La démocratie américaine en péril

L’assaut de la foule en colère sur le Capitole à Washington était totalement justifié. L’attaque, pendant que le Congrès était sur le point de voler l’élection, est la faute de Joe Biden.

C’est ainsi que beaucoup d’électeurs américains voient ce qui s’est passé à Washington le 6 janvier. Un sondage YouGov effectué au lendemain des évènements révèle que 56 % des électeurs pensent que la fraude électorale a été suffisante pour permettre à Joe Biden de gagner. Parmi les électeurs républicains, 45 % appuient l’attaque du Capitole, et 52 % blâment Joe Biden.

Comment en est-on arrivé là, pour que des millions d’électeurs vivent dans une fausse réalité, et y croient dur comme fer ?

Bien sûr, le président Trump, grand démagogue, a su exploiter les failles existantes dans la société américaine et nourrir la bête.

Il a affirmé après les manifestations des émeutiers blancs à Charlottesville en 2017 qu’il y avait de bonnes personnes parmi ce groupe. Il a aussi appuyé l’attaque récente d’une foule armée sur le Capitole de Lansing au Michigan en s’exclamant qu’il fallait libérer cet État. Il a répété le slogan du groupe d’extrême droite les Proud Boys, leur demandant d’attendre mais de se tenir prêts. Trump a largement profité des moyens sans précédent que fournissent les réseaux sociaux afin d’influencer les gens.

Mais Trump, tout en étant un pyromane, est aussi un symptôme de la désintégration économique de la société américaine.

La société américaine subit trois fractures importantes, qui se nourrissent mutuellement : les fortes inégalités de revenus, les divisions économiques et culturelles entre les campagnes et les villes, et l’enjeu racial entre les Blancs et les Noirs et hispaniques. Ces fractures profondes ne disparaîtront pas magiquement avec le départ de Trump comme président.

Inégalités

Commençons par les inégalités sociales : tous les indicateurs économiques démontrent que les inégalités ont augmenté fortement et sont revenus aux niveaux de 1929, juste avant la Grande Dépression. Les États-Unis sont une des économies avancées les plus inégalitaires. Par exemple, entre 1966 et 2001, les 1 % les plus riches ont vu leur masse salariale réelle augmenter davantage que celle de l’ensemble des 50 % au bas de l’échelle. En 1973, les chefs de grandes entreprises gagnaient 27 fois plus que le salaire moyen. Aujourd’hui, ils gagnent près de 300 fois plus. Pendant ce temps, l’impôt sur les revenus a fortement baissé depuis le président Reagan, accentuant ainsi les inégalités.

Deuxièmement, les augmentations de revenus sont allées principalement aux résidants des grandes villes, dans cette ère de globalisation où l’éducation est fortement récompensée. Ces urbains ont été les principaux bénéficiaires, laissant les habitants des campagnes loin derrière. On commence d’ailleurs à voir l’espérance de vie des Blancs sans formation universitaire baisser. Il n’est donc pas surprenant que l’homme blanc hors des grands centres ait très majoritairement voté pour Trump.

Les comtés qui ont voté pour Trump ne représentent que 29 % du PIB, contre 71 % du PIB pour Biden. C’est donc dire que ce sont massivement les plus pauvres qui ont voté pour Trump.

Troisièmement, la division entre les riches et les pauvres, entre les habitants des villes et ceux des campagnes, est accentuée par le clivage racial. Les Blancs des campagnes voient leur statut dans la société américaine menacé. Ils ont peur de perdre leur place et réagissent fortement.

C’est là où Trump a pu profiter de leurs peurs, au lieu de s’attaquer à ces enjeux. En effet, il aurait pu, par exemple, instaurer un grand plan d’infrastructure traditionnel, ou axé sur les énergies renouvelables, par exemple, qui aurait profité aussi aux gens hors des grands centres urbains. Son premier acte a été de couper plutôt l’impôt des sociétés, ce qui bénéficie démesurément aux plus riches. Voilà qui a accentué les inégalités, et donc le retard économique des gens habitant à l’extérieur des villes.

Le président Trump crée ainsi un cercle vicieux : les inégalités économiques aident le président, qui à son tour coupe les impôts des riches, ce qui augmente davantage l’aliénation des plus pauvres, et consolide l’appui pour Trump.

Ce cercle vicieux est possible à cause d’un paradoxe identitaire : les Blancs des campagnes voient Trump comme leur leader, leur sauveur, qui va les protéger contre ce qu’ils voient comme une menace : l’autre, le Noir et les populations hispaniques. Ils sont donc prêts à suivre le sauveur Trump, même s’il ne fait rien pour améliorer leur sort économique. Il n’a qu’à laisser entendre qu’il va les protéger contre l’Autre.

Voilà qui donne donc tout un programme économique et social pour le nouveau président Biden. Il va devoir réduire les inégalités tout en améliorant les conditions économiques de l’ensemble de la population, surtout des gens hors des grands centres. Un vaste programme, mais la démocratie américaine en dépend.

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