Vous avez le présentiel rouillé ?

Un rendez-vous en chair, en os, et en présentiel ? Ça vous titille ou ça vous épuise ? Les deux à la fois ? Rien de plus normal. Voici pourquoi.

Avec les belles journées ensoleillées des derniers week-ends (mais moins ce froid des derniers jours !), vous vous êtes peut-être laissé tenter par un pique-nique avec des amis, une marche avec des collègues, ou toute autre activité distanciée en tout respect des consignes sanitaires, il va sans dire. Or, ce faisant, il est fort possible que l’affaire vous ait énergisé, quoique épuisé à la fois. Un an et des poussières depuis le début de cette pandémie, rien de plus normal que de se sentir rouillé en « présentiel », expliquent les experts consultés : rouillé avant, rouillé pendant, et même rouillé après !

Épuisante organisation

« Ça m’affecte aussi, et je le vois chez les autres », confirme d’emblée Georgia Vrakas, professeure au département de psychoéducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Pour cause : voir un ami ou marcher avec un cousin nécessite ces jours-ci une sacrée gymnastique organisationnelle. On se voit dehors ? Le beau temps sera-t-il au rendez-vous ? Mais est-ce qu’on a seulement encore le droit ? « Les règles sont tellement changeantes et confuses ! », confirme la psychologue de Québec, qui a vu sa ville changer de couleur, et ses consignes évoluer et se transformer ce faisant, le tout à la vitesse grand V. « C’est tellement compliqué d’avoir l’heure juste, fait-elle valoir, il y a une grosse fatigue par rapport à toutes ces règles. » Une fatigue, une lassitude ou un état de langueur, tel que l’a expliqué récemment et très justement un article du New York Times : « There’s a Name for the Blah You’re Feeling : It’s Called Languishing » (traduction libre : il y a un nom pour cette lourdeur que vous ressentez : ça s’appelle de la langueur). Ni dépression ni simple coup de barre, cette « langueur » a surtout le don de « saper nos énergies », ajoute ici Chris MacLeod, travailleur social torontois à qui l’on doit The Social Skills Guide Book, ouvrage pratico-pratique en matière de sociabilité. « Une autre vague ? Non, mais c’est une blague ? Ça ne va jamais finir, à quoi bon se rencontrer… » Abattement, quand tu nous tiens.

Un présentiel qui dynamise

Une fois cet initial découragement surmonté, quand rencontre il y a, nul doute que celle-ci produit un effet insoupçonné. Dynamisant au-delà de l’entendement, bien souvent. Et ce, pour plusieurs raisons, toutes uniques et individuelles à chacun, des plus introvertis aux plus extravertis que nous sommes. Chris MacLeod se souvient d’avoir revu quelques copains à l’extérieur, après des semaines et des semaines de néant social. « On était six, c’était Noël ! illustre-t-il. Quand on est a priori nerveux, cela peut aussi nous énerver et nous exciter encore davantage. » Une nervosité qui peut reposer sur 1001 raisons, d’ailleurs : est-ce qu’on risque ici d’attraper le virus, est-ce qu’un ami va s’avérer antimasque « et on va se lancer dans un débat malaisant », illustre-t-il, ou, comble de l’horreur, est-ce qu’on aura perdu toutes nos habiletés sociales, après ces mois de surdose virtuelle ? Une situation qui n’est pas unique à la pandémie, faut-il le signaler. Après un congé parental ou un déménagement dans un nouveau quartier, il est aussi fréquent de se sentir temporairement un poil mésadapté, socialement parlant. « On a tellement coupé les occasions de voir les gens en vrai, on a passé tellement de temps sur les plateformes que, quand c’est possible, oh my God, yé ! », reprend la psychologue Georgia Vrakas, qui se souvient en riant d’avoir pris une demi-journée à se préparer pour sortir voir quelqu’un dernièrement. « C’est tout un évènement, parce qu’on nous a privés depuis 14-15 mois ! » Sans parler des changements de couleur des zones, qui ajoutent un sentiment d’urgence aux éventuelles sorties. « Quand Québec est tombé en zone orange, il fallait en profiter, parce qu’on ne savait pas combien de temps ça allait durer… »

Quand le social épuise

Cela va de soi. Mais il n’est pas inintéressant de le rappeler, question de mieux comprendre ce qui nous arrive plus ou moins tous. « C’est tellement un gros évènement ! », poursuit la psychologue. Du coup, oui, même une seule et unique petite sortie relève pour certains de l’épopée, magnifiée par ce confinement qui va en s’éternisant. « Moi, je suis assise en télétravail depuis le 13 mars 2020, poursuit Georgia Vrakas. Je suis habituée d’être chez moi. Oui, je sors de temps en temps heureusement, mais m’activer demande une énergie physique ! J’ai l’impression que mes muscles sont atrophiés, dit-elle en riant. Et [c’est fatigant] mentalement aussi : un contact social, ce n’est pas la même chose qu’un Zoom. » Et effectivement, confirment les experts, on est ici tous un peu rouillés, à différents degrés. Sonia Lupien, fondatrice et directrice du Centre d’études sur le stress humain de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, avance ici la métaphore de la « locomotive ». « Avant la pandémie, la locomotive allait à 80 km/h. Là, elle a été arrêtée. Et quand c’est arrêté, c’est long à repartir. On le voit. Et on le vit tous, dit-elle. Une fois partie, ça va aller, mais la partir, c’est toute une affaire… » Bien vu. Et bien dit.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.