Opinion : Catalogne

Jordi Cuixart, prisonnier politique

Les Québécois n’ont probablement jamais entendu parler d’Òmnium Cultural. Normal, étant donné que l’association est établie en Catalogne et qu’elle œuvre à la promotion de la langue et de la culture catalanes, à l’éducation, à la cohésion sociale et à la défense des droits nationaux de la Catalogne. Concrètement, l’association publie une revue mensuelle, organise des événements ponctuels et participe à l’organisation de la fête nationale catalane. Au Québec, on pourrait comparer sa mission à celle de la Société Saint-Jean-Baptiste ou du Mouvement national des Québécoises et Québécois.

Si je vous parle aujourd’hui d’Òmnium Cultural, c’est que Jordi Cuixart, le président de cette association, est emprisonné depuis le 16 octobre 2017. Il n’a pas encore été jugé, mais il a déjà purgé plus de 400 jours de prison « préventive » alors qu’il fait face à 17 ans d’emprisonnement.

Son crime ? Il a incité les Catalans à sortir dans les rues de Barcelone pour manifester leur désir de se prononcer au référendum d’autodétermination du 1er octobre 2017.

Ce vote et toutes les étapes de son organisation ont rapidement été interdits par Madrid sous prétexte que la Constitution espagnole de 1978 ne permet pas la tenue de telles consultations populaires. L’article 2 du texte de loi stipule effectivement que l’Espagne est indivisible. Le simple fait de poser la question d’une hypothétique partition du pays est donc un geste illégal.

On reproche plus spécifiquement à Jordi Cuixart d’être responsable des « violences » qui – selon les médias espagnols – ont ravagé Barcelone la journée du 20 septembre 2017. Si je mets des guillemets au mot violence, c’est qu’il n’y en a pas eu. Je ne vous parle pas ici des violences policières qui ont teinté la journée du référendum, qui a effectivement eu lieu le 1er octobre 2017 et dont les images ont fait le tour du monde. Je parle ici d’une journée mouvementée, quelques jours avant la tenue du vote, lors de laquelle la police espagnole a procédé à l’arrestation d’une quinzaine de hauts fonctionnaires catalans impliqués dans l’organisation du vote.

Les médias espagnols ont prétendu que Barcelone était littéralement à feu et à sang, ce 20 septembre 2017. Mais je vous mets au défi de trouver des images de cette prétendue violence.

Ça devrait pourtant être facile, si elle a eu lieu. On a un bon point de comparaison avec le mouvement des gilets jaunes, actif en ce moment en France : voitures incendiées, commerces vandalisés, militants attaquant les forces de l’ordre. Ce type de violence est automatiquement capté par les médias et ces images font habituellement le tour du monde avant même que les événements ne soient terminés. Dans le cas du 20 septembre 2017 à Barcelone ? Quelques clichés de jeunes devant la police ont circulé dans les médias espagnols. Les jeunes sont-ils nombreux ? Oui ! La foule est impressionnante. Sont-ils violents ? Non !

Une manifestation pacifique

Je peux vous en parler parce que j’y étais. Aux côtés de Jordi Cuixart d’ailleurs, au milieu d’une foule de plusieurs milliers de personnes – pacifiques, non violentes – qui manifestaient leur refus de se plier au dogme espagnol qui les prive de leur droit de vote. L’ambiance ressemblait plus à celle d’un festival que d’une manifestation.

J’y étais pour tourner un documentaire qui a d’ailleurs pris le titre Avec un sourire, la révolution, évoquant cette ambiance de fête. Mon équipe de tournage et moi avons filmé toute la journée du 20 septembre, de 8 h du matin jusqu’aux petites heures de la nuit. Jordi Cuixart a pris la parole à plusieurs reprises lors de cette journée, généralement en présence des médias qui étaient omniprésents. Jordi a effectivement appelé les Catalans à sortir dans les rues, mais chaque fois, il le faisait en appelant au calme, au pacifisme et à la non-violence. S’il y a eu des dégâts matériels mineurs (j’ai en tête une voiture de la police espagnole qui avait été un peu défigurée par… des fleurs et des autocollants !), ceux-ci sont très minimes et ne valent certainement pas 17 ans d’emprisonnement.

Jordi Cuixart est-il un prisonnier politique ? L’Espagne refuse qu’on le désigne ainsi. Une chose est certaine, il est tenu prisonnier et les motifs de son incarcération sont hautement politiques.

Et il n’est pas le seul ! Neuf leaders indépendantistes catalans sont emprisonnés depuis plus d’un an, dont quatre ont entamé une grève de la faim cette semaine. Ils espèrent ainsi dénoncer les manœuvres judiciaires espagnoles qui, en ne répondant pas à leurs appels (dont certains ont été complétés il y a plus d’un an), bloquent leur accès à la justice européenne.

Sept autres politiciens catalans, dont l’ancien premier ministre Carles Puigdemont, sont en exil ailleurs en Europe afin d’éviter la prison. Ils font face à des accusations qui pourraient leur valoir entre 15 et 30 ans d’emprisonnement. Heureusement pour eux, les pays qui leur offrent l’asile – la Suisse, la Belgique et l’Écosse – ont refusé les demandes d’extradition parce qu’ils ne reconnaissent pas les chefs d’accusation espagnols.

L’Assemblée nationale du Québec avait adopté à l’unanimité une motion pour condamner les violences policières qui ont eu lieu lors du référendum du 1er octobre 2017. Il est maintenant temps de poser un nouveau geste pour signifier à l’Espagne que le traitement qu’elle réserve aux prisonniers politiques catalans est inacceptable.

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