Chronique

Party VIP pour le virus

Enfin, le printemps ! Plus besoin d’enfiler les bottes pour affronter la gadoue. Les mitaines ? Les foulards ? Déjà rangés dans une boîte pour l’hiver prochain.

Avec le retour du beau temps, les Québécois envahissent les parcs. Toute la semaine, sur le terrain synthétique en face de chez moi, une trentaine de jeunes adultes se sont retrouvés pour disputer des parties de soccer. Dans la cour de l’école secondaire du quartier, adultes et enfants jouaient au hockey-balle dans la bonne humeur.

Franchement, c’était beau à voir.

Mais c’était également dangereux.

Tellement que c’est maintenant interdit. La police est d’ailleurs intervenue à Montréal, dimanche, pour disperser une vingtaine d’adultes qui jouaient au soccer.

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Il y a une semaine, le gouvernement a ordonné la fermeture de tous les centres de loisirs. Gymnases, piscines, arénas, palestres, nommez-les. Pour une bonne raison : éviter que le virus ne se propage dans des rassemblements non essentiels.

Parfait. Tout le monde a coopéré.

Sauf que plusieurs ont simplement déplacé le problème dehors. Au parc. Dans la cour d’école. Dans la ruelle. Ce qui défie toute logique. Un match de soccer, qu’il soit disputé à l’intérieur ou à l’extérieur, ça reste un match de soccer. Les joueurs taclent. Se touchent. Se bousculent. Ils suent. Ils reniflent. Ils crachent. Ils partagent parfois les mêmes bouteilles d’eau et posent leurs mains sur le même ballon.

Un party VIP pour le virus.

Mais des athlètes du dimanche s’entêtent. Comme si la peinture blanche des lignes de touche les plaçait à l’abri du virus. Les messages de sensibilisation ? Pfff.

OK.

C’est le temps d’étaler les faits.

Depuis deux semaines, les preuves s’accumulent. Des rencontres sportives ont favorisé l’éclosion de la COVID-19. Chez les pros autant que chez les amateurs. Au pays comme ailleurs.

Le président du club anglais de Portsmouth peut en témoigner. Quatre de ses joueurs sont contaminés. « Le soccer n’est pas immunisé contre le virus. Je peux vous assurer que vous le réalisez vraiment lorsque ceux que vous connaissez le contractent », a déclaré Mark Catlin samedi.

La source de la contamination : un match contre Arsenal. Plusieurs employés de cette équipe – dont l’entraîneur-chef – sont porteurs du virus. Arsenal soupçonne que ses membres, eux, aient contracté la COVID-19 lors d’une partie précédente contre le club grec d’Olympiakos.

Plus près de chez nous, à Edmonton, une soixantaine de médecins de l’ouest du pays se sont réunis du 11 au 14 mars pour un tournoi de curling. L’Alberta n’était pas encore en crise. Seulement 10 cas avaient été recensés. Les écoles, les arénas, les piscines, tout était encore ouvert.

Aussi, entendons-nous, c’est plus facile de pratiquer la distanciation physique au curling qu’au soccer ou au hockey. Les médecins pensaient être à l’abri du virus.

Ils ont donc touché les mêmes pierres. Les mêmes balais. Mangé au même buffet. Mais l’un d’entre eux revenait de Las Vegas. Il était porteur du virus sans le savoir.

Conséquence : 12 travailleurs du réseau de la santé de la Saskatchewan sont maintenant atteints de la COVID-19. Dont le président de l’Association médicale de la province. Les 50 autres médecins ? Tous en isolement obligatoire pour 14 jours.

Mais le rassemblement sportif qui a le plus contribué à la crise, c’est sans équivoque le match de soccer du 19 février entre les clubs Atalanta (Italie) et Valence (Espagne). Ce soir-là, 40 000 personnes se sont déplacées de Bergame à Milan pour assister au match.

Le chef du département de pneumologie de l’hôpital de Bergame est catégorique : c’est à ce moment-là que l’épidémie a explosé dans le nord de l’Italie.

Je le cite, en entrevue au Corriere della Serra : « 40 000 Bergamasques à San Siro pour Atalanta-Valence. En bus, en train, en voiture. Ç’a été une bombe biologique. »

Un mois plus tard, Bergame est l’épicentre de la tragédie en Italie. Les victimes de l’épidémie y sont si nombreuses qu’un convoi de 15 camions de l’armée a été nécessaire, la semaine dernière, pour transporter les corps jusqu’au crématorium.

Un nombre indéterminé de personnes présentes au stade de Milan, ce soir-là, ont développé les symptômes de la COVID-19 les jours suivants. Des partisans. Des journalistes. Mais aussi des joueurs. Le club de Valence a indiqué qu’au moins cinq de ses joueurs, et quatre membres de son personnel sportif, sont revenus en Espagne avec le virus. Soit 35 % des effectifs. C’est énorme.

Alors si un ami vous invite cette semaine à aller « faire un foot » au parc ou jouer au hockey dans la cour d’école, pensez aux médecins curleurs à Edmonton.

Aux joueurs de Portsmouth.

D’Arsenal.

De Valence.

Aux partisans de Bergame.

Eux aussi se croyaient tous à l’abri.

ATHLÈTES ET ENTRAÎNEURS PORTEURS DU VIRUS

NBA Quatorze cas confirmés. Notamment Kevin Durant (Brooklyn), Marcus Smart (Boston), Christian Wood (Detroit), Rudy Gobert et Donovan Mitchell (Utah).

NFL Sean Payton (entraîneur-chef, La Nouvelle-Orléans)

SOCCER Paulo Dybala, Daniele Rugiani (Juventus), Paolo Maldini et Daniel Maldini (Milan), Mikel Arteta (Arsenal), Callum Hudson-Odoi (Chelsea), Timo Huber (Hanovre), cinq joueurs de Valence, quatre de Portsmouth, plusieurs de Sampdoria et Fiorentina (Italie)

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