Résumé du chapitre précédent

Dans un bistro de Rosemont, l’inspecteur Roger Panneton, chargé de l’enquête sur la mort de l’homme d’affaires Antoine Meursault, croise un fantôme sorti tout droit du passé : Serge Tougas, un ami d’enfance avec qui il a jadis mis le feu à une maison abandonnée. L’incendie a causé la mort d’une sans-abri. Trente ans plus tard, ce lourd secret est le seul point commun entre les deux hommes.

Une homme détestable Notre polar estival

Chapitre 7 : Haut les cœurs

Le portable de Roger Panneton, une relique des années 90 pesant une tonne, sonna au moment où la squelettique Tania, entre deux bouffées de sa dernière Québec Classique, eut fini de déballer son sac sur les liaisons dangereuses de son ancien amant-client.

— Panneton, ramène-toi au labo de l’Institut, on vient de recevoir les résultats d’analyse de la tête d’Antoine Meursault, c’est assez dégueulasse, merci.

Panneton glissa sa carte dans la main veineuse et décharnée de Tania et fila vers l’endroit qu’il détestait le plus au monde, après le bureau du patron Jules Lessard : la morgue. Au 14e étage de l’édifice, les mots gluants qui coulaient en cascade de la bouche du coroner, mêlés à l’odeur piquante du formol, donnèrent à l’inspecteur Panneton son deuxième haut-le-cœur de la journée.

La tête de Meursault avait été tranchée d’un coup sec avec une machette ou un sabre. Du vrai travail de pro, commenta presque admirativement le jeune coroner, que Panneton connaissait peu.

Les yeux d’Antoine Meursault avaient été crevés à l’aide d’un objet pointu (un tournevis ? un pic à glace ?) et ses lèvres, délicatement cousues ensemble à l’aide de longs cheveux humains noirs. Un noir presque bleuté, comme celui de la tignasse chatoyante des actrices italiennes dans les films de Vittorio de Sica.

C’est clair, marmotta Roger Panneton, Meursault a vu quelque chose et a bavassé avec la mauvaise personne.

Ce n’est pas tout, enchaîna le coroner, presque gêné d’embêter davantage l’inspecteur-chef, qui blanchissait à vue d’œil. On a aussi trouvé ça au fond de la gorge de Meursault, derrière sa luette.

Panneton sortit ses lunettes, enfila une paire de gants et prit avec mille précautions la carte noire aux contours en platine que lui tendit le coroner. Le nom d’Antoine Meursault y était gravé en or.

Il s’agissait de l’une des rarissimes cartes de membre du club privé le plus mystérieux de Montréal et même du Canada : les Chevaliers de Saint-Antoine. Une société secrète qui se réunissait dans un majestueux édifice du Vieux-Montréal et où se côtoyaient des bonzes de la haute finance, d’influents promoteurs immobiliers, des artistes friqués et des politiciens issus de familles nobles. Le lieu était encore mieux protégé que les anciens repaires des Hells Angels.

Selon la rumeur publique, le premier ministre William Désormeaux appartenait aux Chevaliers de Saint-Antoine, un ordre quasi mythique.

Pour y accéder, il fallait a) y être invité et parrainé par un des lieutenants, b) signer un chèque dans les six ou sept chiffres et c) subir une initiation aussi cruelle que dangereuse.

Comment Meursault, un self-made-man ayant grandi à Rosemont, avait-il pu accéder à un cercle de personnes aussi privilégiées ?

De retour au QG de la police de Montréal, Roger Panneton fila rapidement devant le bureau de la réceptionniste et ne vit pas que la belle Pascale Prévost lui avait mis de côté une pile de DVD frappés des étiquettes : « surveillance, bureaux de Panneton, Lessard et Bégin ».

Il était 20 h et Panneton ne pensait qu’à deux choses : retrouver son lit duveteux et sa tendre femme. Il jeta un rapide coup d’œil à ses courriels avant d’éteindre sa lampe. La fouine Vincent de Léon du journal Aujourd’hui+ lui avait écrit, sans préambule et dans un français raboteux : « J’ai des infos, vous avez des infos, je pense qu’il faut qu’on se parle. » Bon, un autre problème sur la pile, soupira-t-il.

Épuisé, anxieux et toujours nauséeux, Panneton reluqua la bouteille de Meursault, Clos de Mazeray 2000, qui le narguait sur son bureau. Ah, tant pis. Pourquoi pas ? Il déboucha la bouteille avec son couteau suisse et porta le goulot à ses lèvres. L’odeur épouvantable qui se dégagea de ce supposé grand cru lui fit restituer dans la corbeille à papier le peu de nourriture qu’il avait avalé depuis son réveil.

Demain

Rima Elkouri : « Roger, on le sait »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.