Économie

Pour un redémarrage réussi

Il ne suffira pas de rouvrir la porte de son entreprise pour que tout reparte comme avant. Si tout arrêter a été un saut dans l’inconnu pour les chefs d’entreprises et leurs employés, le déconfinement présentera aussi un lot de défis et d’incertitudes. La Presse a ciblé huit choses à savoir pour un redémarrage réussi. 

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Remettre son entreprise en marche en quatre temps

Faire le point dans les finances, rebâtir la chaîne d’approvisionnement, relancer l’entreprise en tenant compte de nouvelles réalités, penser cybersécurité… Le redémarrage d’une entreprise à partir du 4 mai, après presque deux mois de « pause », représente tout un défi. Voici, selon des experts, quatre grands axes sur lesquels les entrepreneurs doivent se concentrer.

Finances

Après une telle interruption ou un fort ralentissement de leurs activités, bien des entreprises ont des finances en piteux état. Un bilan détaillé et précis est indispensable. « Peu importe les situations, pour se projeter dans le temps, il faut être capable de voir ce qu’on a comme encaisse, comme fonds de roulement pour passer au travers », a expliqué Nancy Jalbert, associée chez Raymond Chabot Grant Thornton, lors d’un webinaire présenté le 23 avril dernier.

Tous les projets d’investissements doivent être revus, les prévisions de vente, révisées, et les incidences des nouvelles dépenses, notamment liées aux nouvelles conditions de travail et à l’approvisionnement, évaluées.

Une étape obligée : s’informer des possibilités d’aides gouvernementales, de subventions, de prêts, de garanties de prêts et de programmes de formation offertes. « Il faut s’assurer de bien comprendre tous les programmes offerts en ce moment », a indiqué Charles Milliard, PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec, lors d’une téléconférence organisée la semaine dernière par alias entrepreneur, site d’information fondé par Serge Beauchemin. « On a encore des appels de gens qui nous disent : “Ah ça, je ne le savais pas, quand est-ce que ç’a été annoncé ?” Il y a tellement d’annonces, il faut prendre le temps d’éplucher ça avec des conseillers, des associations. »

Modèle d’affaires

Les ventes en ligne qui explosent, les chaînes d’approvisionnement malmenées, les besoins du consommateur en mutation, les modes de paiement transformés… Bien des choses ont changé depuis deux mois. Il est peut-être temps que le modèle d’affaires de l’entreprise ou du commerce change, lui aussi. « Les entreprises qui vont laisser des traces, qui vont modifier leur façon de faire vont sortir gagnantes de ça, elles vont être récompensées », estime M. Milliard.

Selon Stéphane Drouin, directeur général du Conseil québécois du commerce de détail et l’un des invités du webinaire d’alias entrepreneur, « dans le lot des détaillants qui vont gagner, ce sont ceux qui vont être attentifs aux détails, à l’innovation technologique, l’innovation dans le parcours clients. Ça ne prendra pas grand-chose pour se différencier et devenir une référence pour les clients. » Une piste semble s’imposer : l’importance des ventes en ligne, le talon d’Achille des commerçants québécois, qui ne sont que 21 % à offrir cette solution à leurs clients. Selon un document synthèse rédigé par la firme RCGT, c’est le moment de miser sur les produits et les services les plus demandés et d’explorer de nouveaux marchés, tant du point de vue géographique que des catégories de clientèles.

Fournisseurs et partenaires

Les fournisseurs internationaux ou québécois avec lesquels on transigeait sont-ils toujours disponibles ? Les matériaux peuvent-ils être livrés dans des délais raisonnables ? Est-ce que privilégier l’achat local risque de coûter plus cher ? Et jusqu’à quel point l’institution financière est prête à appuyer l’entreprise dans son redémarrage ? Toutes ces questions se résument à un conseil de base : reprendre contact avec les fournisseurs et les partenaires pour savoir précisément à quoi s’attendre. « Notre chaîne d’approvisionnement est cassée, elle est rompue, ralentie, différente, et nos fournisseurs n’ont peut-être plus la même capacité de production, indique Nancy Jalbert. Il faut évaluer nos produits critiques. Venaient-ils d’un pays qui n’est pas reparti ? » Le modèle de gestion des stocks « juste à temps », dans ce contexte, semble bien fragile et doit être reconsidéré. « Il va y avoir de nouvelles façons de payer nos fournisseurs, eux aussi vont avoir des crises de liquidités ; ça va nécessiter des renégociations », rappelle Mme Jalbert. La crise sera bien présente pendant de longs mois, et elle aura des conséquences sur la capacité de production de l’entreprise et de ses fournisseurs, de même que sur les délais de livraison, qui seront probablement plus longs.

Technologie et cybersécurité

Bien des experts le confirment, les deux derniers mois ont forcé ou forceront les entreprises à accélérer de façon exponentielle leurs innovations technologiques. Télétravail, commerce électronique, logiciels de gestion, vidéoconférences, voire robotisation pour respecter la distanciation sont désormais des éléments indispensables. Le hic, c’est que peu d’entreprises sont prêtes à ces changements du point de vue de la cybersécurité. L’exemple célèbre du logiciel Zoom, plateforme de vidéoconférence dont la popularité a explosé depuis le début de mars et dont les failles de sécurité ont été exposées au grand jour, est révélateur. « Plus il y a de personnes qui utilisent des outils en ligne, plus il y a d’occasions pour les pirates informatiques de lancer une attaque », rappelle la firme montréalaise de cybersécurité Terranova Security, qui a mis en ligne une « trousse de cybersécurité » rappelant les bases de la protection. Il serait illusoire de croire que les pirates informatiques ont ralenti leurs activités avec la pandémie : le Centre canadien pour la cybersécurité a plutôt constaté que « des auteurs malveillants se servent de plus en plus du coronavirus (COVID-19) pour mener des campagnes d’hameçonnage et d’escroquerie liées à des maliciels ». Le Centre antifraude du Canada a enregistré 462 rapports de fraude reliés à la COVID-19 entre le 6 mars et le 15 avril.

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S’occuper des humains

Recommencer à attirer les clients, rassurer et motiver les employés, redémarrer la machine tout en respectant les nouvelles mesures de sécurité : de nombreux défis humains attendent les entreprises, qui devront pour la plupart naviguer en mer inconnue à partir de la semaine prochaine. Voici quatre conseils.

Sécurité sur le lieu de travail

Le plus grand défi qui attend les entreprises qui rouvriront : respecter les mesures de distanciation, à l’usine ou à la boutique, et assurer un milieu de travail sécuritaire et productif. C’est la préoccupation principale de 60 % des PME interrogées dans le cadre d’un sondage mené récemment par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), indique François Vincent, vice-président Québec. « Elles veulent avoir des consignes claires sur les bonnes habitudes sanitaires à respecter. On a vu que c’était possible dans les commerces jugés essentiels. »

Pour Anthony Broccolini, chef de l’exploitation de l’entreprise familiale du même nom, la santé et la sécurité des quelque 175 ouvriers et 200 employés de bureau, en plus des 4000 personnes qui seront présentes sur les chantiers à la réouverture, est « la priorité numéro un ». « On a un questionnaire qu’il faut remplir électroniquement dès l’entrée au chantier, on a commandé 100 000 masques, on trace des lignes pour la séparation de deux mètres, on refait les horaires, on va avoir des endroits partout pour se laver les mains », explique-t-il.

Clientèle et communication

« Les clients ont besoin de savoir que vous êtes là. Si vous avez fait le mort pendant les six dernières semaines, c’est plus que jamais le temps de dire que vous êtes encore en vie. » Ce conseil, c’est un de ceux qu’a lancé Stéphane Drouin, directeur général du Conseil québécois du commerce de détail, lors du webinaire d’alias entrepreneur la semaine dernière. Jean Bédard, PDG du Groupe Sportscene qui prépare notamment la réouverture des restaurants La Cage à une date qui n’a toujours pas été déterminée, a profité de cette vidéoconférence pour décrire son défi : offrir une expérience sécuritaire mais agréable à ses clients. « Ce que je dis à mon monde, c’est que je ne veux pas que les gens qui viennent à La Cage aient l’impression qu’ils rentrent à l’hôpital. Ils viennent pour manger, se changer les idées dans un environnement sécuritaire. » Faire porter des masques et des visières aux employés ? « Tant qu’à ouvrir comme ça, t’es mieux de ne pas ouvrir, ça va faire peur aux gens. On a déjà un scénario avec deux mètres de distance, une table sur deux seulement utilisée, on va davantage se servir de la technologie pour les commandes. »

Gérer la motivation

Dans certaines entreprises, les employés sont au chômage forcé depuis deux mois, d’autres sont en télétravail, certains reçoivent un salaire même s’ils ne travaillent pas, et peu ont revu des collègues en personne. Comment s’assurer de la mobilisation des troupes dans des circonstances aussi déstabilisantes ? « Il y a une certaine démotivation, très variable d’une personne à l’autre, estime Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA). Certains sont essoufflés et ne peuvent carburer au même rythme. D’autres ont été mis à pied et il faut les rappeler. Certains sont gonflés à bloc parce que leur organisation s’est revirée sur un 10 cennes, mais d’autres entreprises ne pouvaient tout simplement pas le faire. »

Avec des millions de nouveaux chômeurs, difficile de croire qu’il y a à peine deux mois, le principal enjeu au Québec était la pénurie de main-d’œuvre. Mais il demeure malgré tout important d’emporter l’adhésion des employés, et les plus talentueux auront toujours des offres ailleurs, dit Mme Poirier. « Les décisions qu’on prend comme employeur pendant la gestion de la crise, pendant la transition, sont un gage de fidélisation pour certains employés. »

Nouvelles réalités

Jamais il n’a été autant question de télétravail. Et la situation ne reviendra probablement jamais comme avant, alors que ce mode d’organisation semble rapidement avoir fait ses preuves. « Le télétravail, ça faisait deux ans qu’on en parlait, et on a eu la preuve que ça marchait, dit Anthony Broccolini. Il faut maintenant qu’on soit flexibles, certains vont avoir les enfants à la maison, d’autres vont être inquiets. » Selon Manon Poirier, les nécessités de la conciliation travail-famille n’ont jamais été aussi claires. « Il y a longtemps qu’on sensibilise les organisations à cet aspect des choses, et le télétravail en fait partie. On a appris un peu tout le monde sur le tas, il faut gérer différemment quand il y a beaucoup de monde en télétravail, mais des entreprises se sont rendu compte que c’était très efficace. » Quels que soient les changements dans l’organisation, « il faut expliquer les décisions, jouer de transparence plutôt que de trouver des faux-fuyants », prévient-elle. Chose certaine, les organisations ont intérêt à planifier dès maintenant la nouvelle organisation du travail pour ne pas donner une impression d’improvisation.

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