Liban

De la téléréalité à la politique

BEYROUTH

 — Encore aujourd’hui, au Liban, les anciens seigneurs de guerre et les chefs religieux continuent de faire la loi. Difficile pour les citoyens ordinaires qui ne sont pas issus de clans familiaux de se lancer en politique. Mais une nouvelle émission de téléréalité, Al Zaim (Le leader), promet de révolutionner le paysage politique du Liban.

Ils sont 15 concurrents à s’affronter, cinq soirs par semaine, sur les ondes de la chaîne de télévision libanaise Al Jadeed, dans une nouvelle téléréalité à saveur politique.

Pendant deux mois, les aspirants politiciens – pour la plupart totalement inconnus du public – tentent de gagner le cœur des Libanais et de convaincre le jury en s’affrontant dans une série d’épreuves destinées à évaluer leur potentiel de leader.

Le vainqueur aura la chance de se présenter en tant que candidat indépendant aux élections législatives libanaises, prévues en juin (mais toujours très incertaines), et pourra compter sur le soutien financier de la chaîne pour sa campagne électorale. Rien de moins.

La parole aux « sans-voix »

Du haut des bureaux de la télévision Al Jadeed, dans les quartiers ouest de Beyrouth, Karma Khayyat codirige le département des nouvelles et des programmes politiques de la chaîne. C’est elle qui a eu l’idée du concept d’Al Zaim.

Selon elle, l’émission pourrait bouleverser les mœurs politiques en donnant la possibilité aux citoyens ordinaires de se lancer dans l’arène politique, dominée par les clans familiaux depuis des années et plus récemment par de nouveaux milliardaires.

Le président libanais Michel Suleiman et le ministre de l’Intérieur Ziad Baroud ont d’ailleurs apporté leur soutien en participant à la première de l’émission, le 26 février.

Les détracteurs de ce curieux mélange de politique et de divertissement n’ont pas manqué de dénoncer une instrumentalisation des problèmes politiques et des frustrations des Libanais, ainsi que le choix des participants. La plus connue est Myriam Klink, une bimbo botoxée qui est devenue la risée des réseaux sociaux après une chanson controversée dans un talk-show, l’été dernier.

« Le concept n’est pas de choisir des doctorants, mais des gens du peuple. Des dizaines de milliers de Libanais s’identifient à Myriam Klink », se défend Karma Khayyat.

Lors d’un épisode consacré aux problèmes d’électricité dans le nord du pays, la chanteuse, perchée sur ses talons aiguilles, a arpenté les rues de Tripoli. La balade a cependant été écourtée par des salafistes armés qui ont chassé toute l’équipe. La blonde s’est finalement retirée de l’émission au début du mois d’avril en promettant de continuer sa carrière politique de son côté.

À chaque parti politique son média

Dans un pays où huit des neuf réseaux de télé sont directement affiliés à un parti politique ou à une faction religieuse, Al Jadeed ne fait pas exception. Son fondateur, Tahsin Khayyat, le père de Karma Khayyat, est un puissant homme d’affaires musulman sunnite de Beyrouth qui n’a jamais caché ses ambitions politiques.

« Tahsin Khayyat est le Donald Trump du Liban. Il n’est pas directement affilié à un parti, mais je pense qu’il a toujours voulu accéder au poste de premier ministre. Ça ne m’étonnerait pas qu’il utilise cette émission pour se rapprocher de ses objectifs politiques. Il peut par exemple identifier, à travers les votes du public et leur réaction aux enjeux abordés, ce qui préoccupe les Libanais », explique l’analyste politique et journaliste Carol Malouf.

C’est précisément pour cette raison que l’activiste politique et blogueur Khodor Salameh a refusé de participer à l’émission. « L’agenda politique de la chaîne jouera forcément un rôle dans le choix du candidat gagnant, affirme-t-il. Mais c’est tout de même le public qui décidera d’accepter ou de refuser cette solution de rechange à nos politiciens traditionnels. Malheureusement, l’impact d’une téléréalité se termine souvent au moment où l’émission s’achève, alors c’est probablement ce qui arrivera au candidat gagnant. »

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