La ligne rouge

La vague Omicron les avait forcés à fermer leurs portes pendant des semaines. Lundi, enfin, les commerces ont pu rouvrir partout en Ontario.

Partout, sauf au centre-ville d’Ottawa.

Depuis vendredi soir, le cœur de la capitale est paralysé par des manifestants. Ils sont maintenant moins nombreux, mais toujours là, aux abords du parlement, à faire rugir leurs moteurs et résonner leurs klaxons.

Des garderies, des bibliothèques, des restaurants et des boutiques du secteur n’osent pas rouvrir leurs portes. La police demande aux résidants de se cloîtrer chez eux et d’attendre que ça passe.

Par la force des choses, les manifestants imposent ainsi un confinement extrême au centre-ville d’Ottawa. Les irréductibles jurent qu’ils resteront sur place tant que le gouvernement ne mettra pas fin… au confinement.

C’est bête, quand on y pense. Mais c’est le genre d’incohérences auxquelles il faut s’attendre de la part de manifestants prêts à prendre une ville en otage au nom de la liberté.

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À Québec, on aura droit au même cirque.

Alors que la province se déconfine peu à peu, un « convoi pour la liberté », sauce québécoise, promet de « jammer » le cœur de la capitale dans les prochains jours.

Ils convergeront de la Côte-Nord, de la Beauce, du Saguenay et d’ailleurs. Comme les manifestants d’Ottawa, ils projettent de faire leur tohu-bohu sur la colline Parlementaire.

Ils arriveront juste avant le coup d’envoi du Carnaval de Québec. Cet hiver, le roi de la fête ne sera pas le Bonhomme, mais Bernard Rambo Gauthier.

La terreur des chantiers de construction de Sept-Îles, fier-à-bras et fort en gueule, ex-membre du groupe d’extrême droite La Meute, s’est converti en agitateur professionnel, pardon, en défenseur de la libârté.

Je le souligne, au cas où vous vous demanderiez encore si ce mouvement a quelque chose à voir avec des camionneurs.

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François Legault a adopté mardi un ton conciliant auquel il ne nous avait pas habitués.

Sentant monter la grogne, le premier ministre propose une trêve aux non-vaccinés. Il s’inquiète de voir le peuple québécois, pourtant tissé serré, se détricoter au fil des mois pandémiques.

Le gouvernement annule donc son projet malavisé de taxe aux antivax. « C’est le temps de rebâtir les ponts entre les Québécois. C’est le temps de se tendre la main. » À propos de la manifestation qui se prépare à Québec, François Legault espère que « cela va se faire dans le respect ».

C’est drôle, mais je ne gagerais pas ma chemise là-dessus. Un pressentiment, sans doute. Ou alors, c’est cette vidéo Facebook, dans laquelle Bernard Gauthier dit au premier ministre « d’aller chier, câlisse, c’tu clair ? »

Oui, oui, Rambo. C’est limpide.

François Legault a sans doute raison de vouloir panser les plaies, de plus en plus apparentes, de la crise sanitaire. Encore faut-il qu’on accepte sa main tendue.

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Le discours d’apaisement de M. Legault contraste avec celui de Justin Trudeau, visiblement exaspéré par les manifestants d’Ottawa. J’oserais même avancer qu’il en a plein son truck.

« Ce n’est pas en rouspétant qu’on va en finir avec cette pandémie. C’est en se faisant vacciner et en écoutant la Santé publique », a-t-il grondé, lundi. Le ton n’avait rien de rassembleur.

On peut le comprendre. Comment faire preuve d’indulgence auprès de manifestants qui protestent contre la « dictature » en brandissant des drapeaux nazis ?

Des gens qui exigent du respect, mais qui pissent sur des monuments aux héros de guerre ?

Des gens qui réclament de la compassion, mais qui volent des repas destinés aux sans-abri ?

Il y a des limites à ce qu’on peut tolérer.

Oui, il faut tendre la main aux non-vaccinés. D’accord, il faut faire preuve d’empathie à l’égard de ceux qui sont las des mesures sanitaires (qui ne l’est pas ?). Mais il y a une ligne rouge à ne pas franchir.

Ça vaut pour les politiciens comme pour les médias. Ça vaut pour ceux qui ont participé en toute bonne foi au convoi d’Ottawa. Je veux dire : ceux qui ont manifesté pour crier leur ras-le-bol, sans plus.

Ces gens-là ont parfaitement le droit de s’exprimer. Mais ils ne peuvent pas fermer les yeux sur ce qu’ils ont vu dans les rues de la capitale – sur ce que tout le monde a vu, aux nouvelles.

Ni eux, ni les médias, ni les politiciens ne peuvent faire comme s’il s’agissait d’une poignée de têtes brûlées. Comme si ce n’était pas grave.

Depuis le début, ce convoi est nauséabond – et je ne parle pas des effluves de diesel qui empestent le centre-ville d’Ottawa. Je parle de l’antisémitisme, de l’intolérance et du racisme qui l’infectent jusqu’au trognon.

Cette haine pure, décomplexée, rien ne pourra jamais l’excuser.

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