François Legault  Portrait

les trois vies de françois legault

D’Air Transat au Parti québécois et à la Coalition avenir Québec, les trois vies de François Legault ont été marquées par de nouveaux départs et des projets ambitieux. Ses proches vantent son humour, sa résilience et son sens de la compétition. Ses détracteurs le décrivent comme un politicien-comptable à la fiabilité douteuse. À six mois du scrutin, le 1er octobre, La Presse dresse le portrait de celui qui, à 60 ans, espère amorcer un quatrième tour de piste en prenant les commandes du Québec.

Une rupture déterminante

C’était en février 1997, à Paris. François Legault, alors PDG de la compagnie aérienne Air Transat, se dispute avec son associé, Jean-Marc Eustache. Quelques jours plus tard, à son retour à Montréal, l’homme d’affaires qui a alors 39 ans vend ses parts et place les autres cofondateurs devant le fait accompli : il quitte l’entreprise.

« J’étais choqué, explique M. Legault en entrevue. J’ai tout rempli les formulaires que la Commission des valeurs mobilières demandait. Ça s’est fait dans les règles de l’art avec les documents nécessaires. […] Donc tout s’est fait correctement. La seule chose, c’est que je ne leur ai pas dit, parce que j’étais fâché. On ne se parlait plus. J’ai annoncé que je quittais. »

Est-ce qu’il le regrette ? « Non », tranche M. Legault, toujours réticent à revenir sur cet épisode, 20 ans plus tard. « On avait des opérations à Paris, une compagnie aérienne à Paris, se contente-t-il d’expliquer. On ne s’entendait pas, entre autres sur le développement et les activités de Transat en Europe… » Il se souvient s’être dit : « On s’en va nulle part. » Alors, il a décidé de vendre ses actions.

À l’époque, la nouvelle a l’effet d’une petite bombe dans le monde de l’aviation et les médias parlent du « mystère qui entoure le départ soudain » du fondateur. Le titre de Transat, qui avait atteint près de 13 $ à la mi-février 1997, plonge de 4 $ à la fin du mois de mars. Il s’échange encore aujourd’hui autour de 9 $.

Silences

L’histoire n’a jamais été racontée en détail.

« Entre les anciens partenaires, il y a comme une entente de non-agression, d’après ce que je comprends », estime un ex-collaborateur.

En 2010, à l’approche du 25e anniversaire de l’entreprise, un livre a été commandé par Transat pour raconter son histoire, mais l’ouvrage n’a jamais été publié. Est-ce un hasard ? François Legault a fondé la Coalition avenir Québec (CAQ) en 2011.

Dans son propre livre, Cap sur un Québec gagnant, François Legault résumera son départ de 1997 en quelques lignes seulement : « Avec l’impétuosité de la jeunesse, j’avais décidé à l’adolescence que je deviendrais financièrement indépendant avant d’avoir atteint l’âge de quarante ans. […] C’est ainsi qu’à trente-neuf ans, je viens d’acquérir l’indépendance financière dont j’avais rêvé. »

Le moment a été déterminant dans la vie de François Legault. Son départ lui a permis, quelques mois plus tard, de faire le saut en politique, où son aura de grand entrepreneur québécois l’a toujours suivi.

Mais il s’est brouillé avec ses partenaires d’affaires et Jean-Marc Eustache, qui est toujours PDG de Transat, n’a jamais accepté de lui reparler. Le service des communications de Transat a d’ailleurs refusé les demandes d’entrevue de La Presse.

questions de Loyauté

Plus important, cette rupture donne encore aujourd’hui des arguments à ceux qui affirment que François Legault n’est pas fiable et qu’on ne peut lui faire confiance.

Que ce soit son changement de position constitutionnelle, son affrontement avec Bernard Landry sur les contrats de performance, son soutien à M. Landry comme chef en 2001 après avoir eu des pourparlers avec Pauline Marois, ou les alliés qui, comme Gérard Deltell, ont quitté la Coalition avenir Québec avec une certaine amertume, le chef de la CAQ laisse dans son sillage un lot de collaborateurs déçus et critiques à son égard.

« Ce n’est pas un gars qui est très loyal envers son entourage et sa loyauté est très limitée à certains individus », tranche un ancien employé.

Le chef de la CAQ s’insurge contre ces accusations. « Je pense que c’est le seul exemple d’une chicane dont on peut parler… Je n’ai jamais eu d’autres chicanes ! », dit-il en évoquant son départ de Transat.

Il désigne son cercle restreint, auquel il est toujours resté fidèle, dont sa femme Isabelle Brais, avec qui il fête ce mois-ci 26 années de mariage, et Pierre Schetagne, son cousin et meilleur ami, avec qui il a grandi dans l’ouest de l’île de Montréal.

Martin Koskinen, proche collaborateur depuis le début des années 2000, trouve lui aussi ces critiques injustes. « C’est un leader, François Legault, dit-il. Il n’a pas peur de déplaire. Il prend des décisions qui ne sont pas faciles parfois. Mais ce n’est pas le politicien typique qui, à tout prix, il faut qu’il soit aimé, et pour qui c’est la loyauté avant tout. »

LE PARCOURS DE FRANÇOIS LEGAULT 

1957 : Naissance à Sainte-Anne-de-Bellevue

1978 : Diplôme des HEC ; comptable chez Clarkson Gordon

1984 : Directeur des finances, du marketing et des ventes chez Nationair et Québecair

1986 : Fondation de Transat avec les dirigeants de Trafic Voyages

1997 : Départ de Transat

1998 : Ministre (non élu) de l’Industrie et du Commerce

1998 : Ministre (élu) de l’Éducation

2002 : Ministre de la Santé

2003 : Porte-parole de l’opposition en matière d’économie et de finance

2009 : Départ du Parti québécois

2011 : Fondation de la Coalition avenir Québec

2012 : La CAQ récolte 19 députés et 27 % du vote

2014 : La CAQ récolte 22 députés et 23 % du vote

De premier de classe à PDG

À l’école Saint-Georges de Senneville, qu’il a fréquentée au primaire et au secondaire, François Legault a toujours été premier de classe. « Il ne fallait pas être deuxième, il fallait être premier de classe. C’était toujours comme ça. Si quelqu’un avait une meilleure note que lui, s’il avait 98 au lieu de 100… il était déçu de lui-même. François a toujours été compétitif », dit sa sœur Francine, la benjamine des trois enfants Legault.

M. Legault a souvent évoqué le milieu modeste qui l’a vu grandir. Son père était l’un des dirigeants du bureau de poste local et sa mère, femme au foyer, a travaillé comme caissière dans une épicerie pour arrondir les fins de mois.

Ses parents étaient sévères : le soir après l’école, on ne voyait pas souvent le jeune Legault jouer avec les autres enfants : c’était l’heure des devoirs. « Son père était quelqu’un qui était très, très, très structuré, raconte un ami. Il n’aurait pas fallu qu’on se fasse prendre à voler quelque chose ou à être indisciplinés au point que le directeur d’école appelle à la maison… On en aurait mangé toute une ! »

À l’adolescence, vers le début des années 70, il commence à s’intéresser à la souveraineté. Les francophones sont rares dans le West Island. Sa mère travaille un temps au cégep anglophone John-Abbott « où les francophones étaient parfois traités comme des moins que rien », estime sa sœur Francine.

Il décide d’aller au cégep en français, au collège Marguerite-Bourgeoys, où il entre à 16 ans après avoir combiné la 10e et la 11e année et sauté la 12e. Matin et soir, il fait le voyage en train, le nez dans le journal indépendantiste Le Jour, tandis que les gens d’affaires qui l’entourent lisent The Gazette.

Ce n’est qu’à 32 ans qu’il rencontrera son épouse, Isabelle Brais, par l’entremise d’un ami. Pendant les 15 années qui précèdent, « disons que François est dans sa jeunesse active », lance d’un ton amusé Daniel Zizian, un ami rencontré au cégep qui deviendra son chef de cabinet. La blague chez les Legault est que François a tellement changé de blondes qu’à Noël, la fille qui défaisait le sapin n’était pas la même que celle qui l’avait fait.

Un souverainiste chez les anglos

François Legault termine son baccalauréat aux HEC en 1978 et commence à travailler comme comptable chez Clarkson Gordon, qui deviendra Ernst & Young. Son patron, Jean-Pierre Delisle, décrit le bureau comme « à peu près le plus WASP [White Anglo-Saxon Protestant] qu’il y avait à Montréal ». Les penchants souverainistes du jeune comptable ne semblent pas trop déranger son entourage : 

« Il s’entendait bien avec tout le monde. Il n’était pas anti-Canada, il était pro-Québec. Les anglophones au bureau voyaient qu’il ne leur voulait pas de mal ! »

— Jean-Pierre Delisle, ex-patron de François Legault chez Clarkson Gordon

À cette époque, un jeune client de la firme, Robert Obadia, demande conseil pour créer une compagnie d’aviation. MM. Delisle et Legault l’aident à développer son plan d’affaires et à trouver du financement, auprès de Laurent Beaudoin notamment.

Une fois l’entreprise démarrée en 1984, François Legault en devient le directeur des finances et de l’administration. Il passe chez Quebecair l’année suivante, après avoir terminé son MBA en cours du soir. C’est là qu’il rencontre Philippe Sureau et Jean-Marc Eustache, qui dirigent Trafic Voyages, une entreprise de tourisme spécialisée en vols nolisés vers l’Europe. Ensemble, ils décident de créer leur propre compagnie aérienne, Air Transat.

pari payant

François Legault, alors âgé de 29 ans, vit toujours chez ses parents, ou plutôt à l’étage d’un duplex que ses parents ont acheté ensemble à Sainte-Anne-de-Bellevue. Son père est mort subitement d’une pancréatite quelques années auparavant. « C’est un peu lui qui a pris la place de notre père », dit sa sœur Francine. 

En entrevue à Radio-Canada, récemment, M. Legault, l’aîné des trois enfants, a évoqué ce moment difficile avec une certaine émotion. « Il ne m’a pas vu être président d’Air Transat, il ne m’a pas vu être ministre, être chef de la CAQ, a-t-il noté. C’est important pour tout le monde de plaire à ses parents. Je voulais être premier de classe pour plaire à ma mère. Pour plaire à mon père, il aurait fallu que je sois bon au hockey et au baseball… Et ça, j’avais pas le talent. J’ai pas livré ça. »

Pour ne pas effrayer sa mère, il se rend en cachette à la Caisse populaire de Saint-Henri pour emprunter sa mise de 50 000 $. Au fil d’acquisitions et à travers la décennie qui suit, l’entreprise croît à un rythme effréné. « Quand je me suis joint à Trafic Voyages en 1986, l’entreprise comptait 40 employés et avait un chiffre d’affaires de 20 millions de dollars. Lorsque je suis parti, 10 ans plus tard, en 1997, le nombre d’employés était passé à 3600 et le chiffre d’affaires, à 1,3 milliard », écrit M. Legault dans Cap sur un Québec gagnant.

L’ironie – ce que peu de gens savent – , c’est que François Legault n’aime pas voler. « C’est en trois dimensions, j’aime pas ça, ne pas être en contrôle », dit-il.

La décennie péquiste

À l’hiver 1998, Lucien Bouchard, alors premier ministre du Québec, envisage de recruter comme ministre de l’Industrie un non-élu issu du monde des affaires. Il charge son conseiller Jean-François Lisée de lui trouver un candidat.

Lisée contacte alors son vieil ami André Bouthillier, conseiller en relations publiques, et lui parle du projet. Coïncidence : M. Bouthillier revient juste d’un dîner sur l’avenue Laurier avec François Legault. « Je viens de manger avec quelqu’un… Laisse-moi lui demander et je te reviens », répond-t-il à Lisée. 

Quelques mois plus tard, en septembre, M. Bouthillier reçoit un autre appel de Jean-François Lisée qui lui lance :  « Je te passe un nouveau ministre ! » La voix de M. Legault se fait entendre à l’autre bout du fil : « André, tu t’en viens au bureau de Lucien Bouchard. Je veux que tu sois mon directeur de cabinet. »

François Legault parle des mois qui ont suivi son départ de Transat comme de sa « première retraite ».

« J’ai suivi des cours de tennis, des cours de golf, on a voyagé un peu… Mais après six mois, je m’ennuyais... »

— François Legault

Il cherche de nouveaux défis ; il siège à des conseils d’administration et étudie la possibilité d’acheter une entreprise… L’offre du gouvernement péquiste tombe à point.

Apprentissage

L’ancien PDG doit apprendre son nouveau métier et il se forge dès lors une réputation qui va le suivre toute sa carrière. « C’est un homme très impatient, note André Bouthillier. Il voulait toujours que les choses se règlent tout de suite. »

Mais il n’a pas le temps de se faire les dents longtemps à l’Industrie, puisque des élections sont déclenchées le mois suivant. Il est élu dans la circonscription de Rousseau, à cheval sur les Laurentides et Lanaudière.

Une surprise l’attend à son retour à Québec : plutôt que de le nommer à un portefeuille économique, Lucien Bouchard le fait passer à l’Éducation. « Ce n’est peut-être pas le ministère qu’il voulait, mais il a réalisé tous les impacts que ça avait, particulièrement dans les milieux défavorisés, et ça l’a fait réfléchir. Il a bien vu que l’éducation est un outil majeur pour le développement du Québec, dit un ancien haut fonctionnaire qui a travaillé avec lui. Quand on dit que, pour lui, l’éducation, c’est une priorité, je suis obligé de le dire : ce n’est pas du bluff. »

Ses collègues au gouvernement sont régulièrement témoins de son besoin de contrôler son environnement.

« Il rentrait dans une école et il aurait voulu être directeur ! C’est pas compliqué… Mais une école, c’est pas une franchise de Tim Hortons. »

– Un ancien haut-fonctionnaire qui a travaillé avec François Legault

La performance

Dès son arrivée au Ministère et plus tard, lors de son bref passage à la Santé, son approche est centrée sur la performance : il demande aux fonctionnaires de dresser le bilan de la performance des écoles québécoises, il crée les contrats de performance avec les universités, il élabore un système pour vérifier le rendement des hôpitaux… Autant de projets qui alimentent sa réputation de politicien-comptable.

Les contrats de performance avec les universités mènent d’ailleurs en février 2001 à un affrontement avec le ministre des Finances, Bernard Landry, et le président du Conseil du trésor, Jacques Léonard, qui souhaitent sabrer 400 millions de dollars promis aux universités. François Legault menace de démissionner et Lucien Bouchard, fort mécontent que son jeune ministre ne veuille pas « jouer en équipe », interrompt un voyage à l’étranger pour arbitrer le différend. « Je me souviens d’un moment relativement tendu un vendredi après-midi au bureau du premier ministre chez Hydro-Québec, à Montréal », raconte Daniel Zizian, son directeur de cabinet de l’époque. Finalement, le ministre de l’Éducation a réussi à éviter la coupe.

Si la dispute indispose des collègues péquistes, elle cimente la popularité de M. Legault auprès du réseau qu’il développe grâce à ses fonctions combinées de ministre d’État à la Jeunesse et de ministre de l’Éducation. Il multiplie alors les rencontres à son domicile d’Outremont avec des jeunes professionnels ou universitaires rencontrés lors du Sommet du Québec et de la jeunesse, dont Martin Koskinen et l’ex-député péquiste, puis caquiste, François Rebello. « Il avait le flair d’un recruteur de hockey pour dénicher des jeunes talents », dit l’un des membres du groupe.

Aujourd’hui, Bernard Landry admet du bout des lèvres la possibilité que si davantage de ces jeunes avaient voté pour lui lors du fameux vote de confiance qui a mené à sa démission comme chef du Parti québécois (PQ), en juin 2005, « ça aurait pu être mieux ».

Familles

La voie s’ouvre du même coup devant François Legault pour qu’il tente sa chance à la direction du parti. Mais il surprend et déçoit plusieurs de ses partisans lorsque, quelques jours plus tard et citant des raisons familiales, il décide de s’abstenir. Ses garçons, Xavier et Victor, sont alors âgés de 11 et 12 ans.

« J’avais dit à mes deux gars tout l’hiver : “On va jouer au tennis pendant tout l’été.” Et ça se déclenche juste avant l’été, cette affaire-là… », dit-il en entrevue. « C’était le temps de l’adolescence, ajoute sa femme. J’avais passé un petit bout toute seule avec les enfants et je lui ai dit : “Là, maintenant, tu t’en viens m’aider.” »

Mme Brais peut maintenant le dire plus fort : elle n’a jamais été souverainiste. Elle évoque les rassemblements du PQ où les partisans scandaient « On veut un pays ! » et où, pendant toutes ces années, elle se sentait plus ou moins à sa place.

Éventuellement, son mari a commencé à partager ce sentiment. « Il y a peut-être l’influence d’Isabelle, dit-il. Mais “On veut un pays”, là… J’avais l’impression que tout le monde criait ça dans les salles des conseils nationaux et il n’y avait pas grand monde qui y croyait. Après, je demandais en privé : “Penses-tu qu’on va gagner un référendum bientôt ?” Des ténors ! Des anciens ! Ils disaient : “Ben non…” »

Il annonce donc son départ du PQ en 2009. Son virage sur la question référendaire lui attirera les foudres de ses collègues péquistes, dont Bernard Landry, qui encore aujourd’hui affirme qu’il était « le plus pressé des souverainistes ». Celui qui, en 2012, a qualifié M. Legault d’arriviste prêt à tout pour prendre le pouvoir ajoute : « C’est comme si le pape devenait musulman. »

CINQ actions AU PQ

2000 : Réinvestissement de 1 milliard de dollars en éducation dans la foulée du Sommet du Québec et de la jeunesse.

2001 : Signature de contrats de performance avec les universités pour lier une partie de leur financement à leur rendement, notamment en matière de taux d’obtention du diplôme.

2002 : Publication des « bulletins des hôpitaux » pour évaluer la performance des établissements de santé et stimuler leurs administrateurs.

2005 : Publication du budget de l’an 1 qui conclut à des surplus de 5 milliards au lendemain d’un référendum gagnant.

2005 : Diffusion du manifeste Le courage de changer lors d’un conseil national qui propose une réflexion sur l’avenir du PQ.

Aux portes du pouvoir ?

Charles Sirois était perplexe lorsqu’il a reçu un appel de François Legault, quelques mois après son départ du PQ. « Je ne le connaissais pas personnellement. Alors je croyais qu’il voulait me parler d’affaires, d’un projet ou quoi que ce soit. Essentiellement, il était venu partager sa préoccupation quant aux écarts de richesse des Québécois par rapport à nos voisins. Il voyait ça comme un grand défi, une grande préoccupation », se rappelle l’homme d’affaires, fondateur de Telesystem.

Comme lors de sa « première retraite », à 39 ans, François Legault ne reste pas longtemps inactif après son départ du PQ. Rapidement, la politique revient sur son écran radar et il invite chez lui des personnalités comme M. Sirois, Joseph Facal, Jean-Herman Guay ou Bruno-Marie Béchard pour discuter d’une troisième voie.

L’objectif est de créer un mouvement, mais Charles Sirois précise que pour lui, il était clair que le projet devait déboucher sur un parti politique.

« Quand on a fait des discussions dans son salon […], l’idée, ça n’a jamais été de dire : il faut créer un parti politique pour François Legault », précise Martin Koskinen. Le nom de Lucien Bouchard revient alors souvent dans les discussions.

« Il a tenté à plus d’une reprise de convaincre M. Bouchard de faire le saut », ajoute le bras droit de M. Legault.

Le 21 février 2011, MM. Legault et Sirois créent la Coalition pour l’avenir du Québec, un organisme sans but lucratif, et lancent une tournée de consultation à travers le Québec. Huit mois et demi plus tard, le 4 novembre, la Coalition devient un parti politique. Des pourparlers sont rapidement engagés avec l’Action démocratique du Québec, l’ancien parti de Mario Dumont dirigé par Gérard Deltell, et une fusion est annoncée en février 2012.

Grincements

L’union des deux partis ne se fait pas sans difficulté. Gérard Deltell s’en va, amer, vers Ottawa après avoir appris dans les journaux qu’il n’était plus sur le « premier trio » de la CAQ. Dominique Anglade, la présidente du parti, part en septembre 2013. « Son départ était intimement lié au virage identitaire. Pour elle, c’était incompatible avec ses valeurs », dit une source.

Ces positions identitaires, comme le « test des valeurs » qu’il entend imposer aux immigrants, sont parfois citées comme un exemple du « pragmatisme » de François Legault – la recherche d’une solution qui se veut rassembleuse, à mi-chemin entre celles du PQ et du Parti libéral. 

Mais d’autres y voient l’illustration du manque de principes d’un politicien pour qui, outre ses priorités en matière d’économie ou d’éducation, toute position est éminemment négociable. « Il est prêt à modeler pas mal d’affaires s’il pense que ça va lui arriver », dit un ancien employé en parlant de l’espoir d’accéder aux plus hautes fonctions. 

« Avec Legault, c’est tout le temps la même formule : les gens avec qui il a soupé samedi soir, ça devient sa position du lundi matin », renchérit un autre.

François Legault demeure extrêmement compétitif, même dans les pools de hockey dont il raffole pour se changer les idées. Les deux défaites électorales subies par la CAQ en 2012 et 2014 sont donc difficiles à avaler, particulièrement la dernière. Une semaine de campagne de plus aurait permis au parti d’occuper les banquettes de l’opposition officielle, croit-on à la CAQ. Martin Koskinen explique que la préparation du dernier débat, particulièrement réussi pour M. Legault, avait pris la forme de simples conversations entre son chef et lui. « Ce n’est pas quelqu’un qui aime avoir plein de gens autour de lui qui lui donnent toutes sortes de conseils », dit-il.

À chacune des élections, il se fait demander si ce sont ses dernières, et s’il rentrera finalement dans ses terres si son parti ne prend pas le pouvoir. Partisans et détracteurs s’entendent pour saluer sa résilience et sa persévérance. Car après tout, l’entrepreneur devenu multimillionnaire à 39 ans n’avait pas besoin de se lancer en politique. Il n’avait pas non plus besoin d’y rester pendant 20 ans et de fonder un parti. Il évoque souvent le devoir de redonner à la société et le désir d’offrir à tous les Québécois une éducation de qualité et la même chance dont il a lui-même pu profiter.

« J’ai été longtemps à penser ça, qu’on serait tellement mieux sans la politique, reconnaît sa conjointe. Ce n’est pas facile. Mais à un moment donné, surtout depuis que les enfants sont plus autonomes, tu te dis : pourquoi pas ? »

« Il n’est pas là pour devenir premier ministre, insiste-t-elle. Il est là pour travailler pour le Québec. Après les élections, c’est la même chose. Il ne lâchera pas, parce qu’il a encore des choses à accomplir. Même en étant dans l’opposition, il peut quand même être un plus pour le Québec. Même en étant dans l’opposition. »

Des candidats qui se bousculent

Mais alors que les sondages favorables s’accumulent, François Legault espère que 2018 sera une année « historique » pour la troisième voie qu’il a créée, 20 ans après son entrée en politique et après 15 années de pouvoir libéral presque ininterrompu. 

Chaque année, dans le temps des Fêtes, il organise des vacances en famille. Mais cette fois-ci, avec la CAQ qui caracole en tête des sondages, les vacances se sont déroulées à la maison d’Outremont, où « les portes étaient pas mal tournantes », confie un proche, tandis que les candidats potentiels se succédaient pour rencontrer le chef.

Lorsqu’il a annoncé la création du parti en 2011, François Legault a promis : « Je reviens en politique pour 10 ans. Pendant ces 10 années-là, je m'engage à ne pas faire la promotion de la souveraineté. »

Sept ans et deux campagnes plus tard, l’ancien souverainiste de Saint-Anne-de-Bellevue multiple ces jours-ci les rencontres « dans des clubs privés avec des groupes de 20, 30 anglophones […]. Ils cherchent une alternative. […] Et là, je répète que jamais un gouvernement de la CAQ va faire un référendum sur la souveraineté ».

À l’approche de ce qui pourrait marquer le début d’une quatrième vie pour son patron s’il prend les commandes du Québec le 1er octobre, Martin Koskinen reconnaît qu’ils avaient sous-estimé l’ampleur de la tâche. « Oui, on a une chance de gagner, dit-il. Mais c’est quand même exigeant, pour un parti qui n’a jamais gouverné, de prendre le pouvoir… La barre est haute. Elle est plus haute qu’on pensait. »

« On pensait y arriver plus rapidement. »

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