Oreilles grandes ouvertes

« Les relations interpersonnelles, c’est tellement compliqué. »

Si tout le courriel m’a plu, cette phrase m’a particulièrement fait sourire. C’est vrai qu’il n’y a pas grand-chose de simple dans le fait d’interagir avec autrui ! Le message provenait d’une lectrice nommée Céline Germain et il portait sur les défis de la communication…

« Je réalise que nous avons beaucoup de misère à écouter. Les gens aiment parler d’eux, mais prendre de tes nouvelles… C’est plutôt rare. Souvent, on commence à parler et la personne devant nous pense déjà à ce qu’elle veut dire. Elle n’est pas en mode écoute. »

Puis, à la fin de son courriel, Céline me demandait comment pourrait-on apprendre à « écouter l’autre en le regardant dans les yeux avec un intérêt sincère ».

À court de réponses, j’ai demandé à deux experts qui enseignent les compétences interpersonnelles de nous offrir un cours en accéléré. Et, d’entrée de jeu, je précise qu’ils ont adoré la requête…

« La première chose à laquelle j’ai pensé, c’est : cette lectrice est très intelligente, m’a lancé Francesca Capozzi. Quelle excellente question ! »

La psychothérapeute et professeure au département de psychologie de l’UQAM estime qu’on tient l’écoute pour acquise, mais qu’on la comprend assez peu…

« Une communication efficace, c’est une communication dans laquelle on est capable d’exprimer nos besoins de manière claire et authentique, puis d’entendre les besoins de l’autre. L’écoute est donc une part importante de la communication efficace, mais c’est difficile d’écouter ! »

– Francesca Capozzi, psychothérapeute et professeure au département de psychologie de l’UQAM

C’est d’ailleurs pourquoi Pierre Khoury, chargé de cours au département de psychologie de l’Université de Montréal, nous invite à écouter consciemment.

« La première étape est de se mettre en mode de réceptivité, dit-il. Sur le plan psychologique, ça demande une conscientisation de notre intention d’écoute. »

Concrètement ? On peut se parler à soi-même, avant de jaser avec quelqu’un ; se dire que c’est l’heure d’être un peu en retrait… Mais on a beau être tout ouïe, comment prouver à notre interlocuteur qu’on l’écoute pour vrai ?

Francesca Capozzi s’intéresse beaucoup à la communication non verbale. Son premier conseil est donc de regarder l’autre dans les yeux. Or, dans certaines cultures, c’est un geste trop intime ou il se peut qu’on ne soit pas à l’aise de croiser longuement le regard d’autrui.

« Dans ce cas, on peut regarder la bouche de la personne, suggère la professeure. Des recherches démontrent que ça nous aide à rester concentrés et que ce n’est pas considéré comme un geste envahissant. Et si on est très gêné, on peut toujours regarder par terre, mais c’est alors important d’ajouter d’autres types de messages, comme hocher souvent la tête ou faire des sons. »

(On parle ici de « mm-mm », pas de sons de train, mettons.)

Toujours dans la lignée des messages verbaux d’écoute active, la psychothérapeute Francesca Capozzi croit en l’importance de paraphraser ce qu’on entend. « Ce que je suggère souvent à mes clients – surtout quand je travaillais avec des ados et leurs parents –, c’est de reformuler dans leurs propres mots ce que l’autre a dit. »

Ce procédé permet à tout le monde de se savoir entendu ou, mieux encore, compris.

Pierre Khoury recommande quant à lui d’adopter des questions ouvertes, soit des phrases qui commencent par « qui », « quoi », « où », « comment », etc. « La question ouverte démontre non seulement de l’intérêt sincère pour l’histoire de l’autre, mais elle agit aussi comme une invitation à se dévoiler davantage », explique-t-il.

Parce qu’il faut savoir que l’empathie est un outil très puissant…

« L’intimité (ou la sensation de proximité à l’autre) est souvent associée à la variable du dévoilement de soi, dans la littérature scientifique. Il y a un mouvement circulaire qui fait en sorte que plus une personne se sent vue et entendue, plus elle risque de se dévoiler et de créer un effet réciproque chez son partenaire… »

– Pierre Khoury, chargé de cours au département de psychologie de l’Université de Montréal

Mieux on écoute, plus on se lie.

En même temps, Céline Germain l’a bien mentionné dans son courriel, on a parfois tendance à prendre trop de place… C’est difficile de se retenir de parler de soi-même. Et il n’y a rien de mal dans le fait d’avoir envie de jaser, on s’entend ! Pierre Khoury nous recommande simplement de ralentir notre prise de parole.

Parce qu’au fond, en interrompant autrui, on passe à côté de quelque chose de beau…

« On perd l’occasion précieuse de connaître l’autre personne, résume Francesca Capozzi. Quand on change de perspective et qu’on comprend que l’écoute est à propos de l’autre et non de nous, une fenêtre s’ouvre soudainement sur le monde de l’autre. »

Rendu là, ça se pourrait qu’on souhaite embellir ledit monde… Qui n’est pas coupable d’avoir offert un conseil non sollicité ? C’est une erreur aussi commune que fallacieuse, selon la professeure et psychothérapeute.

« C’est un réflexe ! Tu le fais parce que tu penses aider, mais tu es encore concentré sur toi et sur ce que tu veux dire. Tu n’es pas dans l’écoute. »

Vaut donc mieux demander à notre interlocuteur ce qu’il espère de nous : une opinion, un conseil ou notre simple attention.

D’ailleurs, ce qui me frappe avec tout ce nouveau savoir, c’est à quel point écouter exige de l’énergie. Ce qui nous mène à une autre faute très commune…

« On fait souvent l’erreur d’être distrait sans le dire, estime Francesca Capozzi. On n’a pas nécessairement toujours l’énergie pour écouter, mais il faut le préciser. Et ça peut se faire avec beaucoup d’amour : “J’ai eu une journée très intense et j’ai juste une moitié de cerveau. Je peux essayer de t’écouter, mais je ne peux pas garantir d’être là à 100 %.” »

La vérité, c’est qu’on est tous et toutes faillibles quand vient le temps d’écouter.

Je termine avec les sages mots de Pierre Khoury : « Dites-vous que la communication empathique est une habileté qui se développe. Ne vous en faites pas si ce n’est pas parfait, votre simple tentative démontrera un intérêt sincère. »

Et n’est-ce pas juste ce qu’on cherche chez l’autre, au fond ? Un intérêt sincère ?

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