Adam change lentement

Parfaitement décalé

Adam change lentement, littéralement. Son corps se mue au gré des coups bas, insultes en tous genres, qui fusent ici ou là. Incursion dans la vie d’un adolescent de 15 ans (bedonnant).

Film ovni, à mi-chemin entre le récit initiatique et la comédie adolescente (parodiée), Adam change lentement est un petit bijou insaisissable, à la fois hilarant et déchirant, archi-malaisant. On rit jaune, tout le long de ce premier long métrage primé dans plusieurs festivals, signé Joël Vaudreuil, qu’on savait batteur d’Avec pas d’casque, qu’on découvre ici fin observateur de la gente adolescente, circa 1990.

Cela se passe à une époque lointaine où l’on demandait aux enfants de baisser le son de la télévision, quand les téléphones avaient des fils, et où la porno se glissait sous les matelas. Ah oui, et quand les jeunes tondaient des pelouses, s’ennuyaient ferme et faisaient des mauvais coups l’été.

Le film commence sur une scène surréaliste, qui donne le ton de ce lent film d’animation parfaitement décalé, aux personnages anguleux, à la Beavis et Butt-Head, gros accent québécois en prime

Certains reconnaîtront les voix de Simon Lacroix, Noémie O’Farrell, Sophie Desmarais, Fabien Cloutier, Marc Beaupré et plusieurs autres.

Une famille entoure une vieille dame à l’hôpital. On la devine mourante. Tous sont en mode recueillement. Arrive Adam, flanc mou aux bras (et seins) ballants, les yeux écarquillés, l’air éternellement perdu. Coup de théâtre : la dame se redresse de son lit de mort, et lance, d’une voix rocailleuse d’outre-tombe : « J’ai toujours trouvé qu’t’avais un long tronc ! »

Faut-il applaudir la vieille ressuscitée, ou frémir à ses paroles d’une méchanceté sans nom ? Le doute tenaille le spectateur tout le long, tandis que ce « long tronc » s’allonge, et les malaises se multiplient. Tandis, surtout, qu’on attend que notre Adam se ressaisisse, et mette enfin son poing sur la table (ou ailleurs).

Tous les clichés de comédies d’ados y passent : la fin des classes, le meilleur ami boutonneux, le premier job d’été, sans oublier le party arrosé et la scène finale, ce fiasco annoncé. Sans oublier l’amour impossible, et cette gang de jeunes cools qu’on aime tant haïr. L’humour vient ici moins des dialogues que des situations absurdes à l’extrême, aussi improbables qu’un chat pas de pattes qu’on lancerait dans une piscine.

Mention spéciale à la musique (signée Joël Vaudreuil), parfois angoissante, clin d’œil à John Carpenter (Halloween, The Thing, etc.).

Si la méchanceté des uns n’a d’égal que la mollesse de l’autre, ce film aussi enrageant que délectable, malgré ses longueurs, ne peut que mal finir, et on le sait. On ne s’attendait pas à tant, et c’est aussi jouissif que déstabilisant.

Animation

Adam change lentement

Joël Vaudreuil

Avec les voix de Simon Lacroix, Noémie O’Farrell, Sophie Desmarais, Marc Beaupré et Isabelle Brouillette

1 h 36

En salle

8/10

Robot Dreams

Une amitié aussi forte que fragile

Lassé de la solitude dans son appartement à Manhattan, Chien se fait livrer un ami automate. Robot et lui fileront le parfait bonheur jusqu’au jour où le compagnon métallique restera coincé sur la plage.

À New York, dans les années 1980, Chien s’ennuie. Une publicité à la télévision le convainc de commander un ami mécanique à assembler. Dès que leurs regards se croisent, c’est l’amour entre Chien et Robot.

Inspiré du roman graphique du même nom de Sara Varon, Robot Dreams (Mon ami Robot, en français) est un film qui nous touche et nous fait sourire sans dire un mot.

L’absence de dialogue ne signifie pas pour autant que l’œuvre est silencieuse. La magnifique musique d’Alfonso de Vilallonga communique une vaste gamme d’émotions. Les différentes versions de September, d’Earth, Wind & Fire, aussi. Les sons de la métropole et de ses nombreux habitants évoquent le bourdonnement constant de la ville qui ne dort jamais, ce qui renforce aussi l’impression de solitude qu’on ressent parfois dans ce bruit ambiant.

Lorsque Chien a finalement quelqu’un avec qui partager tout ce que sa ville à offrir, son visage et ceux des gens qu’ils croisent s’illuminent. Que son camarade de métal s’émerveille devant chacune de ses découvertes – le métro, Central Park, le patin à roulettes, les hot-dogs de rue – y contribue certainement.

Après avoir passé l’été à profiter des attraits new-yorkais, le duo visite la plage d’Ocean Beach. À la suite d’une journée parfaite sous le soleil et dans l’eau, Chien et Robot s’assoupissent. À leur réveil, tout le monde est parti. Ils veulent faire de même, mais Robot est paralysé. Incapable de le traîner, Chien décide de revenir le lendemain avec des outils pour réparer le mécanisme de son copain. À son retour, à l’aurore, une clôture grillagée et une pancarte l’informent que l’accès à la plage est interdit jusqu’à l’an prochain.

Pendant les mois suivants, Robot et Chien éprouveront une solitude encore plus profonde : celle qui suit un départ, une rupture, la fin de quelque chose de beau vécu à deux. Quelques éclaircies permettront à chacun de passer à travers les saisons. Une oiselle, par exemple, viendra établir son nid à côté de Robot. Chien fera un voyage de luge – plutôt que de ski. De jolis moments dans l’imaginaire des deux protagonistes prendront également vie.

Écrire sur la fin est difficile sans la gâcher. Sachez qu’elle est audacieuse, mélancolique et d’une rare beauté. C’est un peu long avant de s’y rendre, mais une peine d’amour semble toujours durer une éternité.

Robot Dreams est une œuvre universelle, qui se distingue autant par son dessin que par son approche. Son visionnement suscitera des rires, des larmes puis des souvenirs qui pourraient, à leur tour, engendrer plus de rires et de larmes.

En salle à Montréal le 7 juin, à Québec le 14 juin et ailleurs dans la province le 21 juin

Tragicomédie d’animation

Robot Dreams

V. F. : Mon ami Robot

Pablo Berger

1 h 42

En salle

8/10

L’enlèvement (Rapito)

Beauté baroque

En 1858, à Bologne, Edgardo Mortara, un garçon juif de 6 ans, est enlevé de sa maison familiale par des gendarmes du pape… sous prétexte qu’il a été baptisé en secret par sa nourrice bigote. Il recevra une éducation catholique, puis se convertira à cette religion.

Avec L’enlèvement (Rapito en version originale italienne), en compétition à Cannes en 2023, le réalisateur italien Marco Bellocchio se penche sur une histoire vraie, l’« affaire Mortara », qui a bouleversé l’Italie au XIXsiècle : le rapt d’un enfant juif de 6 ans à Bologne, le 24 juin 1858, sur ordre de l’autorité de Pie IX. Edgardo Mortara sera éduqué dans une stricte pension catholique à Rome, avant de se convertir à sa nouvelle religion et de devenir prêtre. Il restera fidèle à la papauté toute sa vie, même après la chute des États pontificaux et l’unification de l’Italie.

On retrouve ici la grande maîtrise esthétique et le style baroque du réalisateur du Diable au corps. L’enlèvement est un film riche et puissant dirigé par un maestro du cinéma italien. Avec des images en clairs-obscurs qui se marient à d’autres où la lumière brille de tout feu (soulignons la belle direction photo de Francesco Di Giacomo) ; une musique opératique qui accompagne le récit (qui se déroule sur une vingtaine d’années) ainsi qu’une reconstitution historique impeccable.

Thème actuel

Outre son raffinement, ce film a aussi une dimension politique. Car l’opinion publique de l’Italie libérale et la communauté juive internationale appuient le combat des Mortara qui se heurtent au refus de l’Église et du pape de leur rendre leur enfant. Le long métrage expose donc le drame d’une famille et de tout un peuple.

De plus, la sortie du film fait écho au présent, à l’antisémitisme résurgent dans le monde. Sans appuyer son message, Bellochio montre que le mariage entre religion et pouvoir, célébré par un pape antisémite et corrompu, a des séquelles psychologiques à long terme sur l’enfant et ses proches.

Bellocchio a bien dirigé une excellente distribution d’acteurs italiens. Mentionnons la prestation formidable de Paolo Pierobon dans le rôle du pape Pie IX ! Et celle des parents impuissants joués par Barbara Ronchi et Fausto Russo (le juge Falcone dans Le traître). Sans oublier les jeunes interprètes d’Edgardo enfant, Enea Sala, et adulte, Leonardo Maltese, tous deux bouleversants.

À 84 ans, Marco Bellocchio livre une superbe fresque historique, doublée d’un vibrant plaidoyer contre le dogmatisme et le fanatisme. Religieux et politique…

Le film est présenté au cinéma en version originale (italien et hébreu) avec sous-titres français et anglais.

Drame historique

Rapito

V.F. : L’enlèvement

Marco Bellocchio

Avec Fabrizio Gifuni, Enea Sala, Paolo Pierobon

2 h 14

En salle

8/10

The Watchers

Beaucoup à dire, peu à voir

Perdue dans une immense forêt irlandaise, une femme trouve refuge dans une mystérieuse maison habitée par trois personnes qui lui expliquent les règles à suivre afin de survivre aux créatures qui viennent les observer chaque nuit.

Le cinéma de M. Night Shyamalan (The Sixth Sense, Split) est reconnu pour son suspense et ses fins inattendues. Ses œuvres sont inégales, mais sa méthode est éprouvée.

Sa fille, Ishana Night Shyamalan, emploie la même recette pour son premier long métrage, The Watchers. Bien que la conclusion ne soit pas époustouflante et que le chemin pour s’y rendre soit un peu ennuyeux, la jeune cinéaste parvient à nous tenir en haleine grâce à un efficace dosage de moments de tension et de relâchement. L’intrigue, tirée d’un roman d’A. M. Shine qui a donné son nom au film, se prêtait bien à un rythme à deux vitesses.

Mina (Dakota Fanning) reçoit le mandat du patron à l’animalerie où elle travaille de conduire un oiseau rare d’un bout à l’autre de l’Irlande. Son voyage la mène dans une épaisse forêt dans l’ouest du pays. Avant qu’elle n’y reste coincée, on a droit à de belles images de l’île d’Émeraude. À l’instant où la nuit tombe, Madeline (Olwen Fouéré), Ciara (Georgina Campbell) et Daniel (Oliver Finnegan) ouvrent leur porte à l’Américaine égarée et à son perroquet jaune. Le trio habite une demeure à l’architecture brutaliste qui n’a qu’une seule pièce et un grand miroir sans tain. À chaque coucher du soleil, ils doivent s’aligner devant afin d’être observés par les créatures qui les laisseront en vie s’ils obéissent à cette règle et à quelques autres.

Celles-ci sont parsemées durant le calme des journées, parfois par de longs monologues explicatifs. The Watchers repose sur des mythes irlandais qui ne sont pas sans intérêt, mais exposés platement. Ishana Night Shyamalan, qui a elle-même adapté le livre pour le grand écran, a tout de même habilement dirigé ses comédiens. Ils représentent un éventail juste des possibles réactions à un environnement inquiétant. Même si très nombreux, les gros plans sur le visage de Dakota Fanning (I Am Sam, The Runaways, Ripley) communiquent bien l’émotion désirée. Son jeu est mesuré et ne tombe jamais dans l’hystérie. Il en va de même pour les autres acteurs.

Bien que cet aspect soit rafraîchissant, il contribue sans doute au fait que The Watchers ait failli dans sa tâche de nous effrayer. Rien n’est assez troublant pour perturber notre cerveau qui cherche à élucider le punch avant la fin. Un effet de la méthode Night Shyamalan.

Suspense d’horreur

The Watchers

V. F. : Les Guetteurs

Ishana Night Shyamalan

Avec Dakota Fanning, Georgina Campbell, Olwen Fouéré

1 h 42

En salle

5,5/10

Bad Boys – Ride or Die

La cloche et l’idiot

Conrad Howard, défunt capitaine des détectives Mike Lowrey et Marcus Burnett, est accusé de façon posthume de corruption et d’avoir collaboré avec des cartels de la drogue. Le duo fait de nouveau équipe pour le disculper.

À 50 ans, Mike Lowrey (Will Smith) a finalement trouvé la bonne partenaire de vie et se marie. Lors de la réception, Marcus Burnett (Martin Lawrence) s’effondre sur la piste de danse, victime d’un arrêt cardiaque.

Les mauvais garçons ont vieilli depuis leur première aventure au cinéma en 1995. Ils n’ont toutefois pas gagné en sagesse.

Après avoir flotté dans l’au-delà pendant quelques instants, Marcus se pense immortel. Il est aussi convaincu que Mike et lui sont des âmes sœurs, et ce, depuis plusieurs vies – Marcus qui annonce avec tout le sérieux du monde que Mike a déjà été un âne et qu’il était son propriétaire est parmi les rares bons gags.

De son côté, Mike souffre de crises de panique. Rien d’impossible considérant son métier, mais la charmante arrogance du personnage a complètement disparu. Il demeure un policier déterminé et compétent, mais il est maintenant tout lisse. Une façon d’adoucir l’image ternie de Will Smith depuis sa gifle à Chris Rock aux Oscars, en 2022 ?

Lorsqu’un coup monté est orchestré pour lier le capitaine Conrad Howard (Joe Pantoliano) à des cartels de la drogue, les partenaires de longue date défient les ordres pour enquêter « discrètement ». Ils interrogent en prison Armando Aretas (Jacob Scipio, seul acteur qui joue dans le bon registre), fils de Mike, dont on a appris l’existence dans le volet précédent. Il est aussi l’assassin du capitaine Howard, mais son père lui a rapidement pardonné… Le trio se retrouve ensuite fugitif en raison des manigances du gros méchant interprété avec une conviction qui détonne par Eric Dane (Grey’s Anatomy, Euphoria).

Bad Boys for Life, sorti en 2020, aussi d’Adil et Bilall (Rebel, Ms. Marvel) et coécrit par Chris Bremmer, était fort efficace. Une intrigue juste assez abracadabrante, un bon dosage d’humour et d’action, des personnages attachants. On se demande comment la même équipe a pu rater son coup de la sorte pour la suite. Les blagues sont faibles, les dialogues sont creux, la réalisation est un croisement entre celle d’un jeu vidéo et d’un vidéoclip, le fil narratif est à la fois mince et complexe. On préfère quand les personnages secondaires sont mis de l’avant tellement Mike et Marcus sont usés. La chimie entre Will Smith et Martin Lawrence n’opère plus. C’est un peu mieux lorsqu’ils prennent les armes dans le dernier acte.

De plus, il aurait été logique que le quatrième film de la série porte le titre de Bad Boys 4 Life, non ?

Action

Bad Boys – Ride or Die

V.F. : Mauvais garçons – À la vie, à la mort

Adil et Bilall

Avec Will Smith, Martin Lawrence, Vanessa Hudgens

1 h 50

En salle

3,5/10

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