Permis d’alcool

Abstinence d'alcool imposée 
sur la terrasse d'un restaurant

Accompagner une pièce de bœuf d’une bouteille de rouge est désormais interdit aux clients du restaurant L’Atelier d’Argentine qui désirent s’offrir ce plaisir sur la terrasse de l'établissement, a décidé la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ). C’est que la vue des bouteilles de vin pourrait ruiner les efforts des résidants des appartements situés juste au-dessus, des patients de la Maison Jean Lapointe, dont plusieurs sont aux prises avec des problèmes d'alcoolisme.

Ce restaurant dédié à la gastronomie et aux vins de l'Argentine a ouvert ses portes rue Marguerite d’Youville, dans le Vieux-Montréal, il y a quelques mois. Cet été, on a aménagé, après l’obtention du permis approprié auprès de la Ville de Montréal, une terrasse en bordure de rue. Pour y servir de l’alcool, toutefois, il fallait se munir d’un autre permis, délivré par la RACJ.

Or, le restaurant partage le Cours Saint-Pierre, un grand immeuble historique, avec l'organisme Maison Jean Lapointe, qui traite de nombreuses dépendances, notamment celle à l’alcool. Dans les années 80, c’est la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL) qui avait acquis l’immeuble pour le revitaliser, en précisant que sa mission serait entre autres la « réhabilitation des alcooliques ».

Intraitables

Les responsables de la Maison Jean Lapointe se sont montrés intraitables : pas question que les patients en thérapie soient exposés à la consommation d’alcool. Ils ont d’ailleurs signifié leur opposition à la RACJ.

Une audience a été tenue afin de trancher le débat. Le directeur général de la Maison, Rodrigue Paré, a indiqué que la porte d’entrée du centre, située immédiatement à côté de la terrasse, est empruntée par des usagers externes venant participer aux ateliers des alcooliques anonymes (AA), et que 7 des 26 chambres de résidants qui suivent des thérapies se trouvent à l’étage juste au-dessus de la terrasse.

« Les chambres ne sont pas climatisées et les fenêtres sont ouvertes par temps chaud. Les résidants, dont les chambres donnent sur les rues Marguerite-d’Youville et Saint-Pierre, sont donc exposés aux activités qui se déroulent sur la terrasse du restaurant. […] M. Paré estime que la présence d’une terrasse où de l’alcool sera consommé est susceptible de causer des préjudices sérieux aux résidants en thérapie », lit-on dans la récente décision de la RACJ qui résume la position de la Maison Jean Lapointe.

M. Paré a même déposé des pétitions contre l’ouverture de la terrasse avec permis d’alcool, signées par des patients et des employés de la Maison.

« Lors d’une cure ou d’une thérapie, les patients doivent être protégés des stimuli associés à la consommation d’alcool. […] En ce qui concerne la Maison Jean Lapointe, la présence d’une terrasse licenciée sous les chambres où logent des patients en cure fermée constitue pour eux un stimulus à éviter. […] Le simple fait de savoir qu’il y a des activités de consommation d’alcool peut créer des perturbations pour les individus en traitement », a renchéri un témoin expert, Juan C. Negrete, psychiatre spécialisé en alcoolisme.

Le propriétaire était prêt à modifier la terrasse

Christopher Nacos, président de la société qui possède L’Atelier d’Argentine, a indiqué qu’il raccourcirait sa terrasse pour éloigner les tables des entrées de la Maison Jean-Lapointe, réduirait sa capacité à 36 personnes, que la terrasse fermerait à 23 h et que des parasols y seraient installés de telle sorte que les résidants au-dessus ne voient pas les tables des clients et leur contenu. Il a ajouté qu’il n’y aurait pas de musique dehors et que son établissement est fréquenté par des gastronomes, ce qui n’a rien à voir avec le type d’établissement bruyant où des beuveries ont lieu.

Surtout, M. Nacos a plaidé que dans ce secteur de la ville, il y a plus de 50 terrasses où de l’alcool est servi, potentiellement à la vue des usagers qui fréquentent la Maison Jean Lapointe.

Dans leur décision, les régisseurs Jocelyne Caron et Jean Lepage disent ne pas remettre en question la capacité des administrateurs de L’Atelier d’Argentine de respecter les conditions de leur permis d’alcool. Le problème est ailleurs.

« Dans le projet de la SCHL, il était prévu que l’utilisation de l’édifice devait graviter autour […] d’un institut de réhabilitation pour alcooliques. La Maison Jean Lapointe avait donc une expectative légitime de pouvoir mener à bien sa mission dans un environnement approprié. La demanderesse a proposé des mesures louables pour restreindre les inconvénients associés à la consommation d’alcool sur la terrasse. C’est toutefois la présence même d’une terrasse licenciée qui causera les inconvénients », lit-on dans le texte de la décision en date de la fin juillet.

La mission de la Maison Jean Lapointe en est une d’intérêt public, et il ne faut la compromettre sous aucune prétexte, tranchent les régisseurs.

Après avoir été invitées à commenter la décision, les deux parties n’ont pas rappelé La Presse.

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