Alcoolorexie

Régime d’alcool

En 2011, Lady Gaga a révélé dans une entrevue radio qu’elle suivait un « régime de soulard » : elle mangeait peu, carburait au whisky et s’entraînait tous les jours, quitte à le faire avec une gueule de bois, afin de ne pas prendre de poids. Lubie de star ? Malheureusement, non. Selon de récentes études, un jeune adulte américain sur quatre adopterait ce comportement qu’on appelle alcoolorexie.

Coincés entre leur image corporelle et leur penchant pour les soirées bien arrosées, les alcoolorexiques font le choix de se priver de nourriture pour s’enivrer sans culpabiliser. Pour eux, le calcul est simple : les calories normalement ingérées pendant le repas sont remplacées par les nombreuses calories contenues dans l’alcool.

Car il faut le dire, les boissons alcoolisées sont loin d’être légères. Une consommation renferme en moyenne entre 100 et 220 calories, soit l’équivalent d’une quinzaine de frites. « Mais dans ce cas, une calorie n’en vaut pas une autre, met en garde Hubert Sacy, directeur général d’Éduc’alcool. Ces personnes dépossèdent leur corps des calories essentielles contenues dans les aliments pour les troquer contre des calories vides. Et les effets sont d’autant plus nocifs parce qu’elles ingurgitent de l’alcool en grande quantité – les alcoolorexiques ne connaissent pas la modération –, et elles le font à jeun. »

Quand l’estomac est vide, l’alcool se retrouve en moins de deux dans le sang, puis partout dans l’organisme, y compris dans le cerveau. C’est pourquoi l’intoxication est beaucoup plus rapide. L’individu souffrira alors de nausées, de maux de tête et possiblement de black-outs, des pertes de mémoire temporaires. D’autres conséquences sont aussi à craindre. « La privation de nourriture et l’abus d’alcool sont liés à une augmentation des relations sexuelles non protégées, ainsi qu’à une hausse des hospitalisations dues aux surdoses d’alcool », révèle Daniella Sieukaran, étudiante à la maîtrise à l’Université Simon Fraser en Colombie-Britannique, qui mène des recherches sur l’alcoolorexie.

À long terme, les individus qui boivent fréquemment de cette manière mettent leur santé en péril. Ce qui les attend ? Inflammation du foie, des reins et des poumons, malnutrition, anxiété, stress, fatigue constante, obsession, dépression, sans compter la dépendance à l’alcool.

Une tendance sous-rapportée ?

Bonne nouvelle : l’alcoolorexie demeure peu répandue au Québec. « On s’en tire mieux que les autres, observe Hubert Sacy. Peut-être parce que nous n’avons pas la même culture que les Anglo-Saxons qui s’intoxiquent souvent fortement ou parce que nous faisons beaucoup de campagnes de sensibilisation. »

Peut-être aussi parce que ce comportement serait tout simplement peu rapporté. « L’alcoolorexie est un sous-symptôme du trouble alimentaire, signale Geneviève Dumont, coordonnatrice clinique chez Anorexie et boulimie Québec. C’est une habitude qui est à la fois taboue et qui génère peu de souffrance. Ces personnes ne chercheront pas d’aide tant et aussi longtemps qu’elles ne perdront pas le contrôle. »

Selon Mme Dumont, l’alcoolorexie s’apparenterait à la boulimie. « Comme les boulimiques, les alcoolorexiques mangent peu et finissent par faire des excès – dans leur cas, en buvant trop. Après coup, ils se sentent coupables et compensent par des moyens malsains, entre autres en vomissant… Ce qui arrive facilement quand on est soûl. »

Une étude menée en 2012 auprès de 22 000 étudiants issus d’une quarantaine d’universités américaines a d’ailleurs démontré que ceux qui vomissent ou utilisent des laxatifs pour perdre du poids ont 76 % plus de risques de s’adonner au calage d’alcool. Le responsable de cette recherche, le professeur Adam E. Barry, de l’Université de la Floride, a aussi découvert que les étudiants qui font de l’entraînement musculaire de haute intensité sont plus à risque de boire de façon excessive. « Cela semble contre-intuitif, mais nos travaux confirment que les grands buveurs font plus d’exercice que les personnes sobres et que leur consommation d’alcool augmente au même rythme que leurs séances d’activité », indique le chercheur.

Être mince et soûl

L’alcoolorexie est davantage le lot des femmes, notamment des étudiantes, des jeunes célibataires et des posh mommies, des mamans BCBG (bon chic bon genre), selon Hubert Sacy. « Ce sont des filles anxieuses, performantes, exigeantes envers elles-mêmes et sensibles à la critique, ajoute Geneviève Dumont. Elles ont une faible estime d’elles-mêmes et veulent plaire aux autres. »

Mais les hommes ne sont pas en reste. « Seulement, leurs moyens compensatoires sont différents, signale Adam E. Barry. Les hommes s’entraîneront, tandis que les femmes sauteront des repas. »

Les fabricants d’alcools et de spiritueux n’hésitent pas à jouer avec les incertitudes de ces hommes et ces femmes. On le constate avec la mise en marché de bières faibles en calories et de la gamme de cocktails Skinnygirl. « C’est aberrant ! s’insurge Geneviève Dumont. C’est un phénomène qu’on encourage. »

En effet. Si l’alcoolorexie est liée à un malaise personnel au départ, elle est néanmoins valorisée dans certains milieux où, comme l’affirme Hubert Sacy, « il est plus acceptable d’être soûl et mince que d’être sobre et gros ».

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