L’Europe sur un pied de guerre

La fin de l’abondance, de l’insouciance et de l’évidence

Sentant l’appel du terrain, l’ancienne journaliste et députée Paule Robitaille vient d’entreprendre un voyage en Europe. De Paris à Vienne, de Varsovie à Rome, de la Lituanie à la Géorgie, elle dépeindra les impacts concrets de l’invasion de l’Ukraine sur les Européens et fera ressortir les enjeux qui nous concernent tous : crise énergétique, flux migratoires, démocratie mise à mal… Tous les samedis, d’ici Noël, vous pourrez suivre ses chroniques dans la section Débats. Bonne lecture !

J’écris ces mots les pieds gelés. Je porte deux pulls et je suis enveloppée dans un châle. Je claque des dents. Mes amis parisiens qui ont eu l’immense gentillesse de m’accueillir n’ont pas encore démarré le chauffage. On est mi-novembre. Ils attendent un peu question d’économiser. « C’est en solidarité pour les Ukrainiens », m’expliquent Catherine et Bertrand.

L’économie d’énergie est sur toutes les lèvres. La campagne du gouvernement qui craint des coupures de gaz et d’électricité est partout. « Je baisse, j’éteins, je décale », lit-on sur le site du ministère de la Transition énergétique. On recommande aux Français de régler le chauffage à 19 °C au maximum, de prendre des douches moins chaudes et moins longues, de décaler l’utilisation des appareils électriques en dehors des heures de pointe.

Vladimir Poutine veut faire craquer la solidarité européenne en faisant grelotter les Européens cet hiver. Parce que ce sont eux qui paient la guerre en Ukraine.

Le prix du gaz en France a été multiplié par 10 depuis un an ! En décembre, le gouvernement va retirer sur l’essence toutes les subventions qui le tenaient à un prix presque raisonnable. On prévoit qu’il faudra payer l’équivalent de 2,40 $ le litre. Imaginez le coût que vont encaisser les entreprises. Et puis, ensuite, les consommateurs. Mais les Français s’accrochent.

À la rentrée du gouvernement en août dernier, Emmanuel Macron évoque dans son discours la « fin de l’abondance », de « l’insouciance » et de « l’évidence ». Un avertissement aux Français qu’ils devront changer leurs habitudes, que l’hiver sera long et qu’ils devront être solidaires. Et jusqu’ici, ils le sont. Toutes les solutions sont sur la table, même celle de mettre la transition énergétique sur pause parce que la guerre de Poutine change complètement le programme de la transition énergétique en Europe.

Pendant que je mijotais dans un taxi dans l’un de ces embouteillages interminables propres à la Ville Lumière, mon chauffeur a ouvert la radio qui parlait de la COP27 à Charm el-Cheikh en Égypte, grande-messe contre le réchauffement climatique. Bien ironique, l’animatrice enchaînait avec des invités qui débattaient sur la réouverture de la centrale à charbon de Saint-Avold dans le nord de la France et de la nécessité de rouvrir rapidement d’autres centrales à charbon peut-être. Crise énergétique oblige. C’est ce que fait l’Allemagne, qui brûlera des millions de tonnes de charbon cet hiver pour pallier l’absence totale de gaz russe duquel le pays était dépendant à 55 % avant la guerre en Ukraine.

Le lendemain, je me retrouve à la gare Saint-Lazare. Plusieurs trains sont annulés. « C’est comme ça en France, il faut s’habituer », me dit un passant. Alors, je jase avec les gens autour. Plusieurs m’expliquent qu’ils se sont rués sur le bois de chauffage pour l’hiver. Ils comptent là-dessus pour se tenir au chaud.

Je rencontre le chef d’une petite entreprise qui m’explique qu’il utilisait de l’électricité, mais là ce sera une génératrice au pétrole qui fera rouler sa machinerie. « Ça coûtera moins cher. »

Ici, en Europe, le climat est le grand sacrifié de la guerre en Ukraine. « Quand c’est pressant, on va au charbon, on ne choisit pas l’environnement. C’est terrible que l’humanité se fasse cela à cause de la folie d’un seul homme », me confie l’ambassadeur du Canada en France, Stéphane Dion, catastrophé. Il était dans une autre vie un ministre phare de l’Environnement et du Changement climatique.

Et si on recule à court terme en revenant au charbon, Tim Gould, le premier économiste de l’Agence internationale de l’énergie, m’assure que c’est pour mieux rebondir. Et les gens prennent de bonnes habitudes. La nécessité n’est-elle pas la mère de toutes les inventions ?

En mai dernier, l’Union européenne adoptait le REPowerEU, un plan visant à réduire rapidement la dépendance à l’égard des combustibles fossiles russes et à accélérer la transition énergétique. En Allemagne, on a voté plus rapidement une loi pour accélérer le développement de l’énergie éolienne offshore. On veut accélérer la construction de terminaux et de pipelines pour utiliser du gaz liquéfié. Pour les Allemands et les Français, le gaz liquéfié est une alternative incontournable pour stopper la dépendance au gaz russe. On regarde toutes les solutions.

Et le nucléaire revient sous plusieurs formes. La France et l’Allemagne veulent ressusciter les vieilles centrales. La Pologne songe à construire la sienne. Et une nouvelle technologie nucléaire avec des réacteurs plus petits est en train de prendre forme.

Tout cela prendra du temps. Mais l’Europe ne veut plus jamais dépendre d’une Russie autocrate. Ça aura été une grave erreur. On remet en question la mondialisation et on souhaite des ententes avec des pays amis même si ça coûte un peu plus cher. Le Canada doit profiter de l’occasion.

Ici, à Paris, en ce 11 novembre, jour de l’Armistice, on se souvient des guerres d’hier et j’ai le sentiment que ces gens qui parlent du combat des Ukrainiens sont plus convaincus que jamais que ces voisins, à presque 3000 kilomètres de chez eux, protègent l’ordre mondial.

Une victoire de Poutine pourrait donner à d’autres l’envie de transgresser les règles du jeu à leur convenance. Une mauvaise idée. « Ce type-là ne peut pas s’en sortir comme cela, à envoyer son peuple à l’abattoir, à pulvériser des villes et à piller », m’explique le chauffeur de taxi dans l’embouteillage entre Roissy et Paris. « On mettra un chandail de plus et on encaissera le coup », conclut-il. Espérons qu’il pensera toujours comme cela en avril prochain.

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