Un homme détestable, le dénouement

Quand la pieuvre s’emmêle

Panneton était assis à sa table de cuisine, vêtu de sa robe de chambre élimée. Dans la pénombre, les chiffres fluorescents du micro-ondes l’agressaient : 2:12. Il n’avait pas fermé l’œil. Ce n’était pas le souper de Louise qu’il ne digérait pas, mais la découverte de ce quintette influent de 1974 du Collège Saint-Antoine : quels liens pouvaient bien les unir après tant d’années ? Mafia ? Police ? Église ? Affaires ? Politique ?

Panneton alluma et se mit à feuilleter l’album de finissants. Devant le petit air suffisant du vieux père Cantin, qui avait été fier de sa chute dramatique en lui montrant la photo de la classe 501, il avait réquisitionné l’album, il allait lui servir.

Il était hypnotisé par ces visages juvéniles à peine sortis de l’acné (qui allaient plus tard laisser à la face de la société des cicatrices beaucoup plus graves) lorsqu’en feuilletant les pages, il se dit que le temps de la confrontation était venu.

***

— Euh … ?, répondit De Léon, ensommeillé.

Pour une fois, il était le seul que le téléphone avait réveillé. Julie-Catherine avait finalement débarrassé le plancher, exaspérée par son indisponibilité et ses sorties nocturnes. Ses dernières récriminations crachées, elle lui avait demandé de la rappeler quand il aurait un autre job, par exemple quand il serait prêt à écrire son fameux roman policier. C’était un coup bas. Elle savait que c’était le fantasme irréaliste de trop de journalistes !

— C’est Panneton. Ramène-toi au plus sacrant. Même endroit. Avec tout ce que t’as ramassé sur le cas Désormeaux-Meursault. Tu te vantes tout l’temps que t’as des preuves de quec’chose, ben l’heure est venue de les dévoiler !

Le lendemain matin, arrivé au poste à la première heure, Panneton, boosté à l’adrénaline, avait tous les sens en éveil, et ce, même s’il n’avait pas dormi au cours de cette nuit révélatrice.

Tous les renseignements confiés par De Léon constituaient une mine d’or. Peut-être des pépites pour le journaliste et son quotidien, qui n’avait pas voulu les publier, mais quand on les plaçait en contexte avec ce « club des cinq », c’était le gros lot.

Quand il pénétra dans le bureau de Lessard, tout avait été organisé. Les copies de documents compromettants, la vidéo de Meursault avec le PM, le système d’écoute pour enregistrer la conversation, la totale. Après tout, Panneton avait des amis au poste.

Ça n’avait pas été long que son chef n’avait eu d’autre choix que de se mettre à table : le pacte des anciens de Saint-Antoine, qui s’étaient retrouvés dans des postes-clés bien des années plus tard, avait donné lieu à des ramifications des plus sophistiquées qui leur avaient permis d’exercer « LE » Pouvoir, à cinq têtes.

La province était dirigée et dominée par les contrats de Battaglia, les dons et les dogmes de Mgr Bianchi, la loi et l’ordre de Lessard et les affaires de Meursault. Tous ces affluents se déversaient dans la mer politique de Désormeaux. Tous ces influents se gargarisaient au pouvoir, à la puissance.

***

C’était sans compter le fait que le sang qui arrose le cerveau des hommes, même les plus puissants, irrigue aussi leur sexe.

Antoine Meursault avait pourtant enfilé plus d’une aventure et avait toujours gardé la distance requise entre sa vie professionnelle et ses histoires de cul. Mais là, cette Tania l’avait ensorcelé au point qu’un soir, il s’était épanché et avait levé le voile sur les magouilles et les hommes avec qui il copinait. Le nom du PM était sorti. La soirée était belle, la peau de Tania douce et, sur le bateau, ils étaient hors du monde. Avait-il trop bu, l’avait-il trop désiré, peu importe. C’était sorti. Et cette Tania, qui avait beaucoup de contacts dans son milieu peu recommandable, en avait profité pour le faire chanter.

Assez pour qu’un Meursault, intimidé, panique. Il avait donc demandé à Battaglia de faire « travailler son personnel » et d’enrichir ses amis propriétaires de salons funéraires : Tania était une menace.

Mais l’homme d’affaires avait toujours été un bavard, c’était connu. Ce n’était pas la première fois que ses acolytes avaient eu vent de ses indiscrétions. Sa femme Lucia avait aussi eu droit à quelques aveux qui étaient venus aux oreilles du PM lui-même. Parti de loin, Antoine Meursault se vantait d’avoir réussi dans la vie, et pour valoriser un vaut-rien devenu riche, quoi de mieux que d’étaler ses relations et ses faits d’armes. Combien de fois leur avait-il rebattu les oreilles avec cette cabane, flambée par ce policier rétro, Roger Panneton ? Utile quand le temps est venu de confier l’enquête. Bref, Meursault n’avait jamais su prendre ses précautions, et cette cinquième roue du carrosse était devenue dangereuse pour le carré d’as qui opérait à la tête de la province.

Battaglia avait donc chargé Nick Sardano de régler la situation : Antoine Meursault, Tania et Lucia, le trio y était passé.

***

Lessard avait vomi toute l’affaire sans discontinuer. Facilement. Un peu trop, s’était même étonné Panneton. Cette histoire, qui allait demander beaucoup de doigté de sa part, l’avait totalement absorbé alors qu’il entrevoyait la suite des choses et les décisions à prendre. Obnubilé, il n’avait donc pas eu le temps de voir Lessard retirer sa main de sous la table et le viser, ni de voir le projectile sortir de l’arme et se loger directement dans son œil droit. Alors que la noirceur s’installait pour toujours, Panneton eut cependant le temps d’entendre la détonation de la balle que Lessard se tira dans la bouche.

***

Finalement, Julie-Catherine allait peut-être revenir. Même si ce n’était pas de la fiction, De Léon l’avait écrit, en quelque sorte, son roman policier : il était à la une de son journal. Et toute ressemblance avec des faits ou des personnages connus n’était pas une coïncidence.

Pierre Brunet

Pierre Brunet est gestionnaire au Ministère des Ressources Naturelles. Il ne lit que des polars et des thrillers, avec un faible pour les suspenses psychologiques. Les livres traditionnels de « procédures policières » l’intéressent moins, quoique Jo Nesbo demeure pour lui une référence dans le domaine. Patrick Senécal a été un des premiers auteurs québécois qui l’ont marqué. Chez les Français, Karine Giebel l’épate à chaque roman. Récemment, il a découvert John Verdon avec plaisir. Sa participation au concours constitue sa première tentative d’écriture. 

Un homme détestable, le dénouement

Résumé du chapitre précédent

La visite au collège Saint-Antoine s’est avérée extrêmement fructueuse pour le curieux tandem formé par Vincent de Léon et Roger Panneton. Sur la photo de la promotion 1974 du collège, le journaliste et le policier ont découvert beaucoup de gens très connus… 

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