Guerre au Yémen

La paix n’est pas pour demain

Plusieurs rapports dans les médias⁠1 au cours des derniers jours ont fait état de négociations entre l’Arabie saoudite et les houthistes, qui s’affrontent violemment depuis bientôt huit ans au Yémen. Y a-t-il une lueur d’espoir ? Peut-on croire que cette guerre, qui a engendré l’une des pires catastrophes humanitaires au monde, pourrait connaître cette année un dénouement heureux après des années d’efforts de paix infructueux ?

Le Yémen, depuis longtemps en proie à l’instabilité et à la violence, est entré dans la phase actuelle de la guerre en 2014, lorsque les houthistes, alors des rebelles basés au nord-ouest, prennent la capitale, Sanaa. L’Arabie saoudite, déjà inquiète de la situation instable chez son voisin méridional, devient alors encore plus anxieuse en raison des relations croissantes entre son grand rival, l’Iran, et les houthistes. Riyad lance donc en mars 2015 une intervention militaire afin de contrer les avancées houthistes et de restaurer le gouvernement internationalement reconnu.

L’intervention est toutefois un désastre pour l’Arabie saoudite. Presque huit ans plus tard, les houthistes contrôlent toujours le nord-ouest du pays et sont plus puissants que jamais.

L’ONU a beau promouvoir un processus de paix, rien n’y fait. Malgré la dévastation de la guerre, les principales parties ne s’y engagent pas sérieusement.

Les belligérants acceptent tout de même une trêve en avril 2022. Si les négociations cherchant à la prolonger échouent en octobre, les principales parties au conflit l’ont, depuis, prolongée informellement, malgré certains incidents.

Belligérants campés sur leurs positions

Les récentes discussions entre les houthistes et l’Arabie saoudite pourraient-elles réussir à jeter les bases d’un processus de paix plus durable ? En cernant les motivations de part et d’autre, on comprend pourquoi la réponse est malheureusement négative. En effet, ni Riyad ni les houthistes ne souhaitent véritablement construire une paix inclusive.

De son côté, l’Arabie saoudite a compris qu’elle ne réussira pas à vaincre les houthistes sur le plan militaire. Elle cherche donc à se désengager, tout en minimisant les coûts de son aventurisme désastreux.

De leur côté, les houthistes, forts d’un soutien iranien devenu beaucoup plus important depuis 2015, sont aujourd’hui dominants au Yémen. Ils n’ont donc aucune intention de faire des concessions sérieuses à l’Arabie saoudite ou au gouvernement internationalement reconnu, aujourd’hui dispersé entre Aden (métropole du sud), Riyad et Abou Dabi. La trêve représente pour eux non pas un premier pas vers une paix durable, mais bien une occasion de reprendre leur souffle, consolider leurs gains et préparer de nouvelles offensives.

Dans ce contexte, les pourparlers actuels pourraient-ils à tout le moins déboucher vers un renouvellement de la trêve entre les houthistes et l’Arabie saoudite ? Plusieurs obstacles sont dressés, dont l’intransigeance des houthistes. Les discussions semblent néanmoins avoir un certain élan, ce qui suggère qu’une entente est possible au cours des prochaines semaines. Un tel dénouement pourrait certainement stabiliser la situation et même réduire les violences, du moins à court terme.

Une entente entre Riyad et les houthistes pourrait, par contre, ne pas être désirable dans la perspective de la construction d’une paix durable et inclusive.

En l’absence d’un processus de paix qui réunirait tous les acteurs clés autour de la table de négociation, et pas seulement ces deux protagonistes, une entente houthistes-Riyad risquerait d’enflammer la situation.

D’abord, le gouvernement internationalement reconnu se sentirait inévitablement trahi par Riyad, pourtant sa source principale de soutien. Ce gouvernement est, en fait, partiellement fictif : il s’agit surtout d’un regroupement hétérogène de factions unies par leur opposition aux houthistes et qui se démarquent par les divisions internes et la corruption ; leur incapacité à construire un front consolidé reste l’une des causes principales des succès houthistes. Il y a donc tout lieu de croire que sa réaction à une telle entente serait méfiante et possiblement hostile.

Les conséquences seraient aussi difficiles au sud, indépendant entre 1967 et 1990. Le sentiment séparatiste, déjà bien répandu, s’est beaucoup mobilisé depuis 2015, notamment grâce au soutien des Émirats arabes unis. Le Conseil de transition du sud, dont les ambitions indépendantistes ne sont pas un secret, est aujourd’hui la force dominante au sud-ouest. Une entente directe entre Riyad et les houthistes pourrait donc l’encourager à faire des gestes sécessionnistes. Un nouveau Yémen du Sud indépendant est peut-être inévitable, mais la séparation ne sera pas harmonieuse.

Enfin, une telle entente consacrerait la domination des houthistes sur le nord-ouest du pays. Il s’agit peut-être d’un autre résultat inévitable. Mais leur gouvernance s’avère de plus en plus répressive, corrompue et obscurantiste. Ce ne serait alors qu’un autre développement tragique pour la population yéménite, déjà épuisée par des décennies de violence et de mauvaise gouvernance.

* Thomas Juneau a publié Le Yémen en guerre (Presses de l’Université de Montréal) dans la collection grand public Le monde en poche, dirigée par le CÉRIUM.

1. Consultez le texte de l’AP : « Yemen rebels, Saudis in back-channel talks to maintain truce » (en anglais)

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