LUTTE CONTRE LE RACISME

Alors que Québec vient de mettre en place un comité d’élus qui agira contre le racisme, des groupes de défense des minorités visibles appellent à la reconnaissance du problème et le SPVM planche sur une nouvelle stratégie d’embauche diversifiée.

Montréal

Une police blanche

Si vous cherchez des Mehdi, des Josué ou des Christ Amour parmi les recrues du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), vous en trouverez, mais peu : seulement 13 % des policiers embauchés l’an dernier sont issus de minorités visibles. Mais la diversité s’accroît, assure le SPVM, qui prépare une nouvelle stratégie d’embauche. « Il faut vraiment tout mettre en œuvre pour l’augmenter », dit à La Presse l’inspecteur Miguël Alson.

Parmi les quelque 4600 policiers du SPVM, seulement 8,1 % ont partie d’une minorité visible, selon les données de 2019 présentées en janvier à la commission municipale sur la sécurité publique. Les effectifs du SPVM sont donc loin d’être représentatifs de la population qu’ils desservent : le tiers des Montréalais est issu d’une minorité visible (noire, arabe, latino-américain, asiatique, etc.). Montréal accuse un retard important sur les deux autres grandes métropoles du pays. À Toronto et à Vancouver, où environ la moitié de la population est issue d’une minorité visible, 25 % des policiers municipaux font partie de minorités visibles, selon un récent rapport de Statistique Canada.

Lorsqu’on consulte la liste des noms et prénoms des policiers engagés par le SPVM depuis 2018, cette réalité saute aux yeux : les noms à consonance arabe ou moyen-orientale, latino-américaine, asiatique ou haïtienne/africaine se font rares. La Presse en a dénombré 36 en 2018 et en 2019, un nombre qui se rapproche des données du SPVM basées sur l’autodéclaration de ses policiers.

Quelle est la proportion de chaque groupe de minorité visible au SPVM ? Quelle communauté est particulièrement sous-représentée ?

Nous avons posé ces questions à l’inspecteur Miguël Alston, responsable de l’attraction d’une main-d’œuvre diversifiée au SPVM. Le SPVM, dit-il, pourrait établir des statistiques en se basant sur les pays d’origine de ses policiers, mais l’inspecteur Alston n’en tient pas. C’est l’ensemble des groupes cibles, dit-il, que le SPVM cible dans ses efforts de recrutement : minorités visibles (ceux qui ne sont ni blancs ni autochtones), minorités ethniques (les Blancs ayant une autre langue maternelle que le français ou l’anglais, comme les Italiens) et Autochtones.

Miguël Alston rappelle que, pour l’ensemble des groupes cibles, l’embauche a augmenté en 2019

« Il ne faut pas lâcher. Il faut s’assurer que, chaque année, le taux soit suffisamment élevé pour avoir un effet sur l’ensemble des employés. »

— Miguël Alston

Une tâche complexe

Auparavant chef du PDQ 39, à Montréal-Nord, Miguël Alston a hérité du dossier du recrutement diversifié en novembre, après le dépôt d’un rapport indépendant commandé par la Ville de Montréal. Ce rapport révélait qu’entre 2014 et 2017, les personnes autochtones et noires avaient entre quatre et cinq fois plus de risques que les personnes blanches de se faire interpeller par le SPVM.

Les auteurs du dernier rapport ont rédigé diverses recommandations, dont la création d’une politique sur le profilage racial, qui sera présentée en juillet par le SPVM. Le rapport invitait aussi la police montréalaise à « continuer et diversifier les efforts en vue d’améliorer la représentativité des minorités racisées ».

Professeur en sociologie à l’UQAM et coauteur du rapport, Victor Armony ne croit pas que la diversification des policiers soit « une solution magique ». Des études aux États-Unis montrent que, parfois, les membres de minorités, lorsqu’ils sont intégrés aux corps de police, développent des pratiques similaires à celles de leurs collègues, souligne-t-il. « Cela dit, c’est un mouvement qu’il faut faire, et je pense que la police est très consciente de ça », dit-il.

Or, seule une vingtaine de candidats issus de minorités visibles (3,6 %) sortent chaque année de l’École nationale de police du Québec. Selon Victor Armony, plusieurs facteurs expliquent cette faible présence, dont la confiance des communautés envers la police. « Il y a une responsabilité nette, claire, de la part de la police, mais l’environnement aussi les dépasse. Ce n’est pas eux qui contrôlent beaucoup de variables qui font en sorte que ce bassin est si réduit au Québec », nuance le professeur, qui rappelle qu’un récent rapport de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) révélait un déficit de 26 000 emplois dans l’ensemble des services publics au Québec. Par ailleurs, les parents immigrants n’ont pas toujours le réflexe d’encourager leurs enfants à poursuivre une carrière policière.

Les corps de police jouent donc du coude pour embaucher les membres des minorités, même entre provinces. « Souvent, la police d’Ottawa et l’OPP [Ontario Provincial Police] viennent choisir des candidats et des candidates » avant même qu’ils aillent à Nicolet, dit Paul Chablo, coordonnateur du programme de techniques policières au cégep anglophone John Abbott.

« Le problème avec le SPVM, c’est que ses stratégies d’embauche et de communication sont pensées uniquement par des francophones blancs de souche. »

— Paul Chablo, coordonnateur du programme de techniques policières au cégep anglophone John Abbott et inspecteur-chef retraité du SPVM

Selon lui, la police montréalaise devrait organiser des comités de vigie avec des membres de minorités pour améliorer ses méthodes de recrutement et de communication et offrir la possibilité aux recrues de passer leur test d’admission en anglais.

Enfin, Paul Chablo croit que le SPVM aurait aussi avantage à privilégier les candidats ayant étudié à Montréal. « Quand des candidats embauchés au Lac-Saint-Jean ou à Rimouski rencontrent un Noir anglophone dans Côte-des-Neiges, ils n’ont souvent jamais fait affaire avec ces gens-là », souligne-t-il.

Miguël Alston et son équipe mèneront des consultations auprès des policiers issus de minorités et auprès des groupes minoritaires. Des chercheurs universitaires seront aussi mandatés pour repérer les meilleures pratiques d’attraction de la main-d’œuvre. « Il faut vraiment tout mettre en œuvre pour augmenter ça, dit l’inspecteur Alston. Moi, j’y crois. Nos effectifs y croient aussi. Et la population s’attend à ce qu’on fasse notre part. »

Un programme spécial

Le SPVM pallie la rareté des candidats avec son programme de policiers « conventionnels », qui permet à des gens issus d’une minorité et ayant déjà mené des études postsecondaires de suivre une formation plus courte en techniques policières (30 semaines) avant d’aller à Nicolet. Par ailleurs, des policiers issus de minorités promeuvent aussi la profession dans des salons de l’emploi et de l’immigration.

Minorités visibles dans d’autres corps policiers du Québec

Longueuil : 3,6 % (2018)

Sûreté du Québec : 1,8 % (2018)

Québec : 0,2 % (2020)

La Ville de Laval n’a pas répondu à notre demande.

Un comité d’élus pour contrer le racisme

François Legault a mis en place un groupe d’action contre le racisme avec le mandat de lui fournir des recommandations concrètes dès l’automne. Reconnaissant qu’« il y a du racisme au Québec », le premier ministre veut que des actions soient déployées rapidement pour s’y attaquer.

Lors de son point de presse quotidien, lundi, M.  Legault a annoncé la création de ce comité formé d’élus qui sera coprésidé par deux ministres, Lionel Carmant et Nadine Girault, et qui comptera comme membres la ministre Sylvie D’Amours, les députés caquistes Ian Lafrenière, Isabelle Lecours, Denis Lamothe et Christopher Skeete.

François Legault a soutenu que même si la « majorité des Québécois ne sont pas racistes », on ne peut nier qu’il y en a au Québec. Le groupe des sept élus travaillera à trouver des pistes de solution pour réduire le racisme dans plusieurs sphères, dont la sécurité publique, l’emploi, le logement, la justice, les lieux de travail et les écoles.

« Nous avons un rendez-vous avec l’histoire.  »

— Nadine Girault

« Je suis peut-être biaisé comme noir et Québécois, mais la première chose dont j’aimerais discuter est le profilage racial, a souligné Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux. Je pense qu’on peut avoir des solutions à proposer. Personnellement, ce sera un des points importants pour moi. »

Pour la ministre responsable des Affaires autochtones, Sylvie D’Amours, le gouvernement doit aussi faire des efforts. Elle a évoqué le fait qu’un webinaire sera offert aux fonctionnaires pour les sensibiliser à la réalité des Premières Nations et des Inuits. Elle a également raconté qu’à son arrivée comme ministre, elle a monté un cabinet « qui était composé à 50 % d’autochtones ». « Il faut montrer l’exemple », a-t-elle ajouté.

D’ailleurs, à ce propos, François Legault veut que le groupe se penche rapidement sur le problème de l’emploi, un enjeu extrêmement important pour lui.

« Ça n’a pas de bon sens, le taux de chômage chez les minorités visibles ! Ça n’a juste pas de bon sens, et ce, au public comme au privé. Il faut agir de ce côté-là.  »

— François Legault

Le premier ministre a été questionné sur sa décision de ne pas inclure les partis de l’opposition dans ce groupe. « À un moment, il faut agir rapidement, a-t-il lancé. Si on avait parlé d’une commission parlementaire transpartisane, on en aurait eu pour six mois à un an avant de pouvoir passer à l’action. L’idée est d’avoir un groupe gouvernemental pour arriver rapidement avec des recommandations d’actions dès l’automne. » Les partis de l’opposition seront tout de même invités à faire des propositions au comité.

Pour ce qui est du racisme systémique, le gouvernement Legault ne reconnaît toujours pas son existence au Québec. Le premier ministre préfère qu’on se « concentre à lutter contre le racisme » plutôt que d’avoir un débat sémantique sur la question. La ministre des Relations internationales et de la Francophonie, Nadine Girault, partageait le même avis. Elle n’a pas envie de perdre du « temps précieux » à se battre à propos de termes. « Je veux me battre contre le racisme. J’ai été victime de racisme durant ma carrière. Quel type de racisme ? Peu importe, c’est du racisme. »

Un Commissaire dès l’automne à Montréal

Lundi, la mairesse Valérie Plante a mandaté officiellement le directeur général de la Ville pour créer un poste de commissaire à la lutte contre le racisme et à discrimination d’ici l’automne, en réaction au rapport de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) sur ce problème dans les compétences de Montréal. « La Ville doit être un employeur exemplaire, a indiqué lundi matin Mme Plante en conférence de presse. Nous pouvons faire mieux. Nous devons faire mieux. » Dans son rapport, l’OCPM « a noté un malaise ou un manque de volonté chez de nombreux fonctionnaires à identifier les groupes les plus susceptibles de vivre des situations de racisme et de discrimination systémiques dans leur arrondissement ». Selon l’OCPM, la Ville de Montréal, y compris son service de police – dont le directeur actuel nie l’existence du profilage racial, ce qu’avait reconnu son prédécesseur –, a négligé la lutte contre le racisme et la discrimination au fil des ans.

— Kathleen Lévesque, La Presse

le SPVM et la STM réagissent

Le SPVM a réagi, lundi, au dépôt du rapport de l’Office de consultation publique de Montréal sur le racisme et la discrimination systémiques. « Nous réitérons que toutes formes de racisme et de discrimination sont des comportements proscrits dans les pratiques policières et dans l’administration de notre Service. En réponse à la première recommandation du rapport, le SPVM reconnaît le caractère systémique du racisme et de la discrimination et nous nous engageons à agir pour les combattre », peut-on lire dans le communiqué. De son côté, la Société de transport de Montréal « salue l’engagement pour la création d’un poste de commissaire à la lutte au racisme et à la discrimination d’ici l’automne», dans un tweet publié lundi soir.

Racisme

« Il faut reconnaître le problème avant de pouvoir le régler »

Des groupes de défense des minorités visibles saluent la création d’un poste de commissaire à la lutte contre le racisme et la discrimination à la Ville de Montréal. Parallèlement, l’annonce par le premier ministre François Legault de la création d’un groupe d’action contre le racisme a surtout provoqué du scepticisme.

« La mairesse Plante a reconnu qu’il y avait du racisme systémique, mais il faut plus qu’une reconnaissance, il faut des changements concrets, visibles, explique Max Stanley Bazin, porte-parole de la Ligue des Noirs. On ne veut pas qu’il y ait un commissaire, et que rien ne se passe au bout du compte. »

L’annonce lundi par le premier ministre François Legault de la création d’un groupe d’action contre le racisme a été critiquée par des groupes de défense, qui ont rappelé qu’elle arrive environ un an après l’adoption sous le bâillon de la controversée Loi sur la laïcité de l’État.

« La loi 21 est discriminatoire et provoque à ce jour de la détresse chez des Québécois qui font partie des minorités visibles, donc le gouvernement ne peut pas aujourd’hui venir nous dire qu’il est préoccupé par le sort des minorités, dit Stephen Brown, membre du conseil d’administration du Conseil national des musulmans canadiens (CNMC). J’ai l’impression que M. Legault agit surtout parce que le sujet est dans l’actualité. »

M. Brown s’explique mal que le premier ministre continue à nier la présence de racisme systémique malgré de nombreux rapports qui ont conclu à son existence au fil des ans.

« Un raciste systémique, c’est un racisme qui existe de façon plus ou moins régulière à l’intérieur de certains systèmes, comme dans la police avec le profilage racial, comme dans l’embauche, l’accès au logement. Si on n’est pas capable de nommer le racisme systémique, ça m’étonnerait qu’on soit capable de le résoudre. Il faut reconnaître le problème avant de pouvoir le régler. »

Lundi, Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, a appelé le gouvernement Legault à proposer rapidement aux Premières Nations des solutions plutôt que de tenir une nouvelle consultation.

« Proposer une autre consultation m’apparaît pour le moins superflu et pourrait bien être considéré comme inacceptable par une bonne partie de la population des Premières Nations, déjà trop souvent consultée et toujours en attente de mesures concrètes.  »

— Ghislain Picard dans un communiqué

Philippe Meilleur, directeur général de l’organisme Montréal autochtone, croit quant à lui que le gouvernement agit maintenant « car il a peur d’avoir des manifestations violentes comme aux États-Unis ».

M. Meilleur note que les gouvernements sont au courant du problème du racisme envers les autochtones depuis longtemps. Il cite la commission royale en 1990, la Commission de vérité et de réconciliation en 2014, la commission sur les femmes assassinées et disparues et la commission Viens sur le racisme systémique envers les autochtones du Québec.

« Après toutes ces commissions, je n’ai jamais vu de changement, dit-il. On parle ici des témoignages de milliers d’autochtones. Par la suite, pour des raisons partisanes, c’est tabletté. Les rapports existent. Il faut talonner les élus de Québec et de Montréal sur pourquoi ils ne les ont pas déjà mis en application. »

En refusant de reconnaître la présence de racisme systémique dans la société, le gouvernement Legault « joue sur les mots », croit quant à elle Alexandra Pierre, présidente de la Ligue des droits et libertés (LDL).

« Dans sa non-volonté à nommer les choses, c’est difficile de voir comment le gouvernement Legault pourrait arriver avec des solutions qui sont les bonnes, mais laissons la chance au coureur. »

— Alexandra Pierre, présidente de la Ligue des droits et libertés (LDL)

Le bien-être des communautés visibles ne doit pas être vu comme un enjeu marginal : il concerne la vie de centaines de milliers de Québécois, rappelle-t-elle.

« Ça touche une large partie de la population. Le gouvernement a une obligation de résultat, une obligation d’agir. »

Pour Max Stanley Bazin, la question est de savoir de quels pouvoirs jouiront les membres du groupe d’action mis sur pied par Québec ainsi que le commissaire à la lutte contre le racisme et la discrimination.

« Est-ce qu’ils vont avoir le pouvoir de sanctionner ? Est-ce que ce sera seulement des sanctions bonbon ? Il faut que ça soit significatif et exemplaire pour dissuader les gens de faire ce qu’ils faisaient avant », dit-il.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.