Un homme détestable Notre polar estival

Chapitre 19 : Ainsi soit-il, que le diable soit avec vous

Ainsi soit-il, que le diable soit avec vous

Michèle Ouimet

William Désormeaux se releva péniblement du prie-Dieu en faisant son signe de croix. Ses genoux protestèrent, son dos aussi. Il se dit qu’il devrait peut-être s’y mettre à ce foutu jogging. C’est sa femme qui serait contente, depuis le temps qu’elle le harcelait.

– Il faut que tu fasses de l’exercice, ne cessait-elle de lui répéter.

– Oui, oui, répondait-il vaguement. Il s’était pourtant juré que jamais, au grand jamais, il n’enfilerait des souliers de course pour faire de ridicules tours de piste dans le parc voisin. Il aurait trop peur de se ridiculiser, lui, le premier ministre. Il imaginait déjà les badauds le montrer du doigt, pendant qu’il ahanerait en traînant son gros ventre. De plus, il avait trop de travail et trop de problèmes.

Il poussa un immense soupir en rajustant son pantalon qui tombait mollement sur ses hanches, ouvrit son tiroir et replaça son chapelet. Il aperçut l’écrin de satin dans lequel il cachait son cilice qu’il n’avait pas utilisé depuis qu’il s’était marié avec Carole. Il le caressa du bout des doigts. Le cilice. Il l’avait porté pendant des années après son adhésion à l’Opus Dei, une organisation secrète ultra-catholique qui avait reçu la bénédiction du pape Pie XII en 1950 et qui rassemblait des hommes puissants.

Le cilice mordait sa chair avec ses pointes de métal. Il souffrait pour expier ses péchés. Cette mortification quotidienne, qui le jetait dans un état de grâce proche de l’exaltation, lui manquait cruellement. Surtout maintenant. Oui, maintenant. Il poussa un nouveau soupir et referma le tiroir.

Les réunions de l’Opus Dei. C’est là qu’il avait fréquenté assidûment Giuseppe Bianchi devenu, à force d’intrigues, cardinal et nonce apostolique. C’est là que tout avait commencé, là qu’il s’était compromis et qu’il avait été pris dans un engrenage infernal, bafouant les lois divines, lui, un homme si pieux. Il sentit un irrésistible besoin de pleurer. « Mon Dieu, pardonnez-moi », supplia-t-il d’une voix larmoyante.

L’image de Carole nue s’ébrouant avec Meursault le frappa soudainement entre deux appels à la miséricorde de Dieu. Il étouffa de rage. « La salope », cracha-t-il entre ses dents. Elle l’avait humilié. « Me faire ça à moi ! Coucher avec cet abruti de Meursault ! Participer à des orgies sur ce yacht damné ! »

Un grand frisson traversa son corps trop lourd, trop vieux.

Mais pourquoi, pourquoi Jésus-Marie-Joseph, s’était-il laissé entraîner dans cette histoire sale et abracadabrante ? Il connaissait la réponse, mais refusait de l’admettre : sa soif de pouvoir.

Quand il avait su que la GRC enquêtait sur lui, il avait appelé Bianchi, paniqué. Bianchi l’avait calmé. Il lui avait dit qu’il s’occupait de tout. Une semaine plus tard, on retrouvait le corps mutilé de Meursault.

Un meurtre ! Jamais il n’aurait cru que cette sale affaire déboucherait sur un meurtre. Il se lamenta. Il était trop vieux pour supporter toutes ces histoires de cadavre, de chantage, de sexe olé olé, de nonce apostolique, de vente de terrain, d’argent – de l’argent maudit –, de pouvoir et de mafia. Il ne s’en sortirait jamais. Il avait travaillé tellement fort pour devenir premier ministre ! Et là, tout était en train de s’écrouler sous ses yeux.

Il était trop vieux, oui, trop vieux. Il n’en pouvait plus, le stress allait le tuer. Depuis que Meursault avait été sauvagement assassiné, il ne dormait plus.

Le cadavre de Meursault mutilé, martyrisé, démembré, brûlé, crucifié. Oui, crucifié. Pourquoi ? Il n’en revenait pas. Pourquoi un tel acharnement ?

Son iPhone sonna. Le bruit strident de la sonnerie égratigna ses nerfs à vif. Il regarda l’afficheur et reconnut le numéro. Il eut la désagréable impression que cet appel ne lui apporterait que de mauvaises nouvelles.

– T’es seul ? lui demanda le commandant Jules Lessard.

– Oui, pourquoi ?

– On vient de retrouver l’avant-bras de Meursault dans une décharge publique. Le tatouage est intact. Vincent de Léon est sur le coup, il va sortir ça. Tu sais ce que ça veut dire.

Désormeaux vacilla. Il eut un moment de panique. Maudits journalistes !

Il raccrocha brutalement. Une sueur glacée recouvra son corps, son cœur battit tellement fort qu’il crut qu’il allait sortir de sa poitrine. Une crise de panique. Ça faisait 50 ans qu’il n’en avait pas eu. Il se força à respirer calmement, comme sa mère le lui avait montré quand, petit, il se réveillait la nuit en criant. Sa mère se précipitait à son chevet, caressait ses cheveux et promenait son crucifix au-dessus de son corps pour exorciser les démons qui le tourmentaient.

« Mon Dieu, mon Dieu, protégez-moi », balbutia Désormeaux.

Il était paralysé par la peur. « Ils vont remonter jusqu’à moi, se dit-il. Tabarnak ! »

Désormeaux ne sacrait jamais. Jamais. Pour lui, c’était un sacrilège, une offense à son Dieu tout-puissant qu’il craignait tant. Pour qu’il lâche un « tabarnak » aussi senti, il fallait qu’il soit plongé dans un état de grande agitation.

Il répéta comme un mantra : le bras de Meursault, le bras de Meursault, le bras de Meursault.

Demain

Marc Cassivi : L’étranger

Résumé du chapitre précédent

« Que diable vient faire la nonciature apostolique dans cette enquête ? », se demande l’inspecteur Panneton, qui a du mal à digérer les révélations du journaliste Vincent de Léon.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.