Opinion : Subventions en musique

Le monde a changé, l’industrie doit s’ajuster

L’auteur s’adresse au premier ministre François Legault

Monsieur Legault, jeudi dernier, un quotidien montréalais a révélé l’apparence de conflit d’intérêts du chef de cabinet de Nathalie Roy, Sandy Boutin. Pour rappel, M. Boutin est à la fois le principal conseiller de la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, tout en siégeant comme président et actionnaire unique dans une maison de disques.

Clairement, M. Boutin a respecté les règles, quoique désuètes. Sa décision de mettre un pied de chaque côté de la clôture n’a rien d’illégal, j’en conviens. Mais est-ce bien moral ? Malgré ce questionnement, je crois qu’il sera important de conserver Mme Roy et M. Boutin en place. La raison est simple : notre milieu culturel n’a pas besoin d’une autre révolution au Ministère…

Depuis Christine St-Pierre en 2012, on a vu passer Maka Kotto, Hélène David, Luc Fortin, Marie Montpetit et Nathalie Roy… Et chaque fois, il fallait leur expliquer la différence entre un distributeur et un producteur ; entre l’Union des artistes et l’ADISQ, etc. La courbe d’apprentissage est longue dans notre milieu. Et personne, en culture, n’a les moyens de prendre plus de retard. Particulièrement au moment où une légifération imminente s’annonce au fédéral quant aux Netflix, Spotify et Facebook de ce monde.

Le monde change, adaptons les modèles

J’attire aujourd’hui votre attention sur un déséquilibre fondamental dans le milieu de la musique. Selon le rapport annuel de la SOPROQ (Société de gestion collective des droits des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes), 80 % de ses membres sont des artistes autoproduits. Ses nouveaux membres sont composés à 96 % d’autoproducteurs. Ses redevances versées en 2019-2020 concernent à 51 % les autoproducteurs. Selon une lettre adressée à la ministre Roy par le Regroupement des artisans de la musique, le modèle de l’autoproduction est devenu LE modèle dominant.

Or, d’après un article de Radio-Canada, seulement 20 entreprises en musique reçoivent 55 % des subventions de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC), tandis que les 95 autres se partagent le reste.

Et pendant ce temps, on continue à investir en culture par l’entremise des entreprises « reconnues » à la SODEC, excluant ainsi les artistes autoproduits.

L’écosystème change radicalement. Alors que la mécanique de subvention demeure la même et profite à une minorité d’intermédiaires. Est-ce par manque de compréhension ? Ou par simple refus de reconnaître notre nouvelle réalité ? Nathalie Roy doit répondre à cette question.

Juges et parties

La raison pour laquelle plus de 80 % des acteurs ne sont pas reconnus par la SODEC semble liée à une mécanique qui se décide « par » et « pour » les producteurs.

Selon la Loi sur la SODEC, cette société doit créer et entretenir une Commission du disque, du spectacle et des variétés. Elle doit la consulter pour ériger ses programmes d’aide financière. Les gens qui y participent y sont nommés par la SODEC ; ils sont aussi bénéficiaires de ses subventions. Notons qu’avant d’entrer en poste comme chef de cabinet, Sandy Boutin était président de cette Commission.

Depuis quelque temps, le poste d’auteur-compositeur-interprète dans cette commission est vacant. Plusieurs syndicats et associations ont recommandé la candidature d’un illustre auteur-compositeur, interprète et autoproducteur, dont je dois taire le nom ici. Malheureusement, la SODEC n’a pas retenu sa candidature, prétextant qu’il serait en conflit d’intérêts, parce qu’il fait des « représentations politiques ». Ce poste est toujours vacant, selon le site web de la SODEC.

Visiblement, la notion de conflit d’intérêts semble à géométrie variable à la SODEC, sachant que l’actuel président de l’ADISQ (l’association qui fait des représentations politiques pour les producteurs) siège aussi à cette commission, à titre de président. Est-ce deux poids, deux mesures ? Des règles pour les producteurs et d’autres pour les artistes autoproduits ? Pour des raisons qu’on ignore, les autoproducteurs semblent tenus hors de la gouvernance de la SODEC.

Les rois de la montagne

Lorsqu’on fait partie du top 20 des entreprises subventionnées en musique, qu’on siège aussi à la commission qui influence l’accès aux programmes de subvention, on peut être dans une excellente posture pour s’avantager au détriment des 80 % d'acteurs autoproduits.

Les règles actuelles de la SODEC empêchent les artistes autoproduits d’être subventionnés pour fonder et faire croître leur propre entreprise culturelle.

Tantôt, ces règles les forcent à signer avec des maisons de disques établies afin d’accéder à leur juste part des 33,5 millions de dollars destinés au milieu de la musique. Tantôt, ces règles les poussent même à produire d’autres artistes pour devenir admissibles…

En terminant, M. Legault, je réitère que Nathalie Roy et son chef de cabinet doivent malgré tout rester en place. Cela dit, le monde change et ce cabinet doit rapidement en prendre acte. Parce que même si vous injectiez 1 milliard pour sauver la culture de la pandémie, nous serions toujours en droit de nous demander si ces subventions aboutiraient en bonnes proportions dans les bonnes poches. Dans le modèle actuel, une infime part des subventions et revenus ruissellent jusqu’aux artistes. Alors qu’ils sont notre matière première ! Sans eux, pas de culture.

Cette nouvelle réalité d’autoproduction est majeure et non négligeable. Il existe des solutions simples à mettre en place pour corriger ce déséquilibre notoire. Je vous remercierais d’en tenir compte dans votre relance économique à venir.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.