En 1994, Nelson Mandela arrive à la tête d’un État aux coffres vides, avec des réserves de devises étrangères incapables de suffire à plus de trois semaines d’importations et un déficit budgétaire qui avait atteint 8,6 % du produit intérieur brut.
« Il n’y avait tout simplement pas d’argent pour faire ce que nous avions planifié », a dit Mac Maharaj, le ministre des Transports dans le gouvernement Mandela. On partait de zéro. De moins que zéro. Mais Mandela n’est pas découragé. « Il avait cet optimisme incroyable, un sang-froid extraordinaire », dit Derek Hanekom, le ministre de la Terre et de l’Agriculture dans son cabinet.
Mandela veille à tout, s’inquiète de tout. Une de ses priorités est de transformer la police et l’armée ! Mais il a aussi des enfants à nourrir, à éduquer, à loger, à abreuver ; une nouvelle démocratie à gérer, une fonction publique à transformer. Tous les formulaires gouvernementaux sont à changer ! Il doit aussi mettre fin à cette guerre avec l’Inkatha.
Il nomme Mangosuthu Buthelezi ministre des Affaires intérieures. Buthelezi a boycotté les élections jusqu’à la fin. Le 25 avril 1994, le Parlement a amendé la Constitution transitoire pour que les compromis accordés à l’Inkatha prennent effet : reconnaissance du royaume du Kwazulu et protection de sa monarchie, de son statut et de son rôle constitutionnel. Si Mandela avait mis Buthelezi sur la touche, cela aurait créé des divisions, la perpétuation des problèmes.
Le test des 100 premiers jours est crucial : il doit prouver à la population que l’ANC est un gouvernement différent. Dès les premières semaines, les femmes enceintes et les enfants de 6 ans et moins ont accès gratuitement aux soins de santé. On établit un projet scolaire pour nourrir les enfants : trop arrivaient à l’école le ventre vide. « Mandela était un vrai père de famille, réellement inquiet de la situation des plus démunis, toujours prêt à aider, toujours prêt à passer un coup de téléphone pour régler un problème ou un autre, dit Derek Hanekom. Si le téléphone sonnait à trois ou quatre heures du matin, je savais que c’était lui, qu’il voulait régler tel problème, s’enquérir de tel autre projet. »
Durant les 100 premiers jours, on se demandait quand Mandela dormait. Et il a gardé le même rythme pendant ses cinq ans au pouvoir ! « J’ai 35 ans de moins que lui, et pourtant, je ne crois pas que j’aurais pu, physiquement, suivre son train de vie ! », dit Hanekom.
Les deux dernières années de son mandat, il a laissé plus de place à Thabo Mbeki, son successeur, qui présidait les réunions hebdomadaires du cabinet. Mais Mandela a continué à être impliqué à tous les niveaux. En cinq ans, toutes les lois racistes ont été abolies, la liberté de la presse et d’expression, garanties, la peine de mort, abolie ; on a légalisé l’avortement, protégé les droits des personnes homosexuelles, fait avancer les droits des femmes dans plusieurs sphères de la société, apporté de l’eau potable à 9 millions de personnes qui n’en avaient pas auparavant, de l’électricité à 2 millions de personnes et le téléphone à un million et demi, intégré 30 000 écoles (il y avait 14 ministères de l’Éducation avant 1994 – un pour chacun des 10 bantoustans et un pour chacune des quatre races officielles du pays) et fait des bonds de géant dans l’alphabétisation des 15-24 ans.
Mandela n’a pas changé de personnalité avec son pouvoir. « Lorsqu’il est devenu président, il était toujours le même Mandela qu’on avait connu depuis toujours. C’est un des rares hommes que le pouvoir n’aura pas corrompus. Ce pays ne serait pas le même sans lui, c’est sûr », conclut Derek Hanekom.