International

Trois démocraties d’Asie face à la guerre en Ukraine

La guerre en Ukraine bouleverse l’échiquier diplomatique et stratégique mondial, et force les États à se positionner. En Asie, le Japon, la Corée du Sud et la Mongolie, trois démocraties libérales proches des pays occidentaux alliés contre Moscou, n’aboutissent pourtant pas toutes clairement dans le même camp. Une question d’intérêts stratégiques plus que de valeurs.

La volte-face du Japon

L’invasion russe a provoqué un remarquable renversement de la position du Japon face à Moscou. Pendant près d’une dizaine d’années, le gouvernement de l’ancien premier ministre Shinzo Abe avait fait le pari du rapprochement avec Vladimir Poutine dans l’espoir de récupérer quatre îles dont la Russie avait pris contrôle à la suite de la Seconde Guerre mondiale. Voilà pourquoi, en 2014, après l’annexion de la Crimée par la Russie, le Japon s’était contenté d’imposer de modestes sanctions contre le régime de Poutine, contrairement aux autres membres du G7. Tokyo craignait de s’aliéner Moscou et de voir ainsi s’amenuiser ses chances déjà minces d’en venir à une entente sur ces îles, qu’il appelle les Territoires du Nord et son vis-à-vis, les îles Kouriles du Sud.

Au déclenchement de la guerre en Ukraine, le gouvernement japonais, dirigé par le nouveau premier ministre Fumio Kishida, a abandonné sa retenue habituelle. Non seulement il s’est joint aux puissances occidentales afin de coordonner les sanctions contre Moscou, mais il y a aussi ajouté ses sanctions unilatérales visant des individus et organisations russes.

À la fin d’avril, Tokyo a haussé le ton, qualifiant la présence russe dans les Territoires du Nord d’« occupation illégale », un langage hautement inhabituel.

Son activisme s’étend à l’Asie du Sud-Est. Lors d’une tournée diplomatique en Indonésie, en Thaïlande et au Viêtnam à la fin d’avril et au début de mai, Kishida a tenté de convaincre ses partenaires régionaux d’abandonner leur neutralité face à la Russie.

Au-delà de l’attachement du pays aux valeurs libérales, la volte-face du Japon s’explique par des considérations géopolitiques. En plus des tensions avec la Russie, le Japon est aux prises avec un contentieux territorial en mer de Chine orientale, où Pékin revendique sa souveraineté sur les îles Senkaku (appelées Diaoyu par Pékin). Pour Tokyo, il est donc impératif de faire augmenter les coûts imposés à la Russie afin de dissuader la Chine de mettre en branle ses velléités irrédentistes.

La Corée du Sud au neutre ?

L’autre allié clé des puissances occidentales dans la région, la Corée du Sud, a été critiqué pour sa timidité depuis le début de l’invasion russe. Bien que le président sortant Moon Jae-in a finalement annoncé que son pays se conformerait aux sanctions de l’Union européenne et des États-Unis, il avait d’abord refusé d’imposer ses propres sanctions, avant de se raviser et de restreindre certaines transactions avec la Russie. Il a aussi été critiqué pour sa condamnation timide de l’agression russe.

L’administration Moon a évoqué le commerce bilatéral grandissant avec la Russie pour expliquer la difficulté d’imposer des sanctions indépendantes. Cet argument ne passe pas pour les démocraties occidentales, qui coupent une à une les liens commerciaux avec Moscou.

La Corée du Nord est un facteur tout aussi important dans les décisions de Séoul. La Russie, qui se tourne vers l’Asie depuis quelques années, exerce un ascendant croissant sur le régime de Kim Jong-un. Envenimer les relations avec Moscou pourrait ainsi nuire aux efforts de Séoul dans la dénucléarisation de son voisin septentrional.

L’entrée en fonction du président désigné Yoon Suk-yeol, prévue le 10 mai, pourrait changer la donne. L’ancien procureur conservateur promet une politique étrangère plus musclée et davantage alignée sur celle des États-Unis, ce qui pourrait faire de la Corée du Sud un partenaire plus important dans la riposte à la Russie.

La Mongolie, équilibriste extrême

La guerre en Ukraine met à rude épreuve le délicat équilibre diplomatique que tente de maintenir la Mongolie depuis qu’elle est sortie de l’orbite soviétique, il y a trois décennies.

Modeste puissance démocratique prise en sandwich entre les géants autoritaires russe et chinois, ses deux seuls voisins, Oulan-Bator cherche depuis lors à se désenclaver et à conserver son indépendance en cultivant ses relations avec des démocraties lointaines telles que les États-Unis, l’UE, le Japon, la Corée du Sud et le Canada (qui fut un temps le deuxième investisseur au pays, principalement dans des projets miniers). Il coopère même avec l’OTAN en tant que « partenaire mondial ». C’est la politique dite du « troisième voisin ».

Or, difficile d’échapper à sa géographie. Surtout quand ses voisins du dessus et du dessous se rapprochent, comme le font la Russie et la Chine depuis la fin de février. La dépendance économique et énergétique déjà énorme du pays de Genghis Khan envers Moscou et Pékin devient de plus en plus forte, notamment avec la construction sur son territoire, confirmée le 28 février, du gazoduc Power of Siberia 2, qui devrait fournir 50 milliards de mètres cubes par année de gaz russe à la Chine.

Concrètement, maintenir l’équilibre diplomatique entre ses « voisins » proches et lointains, aux positions des plus polarisées, a amené la Mongolie à s’abstenir lors du vote à l’ONU condamnant l’invasion russe en Ukraine, aux côtés de 33 pays. Le Japon l’a récemment incitée à condamner la Russie, et la réponse fut... diplomatique.

Plus près qu’on pense

La guerre en Ukraine rendra assurément plus complexe l’élaboration de la stratégie du Canada en région indo-Pacifique, attendue depuis longtemps déjà. L’attention du gouvernement Trudeau s’est tournée vers la Russie et l’Europe depuis février, mais la région indo-pacifique demeure le théâtre d’un grand jeu des puissances mondiales, notamment avec la Russie qui se tourne vers l’Asie et se rapproche de la Chine.

Pour aller plus loin

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.