Un homme détestable Notre polar estival

Chapitre 3 : Un grand vin

La tête d’Antoine Meursault fut envoyée au laboratoire de l’Institut. Au bout du fil, l’inspecteur qui avait déballé l’amas sanguinolent de traits défigurés raconta avoir vomi de dégoût dans une des corbeilles de l’AMF. Panneton ferma son portable en pensant qu’on venait de lui couper l’appétit pour la soirée. Il tenta de nouveau de joindre sa femme, perturbé par cette soudaine rupture dans la mécanique huilée de leurs habitudes. Où était-elle donc ?

Il démarra sa voiture et quitta les hauteurs trop feutrées de Westmount, l’esprit tendu. Il ne comprenait toujours pas pourquoi on lui avait confié cette enquête, lui qui héritait toujours des dossiers sans éclat, des meurtres sordides à la petite semaine, des homicides involontaires commis par des fous ou des désespérés. Était-ce un test, une épreuve ou une invitation à échouer ?

Il voulut rentrer à la maison, mais à la dernière minute, sans trop savoir pourquoi, il décida de bifurquer vers le bureau.

La bouteille l’attendait entre deux piles de paperasse. Droite comme un soldat dans un cercueil vertical en bois. Pas de carte. Seulement une étiquette adressée à son nom.

Panneton crut un instant à une plaisanterie. Il y avait quelques farceurs dans le service qui aimaient bien de temps à autre se payer sa gueule. Il tendit la main vers le cercueil qui était en réalité un coffret cadeau. Panneton leva lentement la glissière du coffret, révélant une bouteille de vin au liquide rubis. Il lut l’inscription sur l’étiquette : Domaine Jacques Prieur, Meursault, Clos de Mazeray 2000.

Panneton ne connaissait rien aux vins, mais il savait lire le nom d’un cadavre, quand sa menace voilée clignotait au néon devant ses yeux.

— T’acceptes les pots-de-vin maintenant ? lui lança à la blague l’inspecteur Bégin, qui passait devant lui.

Pour toute réponse, Panneton fila avec le coffret vers le bureau de la réceptionniste.

— Qui a amené ça ? demanda-t-il sans préambule à la réceptionniste de soir, qui portait ce jour-là une robe ballon rose bonbon.

Pascale Prévost releva la tête et cessa de se limer les ongles.

— Aucune idée. Je viens d’arriver.

Aveuglé par le rose tonitruant qui auréolait la jeune femme, Panneton perdit momentanément son aplomb. C’est le moment que choisit sa femme pour sortir de l’ascenseur et pour cogner contre la porte vitrée du service, l’air échevelé. Panneton s’empressa de déverrouiller la porte avec sa carte magnétique. À peine entrée, sa femme ouvrit son sac et en sortit le coffret en bois d’une bouteille de Meursault identique à celle que Panneton tenait dans ses mains.

— C’était sur la pas de la porte chez nous à ton nom, fit-elle avec une pointe d’anxiété.

Une seule réflexion traversa l’esprit pétrifié de Panneton : « Ils savent où j’habite. »

Demain

Patrick Lagacé : Le Dude

Résumé du chapitre précédent 

La tête de l’homme d’affaires Antoine Meursault, assassiné et démembré dans des circonstances mystérieuses, a été retrouvée, emballée dans un numéro de l’Osservatore Romano qui annonçait l’élection du pape François. Sur le front de la victime, une note tirée des Béatitudes : « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés ! » L’inspecteur-chef Roger Panneton poursuit son enquête.

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