Journée mondiale de la prématurité

Journal d’une naissance devancée

Pour Dounia Berrada, novembre n’est pas un mois comme les autres. Il y a une semaine, son bébé « miracle », né à 24 semaines, a eu 2 ans. Plus encore, mercredi marque la Journée mondiale de la prématurité. Rencontre avec une mère et une tante qui souhaitent désormais « redonner aux suivants ».

Installée dans le coin du salon, Alya observe son environnement, rigole puis prend un air décidé. Elle se dresse et clopine fièrement. « C’est une étape récente et très importante », dit sa mère, Dounia Berrada, qui nous reçoit à Brossard avec deux paires d’épaules indispensables, celles de sa sœur jumelle, Fadila, et de sa mère.

Le lendemain de notre visite, la bambine allait souffler deux bougies. Un autre jalon significatif : c’est souvent à cet âge que les parents cessent d’utiliser un âge corrigé pour mesurer les apprentissages de leur bébé « préma ».

Difficile de croire, à la voir gambader, qu’Alya est née à 24 semaines, une extrême prématurité « au seuil de la viabilité ». Plus incroyable, la nouveau-née a passé ses premières heures de vie dans une ambulance, le temps d’un trajet enneigé entre Longueuil et Sherbrooke.

Objectif : 24 semaines

Retour en arrière : Dounia écoule son début de grossesse dans une relation conjugale anxiogène. À 20 semaines, une échographie morphologique annonce de sombres pronostics. Le col de l’utérus est dilaté de plus d’un centimètre. « On m’a dit : “Il y a très peu de chances que le bébé survive. On peut quand même essayer de faire un cerclage d’urgence pour refermer le col.” J’ai dit : “OK, on tente le tout pour le tout.” »

L’objectif minimal : se rendre à 24 semaines, « le chiffre magique ». C’est exactement le moment où Dounia se met à ressentir des crampes aussi vives qu’invivables. La future maman doit se rendre à l’hôpital Pierre-Boucher, à Longueuil. Là-bas, le personnel la rassure par rapport à ses « petites contractions ». Dounia passe tout de même la nuit « en observation, au cas où ».

« À 2 h du matin, ça a dégénéré. J’ai commencé à avoir des grosses crampes, des contractions. Mon cerclage a lâché. J’ai perdu mes eaux. »

— Dounia Berrada

Une médecin surgit à la course. Les jambes du bébé apparaissent. Un dilemme s’impose. Première option : un accouchement naturel, qui préserve la mère mais condamne presque assurément le bébé. Deuxième option : une césarienne, qui épargne Alya mais pose d’importants risques pour la maman. Sans hésiter, Dounia donne la même réponse qu’à 20 semaines : « On tente le tout pour le tout. »

L’équipe de Pierre-Boucher est épaulée par les ressources tertiaires de Sainte-Justine pendant l’intervention. En parallèle, le personnel s’active pour qu’Alya soit transférée d’urgence dans une unité de soins intensifs néonataux. Le résultat des coups de fil a des allures de sentence : « Mme Berrada, personne ne veut prendre votre enfant. La seule place qu’on a trouvée est à… Sherbrooke. »

Bébé miracle

Ainsi commence une vie à 24 semaines : une course contre la montre de Longueuil à Sherbrooke sous la première neige de novembre. Au CHUS-Fleurimont, qui accueille 650 g d’espoir, l’équipe médicale est stupéfaite. « Le médecin m’a appelée le lendemain et m’a dit : “Mme Berrada, c’est un miracle que votre fille n’ait pas eu d’hémorragies au cerveau. On ne comprend pas pourquoi ils nous l’ont amenée.” »

Pendant que la maman, alitée, récupère d’un décollement placentaire avec hémorragie, sa jumelle épluche les sites de location à la recherche d’un logement, à l’aube du temps des Fêtes. Le passage de la famille Berrada en Estrie aura nécessité trois déménagements, le premier de Brossard à Orford.

Dounia a pu voir sa petite Alya – couvée, masquée et entubée – sept jours après sa naissance. S’ensuivront quatre mois de « montagnes russes ». La mère apprivoise des termes comme infections nosocomiales, bradycardie, hypoxie, dysplasie bronchopulmonaire sévère, thrombus ou œdème.

« La néonat, même si les médecins t’encouragent, c’est un monde totalement inconnu, d’autant plus si c’est ton premier enfant. »

— Dounia Berrada

De petits progrès engendrent néanmoins de grandes joies. « On fêtait toutes les bonnes nouvelles : les changements de taille de couche, les prises de poids, l’augmentation des doses de biberon, l’enlèvement du couvercle de l’incubateur, le port d’un pyjama. »

Un beau jour de mars, Dounia et Fadila reçoivent un appel alors qu’elles sont en route vers le CHUS-Fleurimont. « Alya était déjà partie en ambulance, raconte la maman. Une place s’était libérée à Montréal. » La famille refait ses boîtes pendant la nuit et retrouvera sa maison de Brossard au petit matin.

La nouveau-née passera un mois à l’Hôpital de Montréal pour enfants, puis aura son congé après 144 jours d’hospitalisation. Au fil des jours, des semaines, des mois, la mini Alya fait des bonds de géant.

Dounia se sent privilégiée d’avoir pu compter sur sa sœur – « comme un deuxième parent » –, sur sa mère et sur une infirmière primaire dévouée. Les jumelles Berrada souhaitent maintenant « redonner aux suivants ». Elles ont créé la fondation Un jour à la fois, une expression célèbre dans les unités de néonatalogie.

Grâce à une campagne de sociofinancement, la maman et la tante d’Alya ont distribué 400 journaux de bord dans les hôpitaux du Québec. L’outil, à mi-chemin entre le journal intime, l’agenda et l’aide-mémoire, se veut « un beau souvenir à garder au terme de la tempête », explique Fadila. « Vous allez sortir de ce trauma-là avec quelque chose de positif, avec le parcours de votre champion ou de votre championne. Vous allez voir combien votre enfant a été résilient, et combien vous avez été résilient. »

Dounia aurait bien aimé disposer d’un tel journal pour étayer le parcours de sa championne, de ses premiers tours de roue en ambulance à ses premiers pas dans la maison familiale. « Ils disent que certains prémas ne pourront pas devenir de grands athlètes, de grands coureurs. Mais qui sait ? À voir l’évolution de ma fille, il n’y a rien d’impossible. Ce sont les petits êtres qui nous donnent les plus grandes leçons. »

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