Maltraitance au Manoir Liverpool de Lévis

Le directeur de la vaccination dans l’embarras après une enquête

Une « situation profondément choquante », dit Québec

Québec — Des aînés et des personnes atteintes d’une déficience ont été victimes de maltraitance au Manoir Liverpool de Lévis pendant au moins cinq ans, conclut un rapport d’enquête qui déplore la tolérance du CISSS de Chaudière-Appalaches vis-à-vis de cette situation. En décembre, Québec a nommé le PDG de ce CISSS, Daniel Paré, directeur de la campagne de vaccination contre la COVID-19.

Pour le gouvernement Legault, le rapport met en lumière « une situation profondément choquante » et M. Paré « aura à expliquer cette situation et décrire toutes les actions qui ont été mises en place pour [la] corriger ».

« Maintenant, Daniel Paré gère actuellement la plus importante opération de vaccination du Québec. Nous avons tout à fait confiance que M. Paré saura expliquer ses décisions », ajoute le cabinet du ministre de la Santé Christian Dubé, confirmant ainsi son maintien en poste. Daniel Paré a décliné notre demande d’entrevue.

L’enquête administrative a été déclenchée l’an dernier, à la suite d’un reportage de la station de Québec de Radio-Canada au sujet de diverses allégations troublantes concernant les services rendus au Manoir Liverpool. Cette résidence, que l’on appelle « ressource intermédiaire » dans le jargon administratif, a été aux prises avec une importante éclosion de COVID-19 le printemps dernier. Elle héberge des aînés et des personnes atteintes de déficience en vertu de contrats avec le CISSS de Chaudière-Appalaches.

Selon le rapport dévastateur du Bureau des enquêtes administratives du CISSS, des personnes hébergées ont été victimes de « maltraitance physique » pendant au moins cinq ans. Leur santé et leur sécurité ont été « compromises ». Elles ont été « privées de conditions raisonnables de confort » – aucun bain offert pendant trois semaines –, rationnées en nourriture et oubliées au moment du repas dans leur chambre aussi « insalubre » que leur salle de bain, « contraintes à une attente indue d’un changement de culotte de protection ou encore à leurs demandes d’assistance en raison de sonnettes d’appel ignorées par le personnel ». C’est sans compter que les résidants ont eu droit à « des soins en matière d’administration des médicaments de piètre qualité, non sécuritaires et souvent même dangereux ». On parle d’« omissions répétées » et de « nombreuses erreurs ». Il y avait également une pénurie criante de personnel.

Le rapport soulève « la question relative à la tolérance du CISSS de Chaudière-Appalaches à l’égard des soins et des services déficients et récurrents du Manoir Liverpool ». Le CISSS a offert du soutien à la résidence au fil des ans, mais ce fut insuffisant puisque les problèmes revenaient tout le temps. Ces « multiples démarches » prouvent que « les différentes lacunes étaient connues des gestionnaires de l’établissement », donc des patrons du CISSS.

« Comment expliquer la poursuite de l’établissement [le CISSS] dans des démarches de soutien et d’accompagnement qui se sont succédé principalement sur les mêmes manquements, au cours de la période de 2016 à 2020 ? »

— Extrait du rapport du Bureau des enquêtes administratives du CISSS de Chaudière-Appalaches

« Jusqu’à quel point les gestionnaires du CISSS qui ne sont pas, au quotidien, présents dans les ressources sont-ils en mesure de saisir justement les impacts des manquements à l’endroit des personnes hébergées, de leur famille et de leur personnel ? Bien que la présente enquête administrative ne concerne que la prestation de service [du Manoir Liverpool] et non pas celle du CISSS de Chaudière-Appalaches, nous nous permettons tout de même de questionner les moyens utilisés par le CISSS afin d’assurer une vision systémique des lacunes des ressources ».

« Scénario de vente en cours »

Ce rapport met dans l’embarras le PDG du CISSS de Chaudière-Appalaches, Daniel Paré, en poste depuis cinq ans. Le gouvernement l’a nommé à la tête de la campagne de vaccination le 8 décembre.

La ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, a reçu le rapport d’enquête sur le Manoir Liverpool il y a une semaine ; le CISSS l’avait depuis le 22 décembre. Un délai inacceptable pour Mme Blais qui, au cours de la dernière semaine, a fait pression pour que le CISSS le rende public. Une synthèse de 40 pages du rapport a été divulguée vendredi matin malgré une mise en demeure des propriétaires du Manoir Liverpool visant à en empêcher la diffusion.

Les enquêteurs recommandent au CISSS de résilier, « pour motifs sérieux », ses ententes avec le Manoir Liverpool. Le CISSS ne l’a pas fait à ce jour. Selon son communiqué, il a décidé « de ne plus permettre l’exploitation de la résidence par les propriétaires actuels », mais ce processus est « suspendu temporairement compte tenu d’un scénario de vente en cours ».

Cette situation irrite Marguerite Blais. « De me rendre compte que le propriétaire est en train de vendre, qu’il peut continuer à opérer, qu’il garde sa certification, qu’il continue d’avoir des personnes qui sont placées par le CISSS, ça fait plus que m’interroger, ça fait plus que m’interpeller, ça m’égratigne énormément », a-t-elle déclaré en entrevue.

Dans son communiqué, le CISSS confirme que « plusieurs plans d’amélioration » ont été appliqués entre 2016 et 2020, « mais que ceux-ci ne comportaient pas des lacunes ayant trait à la maltraitance ». Les visites d’inspection n’ont pas démontré des problèmes de cet ordre, plaide-t-il. Or, selon le rapport d’enquête, ces visites « n’étaient que des mascarades », car les propriétaires faisaient des efforts « extraordinaires » pour « faire croire » que les pratiques étaient conformes.

Une situation « épouvantable », dit la ministre Blais

Questionnée pour savoir si elle fait confiance au CISSS et à ses explications, la ministre Blais a eu une réponse en forme de désaveu pour l’établissement : « J’ai confiance dans l’enquêtrice, MSandra Ouellet. » Le rapport fait état d’une situation « épouvantable », a-t-elle lâché.

Elle a demandé à la division des affaires juridiques du Ministère de se pencher « très rapidement » sur le dossier du Manoir Liverpool. « Il faut trouver le levier juridique correct pour faire en sorte que ces personnes soient imputables », a-t-elle ajouté, laissant planer la possibilité d’une poursuite ou d’un retrait de certifications.

L’un des propriétaires du Manoir Liverpool possède d’autres établissements, dont le CHSLD privé conventionné Pavillon Bellevue. Mme Blais a réclamé une enquête sur cet établissement.

Plus largement, elle veut donner plus de mordant à la loi visant à lutter contre la maltraitance. Il va devoir y avoir à un moment donné une obligation de rendre des comptes quelque part, a-t-elle dit.

Et pour Daniel Paré ? Il doit rendre des comptes comme tous les PDG du réseau, a soutenu Mme Blais, tenant le même discours que le bureau de son collègue Christian Dubé. « Il va falloir qu’il réponde aux questions. »

Marguerite Blais a envoyé une lettre à tous les PDG de CISSS et de CIUSSS pour rappeler leur responsabilité légale à l’égard des services donnés aux usagers, que ce soit par l’établissement lui-même ou par un tiers. Elle leur demande de lui soumettre, d’ici le 26 février, « les documents qui constituent [leurs] processus et mécanismes d’assurance qualité » encadrant les ressources intermédiaires.

« Bouleversé » par le sort des résidants du Manoir Liverpool, le Parti libéral du Québec considère que la ministre Blais a déjà « tous les leviers nécessaires pour intervenir ». « La ministre peut congédier le PDG, retirer l’accréditation [de la résidence], entamer des démarches judiciaires… Agira-t-elle ? », a lancé la députée Monique Sauvé, porte-parole de l’opposition officielle pour les aînés et les proches aidants.

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