PSYCHOLOGIE

Une pilule qui passe mal

Après L’envers de la pilule et Tous fous ?, Jean-Claude St-Onge continue à critiquer vertement l’industrie pharmaceutique et le recours rapide aux médicaments. Son quatrième essai s’attaque à un sujet délicat : le diagnostic du trouble du déficit de l’attention et la médication des enfants.

Pourquoi écrire sur le TDAH ?

Parce que les diagnostics de TDAH ont explosé. Au Québec, les prescriptions de psychostimulants ont été multipliées par quatre au cours de la dernière décennie. C’est ahurissant ! Il commence à y avoir une prise de conscience, même le ministre de la Santé dit qu’on prescrit trop de Ritalin. Le Collège des médecins parle de surdiagnostic du TDAH et du fait que les médecins ne sont pas véritablement formés pour diagnostiquer les troubles du comportement et de l’apprentissage.

Où est le problème dans le diagnostic, selon vous ?

Les critères diagnostiques n’ont aucune validité. Je ne suis pas le seul à le dire : Thomas Insel, directeur du National Institute of Mental Health aux États-Unis (NIMH), a causé un véritable tsunami dans la communauté scientifique l’an dernier en disant que le DSM n’était d’aucune utilité pour les diagnostics [le sigle DSM est l’acronyme de Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, ouvrage de référence en psychiatrie]. Il disait qu’il n’a aucune validité, car il est fondé sur les symptômes.

Les symptômes du TDAH, c’est quoi ?

Des comportements qu’ont les enfants : ils ne prêtent pas attention aux détails, ils sont souvent inattentifs durant les jeux ou le travail, ils n’écoutent pas… Il y a neuf critères comme ça. Si vous en avez six, vous êtes TDAH. Pourquoi six et non pas huit comme c’était le cas jusqu’en 1994 ? Pire encore, les critères sont redondants : dire qu’on ne prête pas attention aux détails, qu’on est inattentif dans les jeux ou au travail, c’est dire qu’on est inattentif parce que vous manquez d’attention !

Les diagnostics posés au Québec reposeraient sur ces seules questions ?

La plupart du temps, oui.

Sans investigation supplémentaire ?

Il y en a qui veulent vraiment savoir et qui vont dans des cliniques privées et qui paient 1500 $ ou 1800 $. On leur fait passer toutes sortes de tests et toutes sortes de questionnaires pour être sûr d’avoir un bon diagnostic, mais il n’y a pas de méthode diagnostique sûre pour le TDAH. […] Ces diagnostics-là reposent principalement sur les critères du DSM qui, comme moi je le considère, n’ont aucune validité.

Qu’est-ce qui vous incite à affirmer que les diagnostics au Québec ne sont faits qu’à l’aide de ces questions ?

C’est comme ça que c’est fait la plupart du temps. Très souvent, c’est fait sur le coin du bureau, lors d’une rencontre de 15 minutes avec le médecin ou le pédiatre.

Ces diagnostics sur le coin du bureau ne relèvent-ils pas du préjugé ?

Non, c’est très souvent fait lors d’une rencontre très brève dans le bureau du médecin où il fait remplir les questionnaires habituels. C’est fondé sur l’observation des parents et des enseignants. […] L’inattention peut être causée par un paquet de conditions médicales ou sociales. Les enfants de familles pauvres qui arrivent à l’école le ventre vide, c’est clair qu’ils vont être inattentifs, ça ne veut pas dire qu’ils ont une maladie du cerveau.

Il n’a d’ailleurs jamais été prouvé que le TDAH est une maladie du cerveau, un déséquilibre chimique d’origine génétique impliquant un déficit en dopamine. Il y a trois ou quatre grandes classes de médicaments prescrits pour le TDAH et ils agissent sur différents neurotransmetteurs !

Quel rôle joue l’école dans le processus diagnostique ?

L’école veut que ça marche rondement. Quand quelque chose accroche, ça ne marche pas. Quand un enfant est turbulent ou cause des problèmes, qu’il perturbe les classes, alors ils vont parfois – très souvent, même – essayer de convaincre les parents que leur enfant a un TDAH et qu’il faut l’emmener chez le médecin pour qu’un diagnostic soit posé. […] Les enseignants, sans le savoir, deviennent des intermédiaires entre les sociétés pharmaceutiques et les parents pour que les enfants aient un diagnostic de TDAH.

Les écoles reçoivent deux ou trois fois plus de financement pour les enfants TDAH ou autistes que pour les enfants normaux. Alors, dans un contexte où on coupe, il est très tentant pour les directions d’école d’obtenir des diagnostics pour ces enfants-là et recevoir un plus grand financement.

Le système d’éducation pousse au diagnostic, selon vous, entre autres pour des raisons financières ?

Oui, tout à fait. C’est exactement ce qui s’est passé aux États-Unis. Des études ont été faites pour montrer de façon assez claire que c’est l’un des éléments qui expliquent l’augmentation des diagnostics de TDAH.

Vous dénoncez des études en brandissant d’autres études. Comment faire la distinction entre la science et l’idéologie ?

Toutes les études ne sont pas créées égales. Il faut observer leur protocole. Est-ce que le nombre de participants est assez élevé ? Quels sont les critères d’exclusion ? Quelle est la durée de l’étude ? Qui l’a financée ? […] Une étude faite par des psychiatres (dont certains reçoivent de l’argent des pharmaceutiques) s’est rendu compte qu’une étude financée par l’industrie était 4,9 fois plus susceptible que les études indépendantes de conclure que le médicament était plus efficace que le placebo.

Qu’avez-vous à dire aux parents dont l’enfant a eu un diagnostic après un processus qu’ils jugent sérieux, qui ont choisi la médication et qui constatent une différence ?

Oui, effectivement, à court terme, ça fait une différence. C’est vrai qu’ils peuvent être plus attentifs, mais parmi les études indépendantes à long terme – j’en cite quatre dans le livre –, il n’y en a pas une qui montre que c’est efficace à long terme. […] Après trois ans, les enfants qui n’étaient pas médicamentés ne se portaient pas plus mal que ceux qui continuaient à être médicamentés, au contraire : ils n’avaient pas de moins bonnes notes, ils n’avaient pas plus de problèmes de comportement.

TDAH ? Pour en finir  avec le dopage des enfants

Jean-Claude St-Onge

Écosociété, 210 pages

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