Luc Courchesne

Défricheur de l’art-expérience

Pierre-François Ouellette travaille depuis 17 ans avec Luc Courchesne. Le galeriste montréalais est donc ravi que le pionnier québécois des arts numériques et de la connectivité artistique ait reçu récemment le Prix du Gouverneur général 2021. Avec l’exposition Anamorphoses, il invite le public à découvrir ou à redécouvrir l’univers expérimental de Luc Courchesne et la genèse de ses œuvres.

Photographe depuis l’âge de 17 ans, Luc Courchesne a toujours été une bibitte à part dans le monde de l’art actuel québécois. Un artiste dans la vieille tradition, multidisciplinaire et intellectuel. Un être original, non-conformiste et curieux dont les réflexions ont réellement ouvert la voie à sa propre envergure.

Cet artiste-chercheur respecté et reconnu dans le monde entier est un philosophe de l’espace et de l’image, un défricheur invétéré de l’art-expérience et de la connectivité, un géniteur de mises en scène esthétiques, informatives et immersives. Luc Courchesne a toujours eu une inclination pour la technologie. Pour les secrets et les puissances qu’elle détient, les avenues immenses qu’elle ouvre, les horizons qu’elle franchit et, bien sûr, pour l’art qu’on en tire.

Ses images circulaires créées à partir de son appareil panoramique en sont un exemple. Sa technique lui a permis d’enregistrer, à l’aide d’un miroir catadioptrique, une image à 360 degrés, soit tout ce qu’on peut photographier autour de soi.

« Je n’ai jamais voulu être photographe, dit-il. Mais c’était ma pratique naturelle pour documenter et regarder. Quand j’ai découvert le vidéodisque, je ne voulais pas être cinéaste. Je trouvais ça trop compliqué. Je voulais expérimenter. »

« On est parti d’hypothèses très farfelues par rapport à une pratique artistique et ça a abouti à quelque chose qui s’est consolidé au point que, maintenant, je gagne un prix ! »

— Luc Courchesne

On retrouve au sein de l’exposition plusieurs de ses œuvres des années 1980, comme sa combinaison en mylar, Lightproof Suit, de 1982-1983, lorsqu’il explorait l’impact de la lumière, une œuvre accompagnée d’une brève performance qu’il avait créée sur le sujet. Et L’être au monde, de 1984, qu’il appelle son « Homme de Vitruve », en référence au dessin de Leonardo da Vinci qui avait placé le corps humain dans le contexte de son espace.

« Aujourd’hui, l’espace a changé, observe Luc Courchesne. On parle de réalité virtuelle, de réalité augmentée, d’un espace d’immersion tridimensionnel qui paraît aujourd’hui évident. Comme on l’a effectué à la Société des arts technologiques, on a fait éclater le cadre, on s’est remis en immersion comme on l’était au XIXe siècle avec les panoramas, ou comme je l’ai expérimenté durant Expo 67 au Pavillon du téléphone. »

Le novateur

Luc Courchesne a eu plein d’idées novatrices nées de son intuition, des brèches qui ont participé à l’évolution de l’art et des techniques. Son Portrait no 1, réalisé en 1990, a mené à l’idéation de l’avatar.

« Ça a ouvert l’idée de l’interface personne-ordinateur conversationnelle, ce serait moi qui aurais inventé ça. Je ne le savais pas. J’ai juste eu cette idée. Si on trouve l’art dans la boîte à outils, alors on a une chance de participer à la grande Histoire de l’art. »

— Luc Courchesne

Luc Courchesne aime la posture dans laquelle peut se trouver le spectateur, devenu aussi acteur de l’œuvre. Son Panoscope, dispositif de projection immersive qu’il a commencé à explorer il y a déjà 20 ans, offre au spectateur une variété de paysages et de sensations spatiales. Une autre façon de voir le monde, de se situer dans l’espace.

« Pour moi, l’espace est comme une matrice, affirme l’artiste de 68 ans. On vient au monde dans une matrice : la nature, le monde, notre mère. Le Panoscope est une matrice. D’ailleurs, ses formes sont très féminines. » Comme le sont celles de son œuvre L’origine du monde, de 2009, en verre et métal, nommée d’après le tableau de Gustave Courbet.

Dans Anamorphoses, un regard sur 40 ans de réalisations, l’œuvre la plus récente est une création de réalité augmentée. Il faut demander au galeriste de vous prêter son téléphone intelligent. Vous pourrez alors voir apparaître, dans la petite salle d’exposition, la « croix » de son œuvre L’origine du monde. Objet immatériel autour duquel on peut se déplacer, en manipulant le téléphone et jouant entre réalité et irréalité.

Honneur

« Ce prix du Gouverneur général arrive assez tard dans ma vie, dit Luc Courchesne. Mais ça me dit que j’ai suivi mon intuition. Je le mérite d’une certaine manière, car, avec mon équipe, qui m’a bien entouré, j’ai été une sorte de marathonien. Je me suis permis de me tromper, puis de revenir, ce qui a fait que mon “film” s’est développé sur toute ma vie, en fait. »

Luc Courchesne espère être encore actif à 90 ans parce que, selon lui, le meilleur est à venir. Les outils que les artistes ont à leur disposition aujourd’hui sont incroyables, croit-il. « Mon téléphone est la meilleure caméra que j’ai jamais eue ! Les jeunes de 20 ans sont chanceux. Ils vont nous amener encore ailleurs et explorer des espaces physiques, virtuels ou hybrides. Avec du talent, la puissance des outils actuels et les défis du développement durable, le jeune artiste ne peut qu’être engagé par rapport à l’environnement et, ainsi, avoir beaucoup de pouvoir. On compte sur les jeunes ! »

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