Chronique

Cherchez l’erreur

Tout le monde parle du projet de loi sur les soins de fin de vie comme d’un modèle. Au sens d’exemplaire. Au sens de : voyez comme la démocratie est belle quand elle s’éclaire des lumières de tous.

Exemplaire parce que répondant au souhait de la population, des médecins, des services sociaux, de tous sauf de quelques vieux cathos. Projet exemplaire dont a accouché une commission formée de députés de tous les partis placés sous la houlette d’une jeune ministre allumée (Véronique Hivon).

Je déconne un peu avec ma démocratie « qui s’éclaire des lumières de tous ». Bien sûr que ça ne peut pas être toujours comme ça, mais pour une fois que tout le monde s’entendait, c’était beau, non ?

D’autant plus beau qu’on ne s’entendait pas sur des naisieries. On ne s’entendait pas sur le virage à droite quand le feu est rouge, on s’entendait pour améliorer les soins de fin de vie et à terme pour abréger les souffrances de ceux qui n’en peuvent plus.

Parenthèse : personnellement, je trouve qu’on n’est pas allé assez loin. Ainsi, je voudrais bien qu’on m’aide à mourir même si je ne souffre pas. Quand je ne me souviendrai plus de mon nom ni de celui de mes enfants, quand je ne saurai plus quel jour on est, en quelle année, si c’est l’été ou l’hiver, qu’il faudra me faire manger à la petite cuillère, que je passerai mes journées devant la télévision sans être conscient que je la regarde, quand il faudra me mettre un bavoir, des couches, quand je serai rendu là parce que je n’aurai pas eu le bonheur de mourir en six mois d’un cancer du côlon ou du pancréas, j’aimerais bien qu’on m’aide à mourir. Et j’aimerais bien signer le papier tout de suite.

Mais c’est un autre débat.

Tel qu’il était là, tout chaud, prêt à adopter, ce projet de loi 52 était déjà très bien, un petit miracle, la preuve rassurante qu’on vit malgré tout dans une société moderne, qu’on est capables du meilleur aussi, une belle éclaircie dans le sombre débat sur la Charte…

C’était trop beau. M. Couillard et les libéraux ont dit non. Pourquoi ? M. Couillard explique que la décision de madame Marois de déclencher des élections en fait un projet partisan. Bref, il redoutait que les péquistes tirent gloire (et profit électoral) de ce projet 52. Il redoutait que cette aide à mourir ne devienne pendant la campagne électorale une aide à se faire élire…

Nous voici tout d’un coup bien bas après être montés bien haut. Cette élévation-là de travailler dans un esprit non partisan pour le bien de la population, mais à la toute fin, badaboum, une petitesse partisane pour le bien du parti.

Élisez-nous, et nous reviendrons avec le même projet, a promis M. Couillard.

Bref, on nous aidera à mourir après les élections.

LES GROS CONS - Pas une chronique, ces derniers temps, sans que je vous parle des gais. Vous devez bien vous demander si je ne suis pas en train de « virer ma cuti » sur le tard. Mais non, c’est juste le hasard. Ici un film, Dallas Buyers Club du réalisateur québécois Jean-Marc Vallée.

Mais je ne vais pas vous parler cinéma. Ni gaititude, d’ailleurs. Je vais vous parler des gros cons.

Dallas Buyers Club raconte une bonne petite histoire dont je ne me souviendrais déjà plus si elle ne disait pas sur l’homophobie – et peut-être sur le racisme en général – quelque chose que j’ai toujours essayé de dire sans y réussir vraiment.

Vous savez, les gros cons homophobes, les beaufs qui sont toujours en train de traiter tout le monde de pédés, vous savez, ces porcs, ces étrons, eh bien…

Eh bien quoi ?

Eh bien, j’ai comme une tendresse pour eux. C’est ce que je ne suis jamais arrivé à très bien expliquer : cette tendresse, cet élan qui me porte souvent à défendre les plus innocents d’entre eux (la majorité). Je suis toujours là à dire que c’est pas si grave, rien qu’une petite malformation du cœur, une artère bouchée qui empêche le sang de se rendre au cerveau, rien qui ne soit opérable, rien de rédhibitoire, par exemple la bonne conscience et les préjugés des bourgeois, ou la condescendance des intellectuels.

J’aboutis toujours là : à la relative innocuité de la connerie du gros con. Ce n’est pas le sujet du film de Jean-Marc Vallée, mais son héros est justement un gros con (plutôt maigre parce qu’il a le sida). On est dans les années 80, le sida fait de spectaculaires ravages dans les communautés gaies, et il y a donc ce cowboy à qui on apprend qu’il lui reste un mois à vivre et qui s’en trouve grandement insulté : Moi ! Cette maladie de faggots !

Pour des raisons surtout commerciales – le buyers club du titre – le cowboy va se rapprocher des faggots en question, et cela suffira à le rendre moins con. Des critiques, surtout français, y ont vu une conversion toute hollywoodienne. Pas moi. Moi, je dis que c’est comme ça que ça se passe pour vrai avec les gros cons.

Je vais exagérer exprès, OK. Vous prenez le plus gros de tous les cons homophobes, vous le traînez dans une boîte gaie, quelques verres, quelques sniffes, et à la fin de la soirée, il va se laisser embrasser sur la bouche. Alors que tu prends un intellectuel anti-Charte, et deux ans plus tard, il va encore traiter les pro-Charte de trous du cul nazis.

Vous me suivez ?

J’essaie de dire que le gros con est moins englué dans sa connerie – justement parce que c’est de la connerie, matière éminemment inconsistante – le gros con, disais-je, est moins englué dans sa connerie que vous et moi (mais surtout vous) dans le ciment de nos petites idéologies, nos petites morales, nos petites et grandes certitudes culturelles, artistiques, littéraires.

LES VRAIS HOMMES – Pour finir quand même sur un sourire, celui-ci qui fait seulement semblant d’être un gros con m’envoie un mot à propos de Michael Sam le linebacker qui va devenir le premier joueur de football ouvertement gai de la NFL… « Grands dieux ! Un linebacker à part ça ! Oùsqu’on s’en va ? Oùsqu’il va falloir aller chercher les vrais hommes à c’t’heure ? Au lancer du marteau féminin ? »

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