PLUS D’UNE CENTAINE DE CAS DANS UNE USINE D’OLYMEL

Les leçons de Yamachiche 

Le virus s’y est infiltré de manière invisible. En quelques semaines, 129 travailleurs étaient infectés. Comment un abattoir situé dans un petit village de la Mauricie est-il devenu l’un des pires foyers d’éclosion de la COVID-19 au Québec ? À l’heure où les entreprises de la province élaborent leur plan de réouverture, les acteurs sur la ligne de front témoignent des leçons qu’elles peuvent en tirer. 

Un récit de DAPHNÉ CAMERON

Chapitre 1

Le feu souterrain

Quand Marie-Claude Bergeron se retrouve à l’hôpital le 6 avril, elle tousse tellement qu’elle vomit. « Le médecin m’a dit : “Si tu avais attendu encore deux, trois jours avant de venir, tu ne serais plus là” », raconte-t-elle.

Une radiographie confirme le diagnostic. Elle souffre d’une pneumonie, une complication de la COVID-19. On lui administre de l’oxygène et des antibiotiques. Après quelques heures, ses poumons parviennent de nouveau à se saturer d’air, elle peut rentrer à la maison. « Sincèrement, j’ai eu peur qu’ils me gardent. Je n’avais pas envie d’être intubée. »

Originaire de Trois-Rivières, la femme de 46 ans travaille à l’usine de transformation de porc d’Olymel, situé dans le village de Yamachiche. Comme 129 de ses collègues, elle a contracté la COVID-19.

Cet évènement n’est pas isolé. En Amérique du Nord, les employés d’abattoirs infectés au virus SARS-CoV-2 se comptent désormais par milliers.

À High River en Alberta, 821 travailleurs de l’abattoir Cargill ont été déclarés positifs. Ils ont engendré 374 cas additionnels dans la communauté. Ce foyer d’éclosion est responsable du quart des cas dans la province.

Toujours en Alberta, l’usine de transformation JBS est le point d’origine de 581 cas dans la seule ville de Brooks où elle est située.

Au sud de la frontière, 13 usines de transformation animale appartenant aux plus grands acteurs de l’industrie ont fermé temporairement leurs portes au cours du mois d’avril en raison d’éclosions. Au moins 20 travailleurs y auraient succombé, rapporte le syndicat United Food and Commercial Workers International Union.

Mais c’est au Québec, dans cette usine de 1000 employés de Yamachiche, que le phénomène s’est manifesté en premier au Canada, avec des conséquences parfois dramatiques.

Sept employés ont été hospitalisés, dont deux aux soins intensifs. Ils ont survécu. En revanche, ces cas en ont engendré d’autres chez leurs proches. 

Selon la direction régionale de santé publique de la Mauricie-Centre-du-Québec, plus de 20 « cas collatéraux » sont attribuables à l’éclosion de Yamachiche, dont un décès.

Aujourd’hui, 122 des 129 travailleurs sont considérés comme étant « guéris ». La grande majorité est de retour au travail, dans une usine qui a beaucoup changé.

Jouant un rôle de précurseur bien malgré elle, la multinationale québécoise Olymel a dû trouver des façons de réorganiser le travail lorsque la distanciation physique est impossible. Les mesures mises en place servent désormais d’exemple pour toute l’industrie.

« Coude-à-coude »

Marie-Claude Bergeron travaille au département de la découpe. Il y a un an et demi, elle a quitté son poste de préposée aux bénéficiaires qu’elle occupait depuis 15 ans afin de profiter de meilleures conditions de travail pour passer plus de temps avec sa petite fille.

Sur la chaîne d’abattage, son boulot consiste à parer des longes de porc. « On enlève les os et les cartilages », explique-t-elle.

« On est huit coude-à-coude dans la partie désossage. On l’a tous eu ! »

Les premiers signes se sont manifestés le 21 mars : perte du goût et de l’odorat. « À ce moment-là, c’était juste ça. Je n’avais pas de toux, pas de fièvre, rien. »

À l’époque, il n’y a aucun cas confirmé de coronavirus dans l’usine. Cela ne viendra que quatre jours plus tard.

Elle pense donc qu’il s’agit d’une sinusite. Elle s’absente du travail et prend du repos jusqu’au 26 mars. Deux jours après son retour au travail, elle est prise d’une forte fièvre. « Je suis tombée d’aplomb », raconte-t-elle.

« Du 28 mars au 6 avril, ç’a été l’enfer. Je devais rester assise. Je n’étais pas capable de me coucher parce que je toussais trop. J’avais une fièvre en haut de 38,5, c’était atroce. »

— Marie-Claude Bergeron

Le 31 mars, Marie-Claude Bergeron a passé un test pour la COVID-19. Le résultat lui est annoncé le 3 avril au téléphone par la santé publique.

Qui l’a infectée ? Un représentant lui indique qu’elle a probablement contracté le virus 5 à 10 jours avant l’apparition des premiers symptômes.

Elle repense au quart de travail qui correspond à ces dates. « Ça ne paraissait pas. C’était une journée normale comme les autres, je n’ai vu personne tousser. Je n’ai vu personne avoir des malaises. C’est ça qui est spécial quand même. Je n’aurais jamais réalisé que le monde autour de moi était pour tomber comme des mouches. »

Chapitre 2 

« Il fallait amputer »

Un cas. Quatre cas. Neuf cas. Entre le 25 et le 29 mars, les voyants se sont rapidement mis au rouge à la direction régionale de santé publique de la Mauricie-Centre-du-Québec.

« On avait toutes les données devant nous pour dire qu’on s’en allait vers une situation d’éclosion importante », raconte le DJean-Pierre Bergeron, médecin-conseil et chef du service de santé au travail. C’est lui qui a dirigé l’enquête épidémiologique sur les cas survenus à Olymel Yamachiche. Ce travail de moine consiste à établir tous les contacts « de proximité » qu’une personne infectée a pu avoir, c’est-à-dire à moins de deux mètres pendant au moins 15 minutes.

« On savait que les gens étaient très près les uns des autres dans le travail. On avait déjà une dizaine de cas et c’était dans les secteurs que l’on considère comme à risque que le contact s’était fait et qu’ils l’avaient attrapé, alors on s’est dit : “Mon Dieu, ça va exploser, c’est sûr”. »

L’enquête du DBergeron a donc débuté à partir du premier cas, testé le 24 mars et déclaré positif dès le lendemain. « Elle a mis en évidence que les symptômes avaient débuté autour du 14 mars. À mesure que les journées avançaient, on avait de plus en plus de cas qui répondaient tous au même point en commun : c’est qu’ils travaillaient chez Olymel à Yamachiche. »

Il fallait donc agir, et vite.

« Quand on sait que dans cette organisation du travail de chaîne de montage, chaque cas peut engendrer à peu près 10 contacts à risque. Il fallait aussi les isoler. » 

« Faites le calcul : on a neuf cas vers la fin de la semaine, connus, positifs. Chacun engendre une dizaine de cas de contacts : on tombe pas loin de 100 rapidement. »

— Le DJean-Pierre Bergeron

« On s’est rapidement rendu compte qu’on s’en allait vers un bris de production, à 100 et plus travailleurs qu’il fallait mettre en isolement », ajoute celui qui œuvre en médecine du travail depuis 30 ans.

Une réunion s’organise avec la direction d’Olymel, le syndicat des employés, l’Agence canadienne d’inspection des aliments qui compte des inspecteurs en salubrité alimentaire dans l’usine et le ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Pêcheries du Québec.

« Rapidement, en collaboration avec tous ces gens-là, on a convenu qu’il fallait, permettez-moi l’expression, amputer. Pas seulement un petit traitement local parce qu’on s’en allait vers une éclosion importante, alors il fallait amputer et, dans ce cas-là, l’amputation, c’était la fermeture de l’usine pendant une période d’au moins 15 jours pour leur permettre de mettre en place toutes les mesures nécessaires pour contrôler cette situation-là », raconte le DBergeron.

« Je veux vivre »

Le dimanche 29 mars, l’usine ferme pour deux semaines.

Cette journée-là, Éric Trottier est monté « à l’étage COVID-19 » de l’hôpital de Trois-Rivières. Il fait partie des neuf premiers cas qui ont provoqué la fermeture. Il souffre d’insuffisance pulmonaire. Un médecin vient le visiter. Il lui demande son consentement pour être transféré aux soins intensifs si les choses tournent mal. « J’ai dit oui, j’aime la vie ! Je veux vivre et je vais combattre le plus longtemps possible la COVID-19 », relate l’homme de 46 ans.

« Le soir, en me couchant, j’étais un peu inquiet. Demain matin, est-ce que je vais me ramasser aux soins intensifs ? Est-ce que je vais mourir ? », dit celui qui avait d’abord souffert de fièvre, de diarrhée et d’une puissante perte d’appétit qui l’a empêché de manger durant plusieurs jours.

Il a été hébergé dans une chambre à pression négative durant trois jours, on lui a administré de l’oxygène. Il se remet à manger, il reprend du mieux.

Il obtient son congé de l’hôpital le 1er avril. Il est de retour au travail. Il avait hâte.

Qui est le patient zéro ?

Il se demande toutefois qui a pu l’infecter. Est-ce que c’est le collègue qu’il a remplacé au pied levé à son poste le vendredi 13 mars parce qu’il vomissait dans les toilettes ? Est-ce que c’est le travailleur qui toussait lorsqu’il l’a croisé dans un couloir exigu ? Ou était-ce ce confrère qui semblait avoir « la tête qui explose » le lundi soir suivant à la cafétéria ?

Le premier travailleur qui a reçu un diagnostic positif à la COVID-19 est l’un des 900 travailleurs syndiqués de l’usine.

À eux, s’ajoute tous les jours une centaine de travailleurs sous-traitants qui proviennent d’agences de placement qui recrutent des ouvriers à Montréal. Matin et soir, ils arrivent et repartent en autobus. « La probabilité est quand même importante que ce soit arrivé par là, mais on ne peut pas l’affirmer sans aucun doute », explique le Dr Bergeron.

« Le premier cas, ce n’est pas un travailleur d’agence, mais il était entouré de travailleurs d’agence. Les travailleurs d’agence sont difficiles à suivre parce qu’ils repartent dans leurs régions d’origine et, des fois, c’est des Sud-Américains, beaucoup parlent espagnol et ce n’est pas évident de retracer, de faire l’enquête au travers de ces travailleurs-là », explique-t-il.

Dans le cas du premier travailleur infecté, il y avait aussi une histoire d’un contact avec un voyageur. « Les deux hypothèses sont possibles. »

On ne saura donc probablement jamais avec certitude comment la COVID-19 s’est infiltrée à Yamachiche.

Chapitre 3 

L’impossible distance de deux mètres

« Honnêtement, je vous mentirais si je vous disais qu’on n’a pas été pris de court ».

Au bout du fil, Paul Beauchamp, premier vice-président d’Olymel, énumère toutes les mesures qui ont été mises en place pendant la fermeture de l’usine de Yamachiche. « Ça commence par beaucoup de nuits blanches », explique le numéro 2 de l’entreprise.

« On a fait face comme entreprise à du jamais vu, du jamais vécu. Il n’y avait rien dans les livres. Il n’y avait personne à qui on pouvait se référer. »

— Paul Beauchamp, premier vice-président d’Olymel

Évidemment, les chaînes d’abattage n’ont pas été pensées en fonction d’une éventuelle pandémie mondiale.

Dès le départ, Olymel s’est adjoint les services d’un médecin spécialisé dans la prévention des infections. « Il travaille avec nous pratiquement à temps plein pour réfléchir parce que l’expertise n’existait pas dans l’entreprise. »

Toutes les fonctions de l’établissement ont dû faire l’objet d’une fine analyse. Tâche par tâche. « Pour les postes de travail dans lesquels on ne pouvait pas respecter la distanciation de deux mètres, quelles sont les mesures de protection additionnelles pour les travailleurs ? » se sont-ils demandé.

La réflexion s’est effectuée en collaboration avec l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) qui a rédigé un guide de lignes directrices spécifiquement pour les abattoirs.

Lorsqu’il est impossible de travailler à deux mètres de distance, on recommande l’installation de séparateurs physiques ou le port d’un équipement de protection individuel.

Dans les usines d’Olymel, des plexiglas ont été installés partout à travers les chaînes de travail et même entre les tables à la cafétéria.

« Globalement, dans le porc frais, 42 % des employés sont à plus de deux mètres, 54 % des travailleurs travaillent avec des séparateurs physiques entre les différents postes de travail et il y a 4 % qui sont avec d’autres mesures de protection », explique M. Beauchamp.

Pour l’instant, les autobus transportant les travailleurs d’agence originaires de Montréal ont cessé. Un service de navette offert aux travailleurs des villes avoisinantes a toutefois repris. Des séparateurs ont aussi été installés entre les sièges de certains autobus. Les autres véhicules transportent des cohortes très réduites de passagers.

« Avant d’embarquer, ils doivent répondre à un questionnaire, ils doivent se laver les mains et ils doivent souvent porter une visière ou une cagoule. Lorsqu’ils arrivent à l’usine, ils sont soumis à un lavage de mains et à un questionnaire. Il y a des gardiens qui s’assurent qu’il n’y ait pas d’attroupement. »

Les horaires ont aussi été ajustés pour éviter que les deux quarts de travail se croisent. Des roulottes ont été installées à l’extérieur pour créer de nouveaux espaces afin d’éviter qu’il y ait trop d’employés en pause au même endroit en même temps.

« On a maintenant des gens qui ne font que se promener pour désinfecter les rampes, les barres de portes, les poignées et les salles de toilette », dit-il.

Les employés ont aussi droit à une prime salariale de 2 $ l’heure. En temps normal, les salaires oscillent entre 16,55 $ et 22,40 $ l’heure.

Des « fers de lance »

Pour l’instant, ces mesures semblent avoir fonctionné. Depuis la réouverture de l’usine de Yamachiche, le 14 avril, on ne recense qu’un seul nouveau cas. « Ça veut dire que les mesures de mitigation ont fait en sorte que les milieux de travail ne sont plus des lieux de propagation », souligne Paul Beauchamp.

D’autres usines d’Olymel ont été affectées par la COVID-19. À Ange-Gardien, en Montérégie, on recense 71 cas, à Saint-Esprit, dans Lanaudière, 31 cas, et à Vallée-Jonction, en Beauce, 16 cas.

Olymel exploite 35 usines au pays, dont 24 au Québec. Sur les 15 000 employés, il y a eu 259 cas au total dans sept lieux de travail.

Les mesures d’atténuation ont été mises en place dans l’ensemble des établissements de l’entreprise. « Ils doivent respecter le protocole à la lettre », dit M. Beauchamp.

« Comme on était la première usine au Canada pratiquement à être touchée par des cas de COVID-19, on a pris ces mesures-là et on les a mises dans l’ensemble du pays. Dans les autres juridictions, on nous a donné en exemple. »

— Paul Beauchamp, premier vice-président d’Olymel

Olymel a aussi transmis des photos des mesures prises dans ses usines à des organismes de santé sur différents territoires. « On a été un peu le fer de lance de l’industrie de l’abattage », explique le Dr Jean-Claude Bergeron.

« Cette fermeture-là a alerté beaucoup de gens qui se sont dit : “Il ne faut pas attendre que des éclosions arrivent ailleurs parce qu’on va interrompre la chaîne alimentaire du Québec. Donc il faut mettre en place des mesures de prévention.” Donc ça a servi beaucoup aux autres », croit-il.

Directrice de santé publique de la Mauricie-Centre-du-Québec, la Dre Marie-Josée Godi a été aux premières loges de cette crise. Elle observe que dans les mois à venir, le Québec sera pris à faire l’équilibre entre les enjeux sanitaires et les enjeux économiques.

« Toutes les personnes qui vont reprendre les activités bientôt dans certains secteurs d’activité, ce sera important qu’elles soient à l’affût de leurs symptômes, qu’elles se fassent dépister et qu'elles restent en retrait avec de l’autosoin chez elles, plutôt que de rentrer et d’être le vecteur de ce virus au sein de leur milieu de travail », explique-t-elle.

« Je pense que les enjeux sanitaires sont très importants parce que pour faire tourner l’économie, il faut qu’il y ait des travailleurs en santé. Donc la prévention et les mesures qui sont prises doivent demeurer à la fois les préoccupations des employeurs, des secteurs économiques, mais aussi de la population et des travailleurs. »

Chapitre 4

Travailleurs de l’ombre, travailleurs essentiels

« Tant qu’à avoir vécu un certain drame, on ne veut pas que ce soit en vain. »

Janick Vallières est le délégué syndical en chef de l’usine Olymel de Yamachiche. Il espère que ce qu’il s’est produit au sein de son abattoir servira d’exemple et encouragera les entreprises à être proactives pour éviter des éclosions importantes.

« Le problème de la distanciation sociale, je ne crois pas qu’il soit exclusif à l’agroalimentaire. C’est un problème de conception industrielle de travail à la chaîne. Sauf que là, les cas de COVID-19 sont surreprésentés dans les services agroalimentaires parce que c’est eux qui ont été ciblés, avec raison, comme service essentiel et qu’ils sont toujours en activité », dit M. Vallières, des Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce (TUAC), local 1991 P.

Il pense que l’entreprise a agi rapidement pour fermer l’usine et qu’il s’agissait de la mesure à prendre dans les circonstances. 

« Je peux reprocher certaines choses à l’employeur en ce qui a trait aux mesures prises avant la fermeture ; par contre, en ce qui a trait au délai de fermeture, il était approprié dans les circonstances. »

— Janick Vallières, délégué syndical en chef de l’usine Olymel de Yamachiche

Par exemple, ce dernier aurait aimé voir l’installation des plexiglas dans les premières semaines de la pandémie, alors que les épiceries et les pharmacies avaient déjà adopté la pratique.

« Après coup, c’est toujours facile de faire un constat. Oui, il y a eu certaines lacunes, par contre, je ne rajouterais pas de la mauvaise foi. Il y a des choses supplémentaires qui auraient pu être faites, des choses qui le sont en ce moment », explique-t-il.

Des semaines difficiles

Il ne cache pas que les dernières semaines ont été difficiles pour ses troupes. Avec la fermeture de l’usine, des soucis financiers se sont ajoutés aux problèmes de santé. La tension est palpable dans l’usine, dit-il.

Ce qu’il souhaite avant tout, c’est que les Québécois reconnaissent le travail des employés dans les secteurs essentiels, qui risquent leur santé pour nourrir les citoyens. Des travailleurs de l’ombre.

« On ne veut pas en entendre parler, des abattoirs, dit-il. On veut le manger, notre steak, mais on ne veut pas nécessairement voir comment il a été fait. »

« Ce qui est triste, mais que j’essaie de voir comme une bonne chose, c’est que la crise actuelle permet aux gens de se rendre compte que ces emplois-là sont importants. »

— Janick Vallières

Il faut aussi mettre un visage sur la problématique des travailleurs essentiels infectés à la COVID-19, pense-t-il. Des visages comme celui de Giovanni Gopinauth.

« C’est vraiment traumatisant, d’une certaine façon, quand l’infirmière vous téléphone un dimanche matin et vous annonce que hop, c’est positif. Ce n’est pas le même positif qu’un test de grossesse, ça ! », lance Giovanni Gopinauth à la blague.

Le rêve québécois

Originaire de l’île Maurice, le père de deux enfants est arrivé au Québec en 2018. « À 40 ans, j’ai tout laissé derrière moi pour trouver un meilleur avenir, surtout pour mes enfants », dit celui qui a été recruté par une agence dans son pays natal afin de pallier le manque de main-d’œuvre québécoise dans le secteur agroalimentaire. Il travaille dans le quart de soir, de 15 h 45 à minuit, comme préposé à la découpe. Il fait partie des employés syndiqués.

« J’ai fait un sacrifice, j’ai pensé aux enfants. J’ai effectué vraiment des travaux très, très durs dans ma vie pour subvenir aux besoins de la famille. Quand je regardais mes enfants, je me disais, eux ne méritent pas de continuer à vivre comme ça. »

C’est donc loin de sa famille qu’il n’a pas vue depuis près de deux ans qu’il a affronté la maladie.

Fièvre, quintes de toux, grands frissons : il s’est isolé dans son appartement de Yamachiche, qu’il partage avec trois autres travailleurs étrangers de l’usine.

Deux d’entre eux, originaires de Madagascar, sont aussi tombés malades après lui. Ils partageaient une chambre. L’un des deux s’est installé un lit de fortune dans le salon, car les trois colocataires infectés devaient s’isoler les uns des autres pendant leur quarantaine. « Je ne pouvais même pas sortir de ma chambre. Je devais parler à haute voix pour faire savoir à mes colocataires que je m’en venais ! »

Durant deux semaines, des amis québécois ont fait l’épicerie pour lui.

Giovanni Gopinauth rêve de devenir québécois et de faire immigrer sa famille ici. En attendant, il prévoyait de visiter ses proches en décembre prochain.

« On se dit qu’on va vers d’autres horizons pour se dire qu’on va trouver mieux, mais la famille, c’est vraiment important », dit celui qui admet verser beaucoup de larmes lorsqu’il se sent seul et qu’il s’ennuie de sa femme et de ses deux garçons. « Tout le temps, on a des obstacles à franchir. Cette pandémie est venue se rajouter à tout ça. »

Il espère que cette épreuve va le rapprocher des gens de sa communauté d’adoption.

« On a encore des beaux jours devant nous, on espère juste que ça va bien aller. »

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