours desquelles il devait « [s]’accoter sur chaque poteau de téléphone pour reprendre [son] souffle »…

Patrice Dionne sait qu’au pire moment de sa vie, la Maison des greffés lui a permis de se concentrer sur l’essentiel : survivre. « Mme Cyr nous avait expliqué son histoire, à Serge et à moi, et comment elle finançait les opérations, à coups de soupers spaghetti en région… »

M. Dionne et M. Trépanier se sont dit : il faut aider Lina !

Et une fois greffés, c’est ce qu’ils ont fait.

Chaque année, depuis 2007, ils organisent donc le Défi-vélo de la Maison des greffés. Prépandémie, chaque Défi récoltait des dizaines de milliers de dollars. En 2020 et en 2021, le Défi a eu lieu en virtuel : les récoltes ont été plus maigres, évidemment…

Cette année, le Défi reprend la route du réel : Belœil-Lévis, comme d’habitude. Ça se passe à la mi-juillet. Trois jours de vélo, 320 km. Il faut s’inscrire maintenant. Patrice Dionne et Serge Trépanier, revenus d’entre les morts, pédalent leur vie pour redonner…

« Ç’a été notre mission, après nos greffes », dit Patrice Dionne.

Sans les sous amassés par le Défi-vélo depuis 2007, la Maison des greffés Lina Cyr n’offrirait pas les mêmes services. Peut-être même qu’elle n’offrirait plus de services du tout et que nos concitoyens des régions seraient dans le pétrin, en attente d’une greffe, à Montréal.

Bref, si ça vous tente de pédaler avec des survivants comme MM. Dionne et Trépanier pour une bonne cause…

« Pas trop dur, 320 km, M. Dionne ?

— Pas facile, pas facile ! répond le Beauceron. Il faut que je m’entraîne tout l’hiver. Serge, c’est différent. Serge, c’est un athlète, un ancien du junior majeur, il n’a pas besoin de s’entraîner, disons qu’il nous pousse pas mal dans les côtes… »

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