Opinion

Les traces qu’on efface

Dénés, Assiniboines, Cris, Dakota, Saulteux, Odjibwés n’auraient donc pas existé. Du moins s’il faut en croire André Pratte qui écrit que « ce qui est vrai pour tout le pays l’est aussi pour l’Alberta, dont le territoire a été d’abord exploré habité et développé par des gens venant de la Nouvelle-France et du Québec » (« Un devoir historique », 1er mars). Les Amérindiens de l’Alberta peuvent donc aller se faire oublier au fond de leur 145 réserves de la province. Et ceux de tout le pays « itou ».

Le même week-end, on entend le porte-parole du Partenariat du Quartier des spectacles, le docte Pascal Lefebvre, expliquer que sa mission est de favoriser « la diversité de l’offre » culturelle dans le quartier en question (« L’avenir de Présence autochtone compromis », Le Devoir, 1er mars). Ainsi, pour lui, il est donc conséquent de ne pas octroyer l’aide nécessaire au plein déploiement de Présence autochtone sur la Place des Festivals l’été prochain. Effacez-vous, qu’on nous dit.

Rien de nouveau sous le soleil des Amériques. L’effacement des repères amérindiens est une pratique séculaire. Ainsi Eugène Rouillard, le secrétaire de la Commission de géographie du Québec écrivait en 1912 : « Sait-on tout le tort que cette manie des noms sauvages nous fait à l’étranger ? Jetez, mesdames et messieurs, un coup d’œil sur les cartes géographiques de notre pays, et, en particulier sur certaines régions de notre province : ne croirait-on pas y voir un immense campement de Peaux rouges ? Feuilletez les horaires des compagnies de chemin de fer […] et vous constaterez, avec épouvante, que la majorité des stations sont décorées de noms sauvages choisis parmi les plus repoussants et les plus rébarbatifs ».

C’est Denys Delâge, dans un texte célèbre (L’influence des Amérindiens sur les Canadiens et les Français au temps de la Nouvelle-France, sur le site Internet de l’UQAC), qui cite ces propos en rappelant que cette commission a fait disparaître de la carte, au début du 20e siècle, des centaines de toponymes amérindiens.

On croit cette époque révolue et voilà que, sous la plume d’un éditorialiste ou par la bouche d’un bureaucrate, les vieux réflexes refont surface. L’histoire se répète en bégayant et, tel un Vers Demain dans un Publisac, nous voyons ressurgir des spécimens antédiluviens.

Heureusement, nous sommes aujourd’hui dans une autre ère et le plumitif comme le bureaucrate devront ravaler leur gomme à effacer, porter le bonnet d’âne, et copier cent fois au tableau noir « Idle No More ».

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