Le (nouveau) cauchemar haïtien

Il y a des expressions anglophones qui perdent en efficacité quand on tente de les traduire en français. L’une d’elles rend parfaitement justice à la situation dans laquelle on se retrouve face au chaos haïtien : you are damned if you do and damned if you don’t.

Traduction libre : quoi qu’on fasse, on aura tort, à tout le moins aux yeux d’une partie de la population haïtienne. Et quoi qu’on fasse, on ne réglera pas tous les problèmes du jour au lendemain.

Car il n’y a pas de plan d’action idéal pour résoudre ce que le secrétaire général de l’ONU a qualifié récemment de « situation absolument cauchemardesque pour la population d’Haïti ». Le pays fait face à une double catastrophe : sécuritaire et humanitaire.

Il n’y a pas d’intervention miracle possible, même si des discussions sont en cours aux Nations unies au sujet de la mise sur pied d’une force internationale pour contribuer à sécuriser le pays. On aura remarqué, d’ailleurs, que l’idée même d’une telle intervention est un sujet extrêmement clivant, tant en Haïti qu’au sein de la diaspora.

Il n’y a pas non plus de remède qui pourrait faire disparaître tous les symptômes du mal qui ronge actuellement le pays – qui ne date pas d’hier, même s’il atteint aujourd’hui des proportions dramatiques.

Ce mal est à la fois profond et complexe.

Pourtant, le Canada, comme bien d’autres pays amis d’Haïti, ne peut pas laisser la situation se détériorer encore plus sans rien faire.

Le cauchemar des Haïtiens, c’est aussi notre cauchemar.

Un peu comme à l’issue du séisme en 2010, on ne peut pas fermer les yeux ni jouer à l'autruche.

Des gestes ont d’ailleurs été faits. Ottawa, à l’instar de Washington, a expédié récemment des véhicules blindés dans le but d’aider la police du pays à lutter contre les gangs.

On avait par ailleurs appris au début du mois d’octobre que le Canada travaillait à créer un régime de sanctions contre les gangs et leurs commanditaires. Vendredi dernier, le Conseil de sécurité de l’ONU a donné son appui à une résolution pour mettre en place de telles sanctions (comprenant un gel des avoirs, une interdiction de voyager et des mesures d’embargo sur les armes).

Voyons voir maintenant si on parviendra à muscler à cette résolution, pour qu’elle soit véritablement efficace. C’est crucial. Qui va-t-on cibler ?

Rappelons quelques détails au sujet de la situation cauchemardesque qui paralyse le pays : des gangs contrôlent des parties de la capitale et bloquent l’accès au plus important terminal pétrolier depuis plus d’un mois.

Non seulement la violence et l’insécurité alimentaire sont devenues endémiques, mais les cas de choléra sont chaque jour plus nombreux et on craint aussi désormais une flambée épidémique. Trouver des façons d’acheminer l’aide humanitaire dont la population a besoin est urgent. Mais ce ne sera pas facile.

L’autre grand problème en Haïti c’est qu’en parallèle de la crise sécuritaire, il y a aussi une crise politique. La légitimité du premier ministre actuel, Ariel Henry (en place depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021), est contestée.

On doit donc agir comme un boxeur qui devrait se battre contre deux adversaires sur le même ring. Il faut affronter les deux crises à la fois. Sinon, tout espoir de victoire est illusoire.

Maintenant, est-ce que les gestes déjà faits sont suffisants ? Non, bien sûr. Mais c’est un départ.

Il ne servirait à rien, par conséquent, d’être exagérément pessimiste. Il y a de réels efforts sur la scène internationale pour trouver des solutions à la crise haïtienne. Et le Canada, dans ce dossier, est tout sauf aux abonnés absents.

Qu’on prenne le soin de bien comprendre comment répondre aux besoins sur le terrain avant de prévoir une initiative plus importante, dans les circonstances, est la moindre des choses.

Car des sanctions, seules, ne suffiront pas à changer la donne. La situation est très délicate, mais il faudra à un moment donné en faire davantage pour permettre à Haïti de se libérer de ce nouveau cauchemar.

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