Une homme détestable Notre polar estival

Chapitre 6 : Cherchez la femme

En entrant au QG, Panneton se sentit nauséeux. Il était submergé par les problèmes. D’abord, il héritait de cette enquête complexe et délicate. Ensuite, il recevait des menaces. Et maintenant, cette rencontre avec un fantôme du passé. Tout cela, en l’espace d’une petite semaine… C’était trop.

Et le pire, c’est que c’était loin d’être terminé, songea-t-il : son patron l’avait affecté au rapport ce matin. Comme l’enquête n’avait pas progressé — pas la moindre piste concrète, malgré 12 tonnes de suspects —, le rapport risquait d’être assez peu substantiel.

Arrivé à son bureau, il se laissa lourdement tomber dans sa chaise.

— Pas facile, la vie, mon Roger ? lui dit l’inspecteur Bégin, un petit sourire en coin.

Panneton lui répondit d’un vague signe de la main. Il n’était pas d’humeur à faire causette.

— Panneton, dans mon bureau ! aboya son chef.

Roger Panneton s’en fut à pas lourds dans le bureau fermé de Jules Lessard. Comme tous les matins, Lessard tenait un café Tim Hortons dans sa grosse paluche. Et, comme toujours, il attendait. Le silence. C’était sa technique. On finissait toujours par trop parler avec ce gars-là, parce qu’on cherchait à tout prix à meubler ce damné silence.

— Alors ? se borna à dire Lessard après un moment.

Et c’est à cet instant que la première bonne nouvelle depuis des jours arriva pour Roger Panneton. Son téléphone sonna. C’était une fille.

— C’est vous qui êtes chargé de l’enquête sur Meursault ? J’ai des infos pour vous.

— Quel genre d’infos ?

— Du bon stock.

— Où est-ce que vous êtes ?

— 2367 Frontenac, près d’Ontario. Appartement 1.

Avec cet appel providentiel, l’inspecteur Panneton put couper court à cette réunion qui s’annonçait désastreuse. Vingt minutes plus tard, il garait sa voiture un peu au sud d’Ontario. Il jeta un coup d’œil à l’immeuble. Ça sentait le taudis.

En demi-sous-sol, une fenêtre était grande ouverte. Il vit une fille, assise sur un lit, qui éteignît précipitamment une cigarette. Un odeur de pot parvint jusqu’à lui. Crisse, pensa-t-il. Une junkie mythomane.

La fille lui ouvrit sans qu’il frappe. Elle était maigre à faire peur. Ses dents étaient mauvaises, son visage, ravagé. Mais ses yeux étaient vifs. Elle n’était peut-être pas complètement barjo, se dit-il.

— Assoyez-vous, dit la fille, en désignant une chaise.

La pièce était minuscule, de la taille d’un petit salon. La fille lui tendit la main.

— Tania.

— Roger Panneton.

Panneton prit place dans la chaise et se lança.

— Alors, vous avez connu Antoine Meursault ?

— J’ai couché avec lui pendant à peu près six mois.

Panneton se retint de lever les yeux au ciel. Cette fille-là, maîtresse de Meursault ? Impensable. Elle lut le scepticisme dans ses yeux.

— Je sais, c’est dur à croire, mais j’étais crissement belle il y a un an. C’est la meth qui m’a détruite. 

Elle attrapa une pile de photos sur la commode. Elle les passa en revue, puis lui en jeta une.

Elle était là, blonde et spectaculaire, ses formes mises en valeur par un bikini rouge. Elle était couchée sur un transat aux côtés d’Antoine Meursault. Panneton regarda la femme qu’il avait devant lui, une sorte de mauvaise photocopie de la fille de la photo.

— J’ai été escorte de luxe pendant plusieurs années. Meursault a été un habitué. Sur la photo, c’est un congrès au Mexique.

— Et ça s’est terminé quand, votre... relation ?

— Il y a un an. Ça a mal fini. C’est moi qui ai porté plainte contre lui pour agression sexuelle.

Elle fit une pause. Elle serra les dents.

— J’avais beau être une pute, y’a des choses qui se font pas.

Nouvelle pause.

— Mais j’ai abandonné ma plainte. Je suis partie sur la meth. Une pute, junkie en plus : pas une chance devant un tribunal.

— Au téléphone, vous m’avez dit que vous aviez des infos.

Elle lui sourit.

— Un jour, on était dans son loft, au centre-ville. Il l'appelait sa garçonnière. On se rencontrait souvent là sur l’heure du dîner. Ce jour-là, on prenait un verre au salon et quelqu’un a sonné à la porte. Ça m’a surprise. Il n’y avait jamais de visiteurs. Antoine m’a dit d’aller dans la chambre et de me préparer.

— Et ? fit Panneton.

— J’y suis allée. Mais avant d’entrer, j’ai bien vu la personne qui arrivait. C’était Enzo Battaglia.

Panneton sentit son épine dorsale se transformer en glace.

— Le parrain de la mafia sicilienne ? balbutia-t-il.

— Ouais. Exactement. Ça m’a intriguée. Fait que j’ai écouté.

— De quoi parlaient-ils ?

Panneton était sur le bout de sa chaise.

— D’un terrain, à L’Île-des-Sœurs.

Meursault avait récemment vendu un terrain à L’Île-des-Sœurs, se souvint Panneton. Mais il ne l’avait pas cédé à Battaglia. Caché derrière plusieurs hommes de paille, l’acheteur était un chef motard, le caïd de l’Est, Bill le Pape Bouchard. Le journaliste Vincent de Léon avait publié plusieurs papiers là-dessus.

La fille le regardait en souriant. Elle suivait parfaitement le fil de ses pensées.

— D’après moi, ils se sont chicanés pour ce terrain-là. Et c’est Meursault qui a payé la note.

Demain

Hugo Dumas : Haut les cœurs

Résumé du chapitre précédent

Dans un bistro de Rosemont, l’inspecteur Roger Panneton, chargé de l’enquête sur la mort de l’homme d’affaires Antoine Meursault, croise un fantôme sorti tout droit du passé : Serge Tougas, un ami d’enfance avec qui il a jadis mis le feu à une maison abandonnée. L’incendie a causé la mort d’une sans-abri. Trente ans plus tard, ce lourd secret est le seul point commun entre les deux hommes.

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