Opinion

Toronto contre Montréal

Faut avoir des députés québécois au pouvoir ! Ce slogan était si populaire quand le Bloc québécois était bien représenté à la Chambre des communes. Aujourd’hui, la volonté des porteurs de cette proposition est exaucée. Pourtant, les 40 députés libéraux semblent aussi invisibles que des fantômes quand vient le temps de défendre nos intérêts.

Lorsque le ministre fédéral des Finances, Bill Morneau, glisse dans le projet de loi omnibus C-29 une disposition qui permet aux banques de contourner la Loi sur la protection du consommateur du Québec, c’est à la maigre représentation du Bloc québécois qu’on doit la levée de boucliers qui a permis de nous sauver la peau. Je n’ai jamais entendu un député libéral québécois lever le moindre doigt pour dénoncer cette disposition qui était complètement injuste à l’égard des gens qui les ont élus. Saluons aussi l’efficacité et la franchise du sénateur André Pratte. Je suis de ceux qui pensent qu’il fait un travail formidable dans ses nouvelles fonctions.

Dans mon texte du 18 mars, intitulé « Fédéralisme ou polygamie canadienne », j’avais misé mon bungalow sur Toronto comme lieu d’implantation de la Banque de l’infrastructure. En vérité, on était bien nombreux à savoir qu’un tel projet d’envergure ne serait jamais implanté à Montréal. Même les libéraux de M. Couillard, après le choix de Toronto, semblaient trouver la chose bien normale.

Dans sa grande sagesse, Jean-Marc Fournier nous a même rappelé que dans un régime fédéral, il arrive qu’on ne gagne pas toutes les batailles. Une réponse remplie d’optimisme et de combativité.

On a presque envie de demander à M. Fournier à quand remonte la dernière fois que le Québec a gagné une bataille dans un véritable projet structurant. Il suffit de retourner dans un passé pas si lointain pour réaliser que dans ce domaine, le chemin du Québec est pavé de déceptions.

Où sont allés les contrats fédéraux de construction navale de 35 milliards, dont le vérificateur général du Canada évalue désormais les coûts réels à 100 milliards ? Ces contrats sont allés à Vancouver et Halifax. Ce qui veut dire que nous payerons beaucoup de milliards dans les 30 prochaines années pour créer des emplois ailleurs.

Mais comment en est-on arrivé là quand on sait que dans un passé relativement récent, le port de Montréal et l’industrie navale québécoise étaient les plus importants de l’Est du pays ? Le fédéral n’a-t-il pas favorisé financièrement le développement de grands ports dans les Maritimes, dont celui d’Halifax qui deviendra le plus important de l’Est du Canada ?

De la même manière, le refus de Pierre Elliott Trudeau de financer un train rapide entre Montréal et Mirabel n’a-t-il pas en partie conduit à la mort de cet aéroport et favorisé indirectement le développement de celui de Toronto ? Les milliards investis par le fédéral dans le projet hydroélectrique du bas Churchill situé à Muskrat Falls ne ressemblent-ils pas aussi à une façon inavouée de concurrencer déloyalement Hydro-Québec ? Rappelons ici que le projet comprend aussi une ligne de transport sous-marine qui permettra à Terre-Neuve d’exporter son électricité dans les Maritimes et aux États-Unis en contournant le territoire québécois.

Entendons-nous bien, je ne m’insurge point ici contre les grands investissements fédéraux dans les autres provinces, je me demande simplement pourquoi ce n’est jamais notre tour.

Le choix de Toronto pour abriter le siège de la Banque de l’infrastructure du Canada s’inscrit dans une longue liste de favoritismes nuisibles au Québec. Et l’idée de cette banque a beau avoir été mijotée par la Caisse de dépôt et Michael Sabia, il était utopique de penser que la puissante représentation ontarienne dans le cabinet Trudeau allait plaider pour que Montréal gagne le gros lot. Est-ce que Bay Street à Toronto et la rue Saint-Jacques à Montréal combattent vraiment sur le même ring dans les dédales de la colline Parlementaire à Ottawa ? Pas vraiment.

L’économie pour les autres et, pour le Québec, il y a toujours la péréquation. Comment appelle-t-on une péréquation en langage ecclésiastique ? Ça s’appelle l’aumône, la dîme ou l’offrande pour les plus démunis.

La Banque de l’infrastructure pour Toronto et un Institut du développement international pour Montréal. Autrement dit, l’économie pour l’Ontario et l’humanitaire et la miséricorde pour le Québec.

Même si je trouve la coopération internationale bien essentielle, j’ai quand même l’impression, avec ce prix de consolation, de lire une page de la représentation des francophones dans l’histoire lointaine du Canada.

Quand j’étais jeune, on plumait partiellement les ailes des pigeons d’élevage pour diminuer leur efficacité au vol. C’était une façon de les empêcher de trop s’éloigner de la maison. C’est la méthode que le fédéral semble pratiquer avec le Québec depuis si longtemps.

Pourtant, il ne passe pas une semaine sans que quelqu’un nous explique dans les médias à quel point le Québec en arrache dans bien des domaines. La vérité, c’est que le Québec n’en arrache pas seulement parce qu’on n’est pas bons. Le Québec en arrache aussi parce qu’il y a des gens qui ont peur qu’on soit bons. Autrement dit, que nos plumes repoussent et qu’on ait envie de déployer un peu plus largement nos ailes. Je ne suis pas certain que cette méthode de contrôle par l’usure soit la bonne. Si on veut que notre blonde reste, s’arranger pour qu’elle soit bien dans son couple est pas mal mieux que s’acharner à miner sa confiance et l’affaiblir chaque jour un peu plus pour mieux la contrôler.

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