Chaos dans les aéroports

Pas simple de voyager ces jours-ci. Les bagages en retard ou perdus continuent de causer bien des maux aux voyageurs. Quels sont leurs recours ?

Chaos dans les aéroports

Les perdants au bingo-bagages peuvent réclamer

C’est toujours avec une certaine fébrilité que l’on prend l’avion pour les vacances. Mais cet été, une bonne grosse dose d’angoisse s’ajoute à cause des vols retardés, voire annulés, et de ces montagnes de valises perdues dans les aéroports. Les voyageurs qui arrivent à destination sans leurs bagages peuvent toutefois se consoler en réclamant jusqu’à 1000 $ à l’émetteur de leur carte de crédit.

En recevant une nouvelle Mastercard, Visa ou Amex, on ne voit pas forcément l’intérêt de lire le certificat d’assurance qui l’accompagne. L’une des bonnes raisons est devenue évidente ces jours-ci : connaître les indemnités prévues lorsqu’un voyage ne se déroule pas parfaitement.

Les assurances offertes par les cartes de crédit peuvent couvrir les voyages annulés ou interrompus, les vols d’effets personnels dans une chambre d’hôtel, les bagages égarés par une compagnie aérienne ou « simplement » en retard. Je mets le mot simplement entre guillemets, car ce n’est pas aussi dramatique qu’un voyage à l’eau pour une affaire de passeports jamais reçus. Mais ce n’est pas agréable, en plus d’être chronophage et coûteux.

La moindre des choses est donc de recevoir la compensation à laquelle on a droit.

Car il y a la paperasse à remplir pour déclarer le bagage en retard. Et tout le temps perdu pour se racheter quelques vêtements et des produits de toilette, quand ce n’est pas une robe pour assister à un mariage ou une poussette.

Blandine Bois peut en témoigner. Et ce, même si elle n’a jamais réussi à prendre l’avion qui devait l’amener en France. Elle avait hâte de présenter à sa famille ses deux enfants pour la première fois. Son histoire est choquante.

Le 21 juin, alors qu’elle faisait la file pour la sécurité à Montréal-Trudeau avec son mari et ses filles de 3 mois et de 2 ans, elle a découvert qu’Air Canada les avait erronément enregistrés sur un vol à destination de Nice, plutôt que Lyon comme prévu. Autre mauvaise surprise : ce vol vers Nice était déjà dans le ciel !

Incapable de trouver un employé pouvant élaborer un plan B alors qu’il était presque minuit, la famille est partie à la recherche de ses valises pour retourner dormir à la maison. Air Canada a soutenu que les bagages n’avaient pu quitter l’aéroport sans eux. Mais ils avaient disparu. Le trajet vers la maison s’est donc fait sans siège d’auto, le bébé dans les bras.

Au bout d’une semaine, les quatre valises, la poussette et le siège d’auto étaient toujours introuvables. À ce jour, le compte n’est pas complet. « On a l’impression de jouer au bingo des bagages perdus […], perdre la poupée préférée de ma fille, ça me fend le cœur », raconte Mme Bois, qui a contacté les aéroports de Montréal, de Nice et de Lyon. Cela lui a permis d’apprendre que sa poussette avait « fait quelques voyages transatlantiques » pour une raison obscure.

« On a notamment racheté une poussette et un siège d’auto et deux ou trois autres choses d’usage courant pour les filles, comme des gobelets et des produits de toilette », relate la mère qui n’a reçu aucune somme d’Air Canada. « On ne nous a jamais parlé de compensation en cas de retard », dit-elle. Le couple n’a pas non plus fait de réclamation à l’émetteur de sa carte de crédit, n’étant pas au fait de cette possibilité.

En règle générale, les cartes offrent 500 $ ou 1000 $ par personne, lorsque des bagages sont retardés pendant plus de quatre ou six heures. La somme n’est pas versée automatiquement. On offre plutôt le remboursement des achats, sur présentation des factures, pour des produits « de première nécessité ».

Lisez bien la liste des articles non couverts avant de partir magasiner. Pour les cartes émises par la Banque Nationale, par exemple, les cosmétiques, les lunettes, les tablettes électroniques et l’équipement photographique ne sont pas couverts. Desjardins précise que seuls « les articles de toilette et les vêtements » sont remboursés. Le contrat de la carte Visa Infinite de la Banque Scotia indique pour sa part que les dépenses doivent être effectuées « pas plus de 96 heures après l’heure d’arrivée à destination ».

Tous les contrats sont heureusement accessibles en ligne. Ceux-ci indiquent aussi la procédure à suivre pour réclamer son dû.

Il faut d’abord déclarer le bagage retardé à sa compagnie aérienne et remplir un Property Irregularity Report (PIR) avant de contacter l’émetteur de sa carte de crédit en utilisant le numéro au dos de la carte. On peut ensuite faire ses achats et après les vacances, on transmet les factures, explique Michèle Jobin, directrice principale, ventes aux particuliers, canaux de distribution directe, chez Desjardins. Pour éviter les litiges et les déceptions, mieux vaut s’en tenir à des achats raisonnables (crème solaire, démaquillant, dentifrice, vêtements abordables).

La notion de produits essentiels est subjective, mais les chaussures Louboutin vous seront refusées, lance Mme Jobin en riant.

Curieusement, même si l’on voit des tonnes de bagages esseulés dans les aéroports, Desjardins et la Banque Nationale n’observent pas une hausse des demandes de réclamation. Est-ce par ignorance ?

En revanche, les clients appellent davantage ces deux institutions financières pour obtenir de l’information sur leur couverture d’assurance voyage avant de partir. On peut y voir de la sagesse, ou une preuve d’insécurité tout à fait normale en cette période estivale anormale.

D’autres façons de réclamer

Le tapis roulant tourne sans relâche, des valises y défilent, mais pas les vôtres. Et voilà que le manège s’arrête. De toute évidence, vous devrez quitter l’aéroport sans bagages. Oh non !

Si cela vous arrive, sachez que les compagnies aériennes doivent, en vertu de la Convention de Montréal, dédommager leurs clients. Le montant maximal est d’environ 2300 $. « Cette limite s’applique à la plupart des itinéraires internationaux, ainsi qu’aux itinéraires effectués à l’intérieur du Canada », précise le site d’Air Canada. Le transporteur remboursera des dépenses « provisoires raisonnables » (ce qui peut inclure la location d’un vélo si le vôtre est introuvable) à la réception des reçus.

Air Transat ajoute qu’un bagage « est considéré perdu s’il n’est pas retrouvé dans un délai de 21 jours à compter de la date à laquelle il aurait dû être livré ». Avant cela, il s’agit d’un « retard ».

Attention, une réclamation doit être faite dans les 21 jours dans le cas des bagages en retard et avant 30 jours pour les pertes (21 jours pour les vols intérieurs).

Le hic ? « La compagnie aérienne n’est pas tenue de vous indemniser si elle a pris toutes les mesures raisonnables pour éviter le problème ou s’il lui a été impossible de prendre ces mesures », selon le Règlement sur la protection des passagers aériens (RPPA). Avouez que ce n’est pas trop rassurant.

Comment peut-on prouver, comme voyageur, qu’Air Canada ou Air Transat n’a pas pris toutes « les mesures raisonnables » pour que nos valises arrivent à bon port et à temps ? Je prédis quelques débats sur la question…

Transporteur ou assureur ?

Puisque les assurances fournies par les cartes de crédit proposent une indemnisation, qui doit-on contacter en premier ? demanderez-vous.

« Les clients sont invités à effectuer une demande à la compagnie aérienne dans un premier temps. En effet, l’assureur pourra intervenir dans les cas où cette dernière ne dédommage pas le client pour la totalité des frais encourus par la situation », répond le porte-parole de la Banque Nationale, Alexandre Guay. Même son de cloche à la BMO où l’on affirme que « l’assureur de la carte de crédit est le deuxième payeur ».

Cette information n’est toutefois pas inscrite dans les contrats d’assurance. Et j’ai tenté de savoir par quel mécanisme exactement un assureur pourrait savoir que son client n’a pas déjà été remboursé par le transporteur, mais je n’ai pas obtenu de réponse claire.

Vaut-il mieux, sur le coup, présenter deux demandes de réclamation pour augmenter ses chances d’être indemnisé, quitte à en annuler une par la suite si nécessaire ? Difficile à dire. Mais compte tenu de la baisse de confiance envers les transporteurs aériens et de la difficulté à joindre leurs services à la clientèle, on ne peut certainement pas blâmer un voyageur de vouloir mettre toutes les chances de son côté.

Nouvelle protection

On peut aussi réduire son stress en se procurant un nouveau produit lancé à la fin de juin par l’entreprise montréalaise Vol en retard appelé Paix d’Esprit. Pour 15 $, ce forfait inclut un service de réclamation auprès des compagnies aériennes dans le cas où un bagage est en retard ou égaré.

« Le client reçoit 100 % de l’indemnisation à laquelle il aura droit », précise-t-on, puisqu’aucune commission n’est retenue par Vol en retard. Ce n’est pas le cas lorsqu’on lui confie une réclamation pour un vol annulé ou retardé, puisqu’une commission de 25 % sur la compensation obtenue est retenue. Dans les deux cas, on s’occupe de tout pour vous, mais il importe de garder des preuves.

Pour l’instant, le forfait Paix d’Esprit n’est offert qu’en passant par certains agents de voyage. « Sept clients sur dix le prennent. Le momentum est excellent ! », convient Jacob Charbonneau, cofondateur et PDG de Vol en retard, tout en assurant que son service permet bel et bien d’être indemnisé.

L’entrepreneur n’exclut pas la possibilité de vendre son produit directement au public, sur son site web, dans un an ou deux.

En passant, le FICAV, le Fonds d’indemnisation des clients des agents de voyages administré par l’Office de la protection du consommateur, n’offre aucune indemnisation pour les problèmes de bagages. En revanche, les assurances voyage offrent une protection supplémentaire, souvent modulable.

Et sachez que si vous avez payé l’enregistrement de vos bagages, vous pouvez vous faire rembourser cette somme en cas de perte ou de bris.

Aucune somme ne vous fera oublier le contenu de votre valise, mais laisser de l’argent sur la table ne ferait que gâcher vos vacances un peu plus.

Retards et annulations

Des passagers dénoncent les raisons « douteuses » d’Air Canada

Des passagers et des groupes de défense des consommateurs accusent Air Canada de les faire tourner en rond avec sa gestion des remboursements et des indemnités, leur fournissant parfois des raisons « discutables » pour expliquer ses retards et ses annulations de vol.

Malgré des milliers de vols annulés et d’arrivées tardives, les clients ont du mal à déposer des plaintes avec succès ou à apprivoiser les nuances de réglementations complexes en cette période de forte augmentation du nombre de voyages estivaux.

Le plus grand transporteur aérien du pays aurait informé des passagers que leur vol vers Lisbonne serait retardé en raison du « mauvais temps », 12 jours avant même son départ prévu de Montréal, le 17 juillet.

Une autre voyageuse se serait récemment fait dire qu’un retard de plusieurs jours dans le traitement de ses bagages lui permettait de recevoir un « coupon électronique » de 60 $ plutôt que le remboursement direct auquel elle aurait droit en vertu des règles fédérales et du contrat de transport de passagers d’Air Canada.

« Ce serait formidable si je pouvais récupérer cet argent plutôt qu’un coupon. D’autant plus que je n’ai toujours pas mon sac et que je dois faire des dépenses en attendant », a indiqué Leanna Durdle, passagère d’Air Canada Rouge.

Mardi, la compagnie aérienne a annulé un vol de Nashville à Toronto en invoquant un « problème technique », mais le même avion qui devait se rendre à Nashville pour effectuer ce voyage a plutôt décollé de Toronto pour se rendre à Boston une heure après son heure de départ initialement prévue, malgré le problème mécanique signalé.

Raisons « discutables »

Liam Walshe, un assistant juridique qui milite pour la protection des consommateurs, qualifie les raisons évoquées de « discutables » et « douteuses », soulignant que les défaillances mécaniques ne sont pas considérées comme relevant de la responsabilité du transporteur, ce qui le dispense d’indemniser les clients.

« J’ai été assez choqué par ce que je voyais, a-t-il affirmé. Comment peuvent-ils dire que c’est pour une raison de maintenance, puis une heure plus tard, faire voler cet avion vers Boston à la place ? Pourquoi ne pas simplement retarder légèrement le vol de Nashville ? »

M. Walshe a souligné que, pris ensemble, les multiples problèmes « techniques » ou de « maintenance », ainsi que la distribution de bons de voyage plutôt que de remboursements, donnent l’impression qu’Air Canada tente d’éviter « d’avoir à payer ».

« Des gens ont soumis des demandes et elles ont été refusées. On voit toutes sortes de gens dire qu’il y a des raisons incohérentes. »

— Liam Walshe, assistant juridique qui milite pour la protection des consommateurs

Dans un courriel, Air Canada a indiqué que l’explication météorologique à propos du vol de Lisbonne était « une notification incorrecte » qui a depuis été révisée.

« Air Canada comprend pleinement la déception et les inconvénients que les changements d’horaire causent aux clients et fait tout son possible pour atténuer ces situations regrettables », a assuré la compagnie aérienne dans une déclaration.

Elle a noté que les voyageurs pouvaient demander un remboursement sous la forme du paiement d’origine et a précisé qu’elle verserait une indemnité supplémentaire lorsque cela est prévu par la charte des droits des passagers.

La compagnie aérienne a éprouvé des difficultés, ces derniers mois, à s’ajuster à la croissance du nombre de voyageurs, alors qu’elle manque de personnel, que ce soit pour les pilotes ou pour les responsables des bagages, et que les postes de sécurité et d’agents douaniers ne sont pas pourvus.

En conséquence, les périodes d’attente à l’aéroport sont plus longues, les retards et les problèmes de bagages sont monnaie courante et les plaintes et demandes de compensation se multiplient.

Air Canada a indiqué que son effectif se situait à 93 % de son niveau de 2019, alors qu’elle a dû supprimer plus de 15 % de ses vols estivaux. Ces annulations, annoncées la semaine dernière, réduisent son programme de vols bien en deçà de 80 % de son niveau d’avant la pandémie, auquel elle fonctionnait depuis la fin du printemps.

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