Mieux vaut être lucide... et rapide pour demander l’aide médicale à mourir

L’histoire qui suit ressemble à tant d’autres pour lesquelles notre système de santé n’arrive pas à respecter la volonté d’une personne subitement et gravement malade. Il s’agit de la triste histoire de la fin de l’homme de ma vie, un amour comme il en existe peu. En ce fils, ce père, ce conjoint, ce frère et ce beau-frère d’exception, tous reconnaîtront les bienfaits qu’il a su apporter à chaque être qu’il a côtoyé.

Le 11 janvier dernier, accablé de douleurs, on lui a diagnostiqué un cancer du pancréas avec des embolies pulmonaires. On lui a proposé une intervention visant à réduire les douleurs (bloc cœliaque), qui a été pratiquée le 24 janvier. Bien que l’intervention se soit bien déroulée, elle n’a eu aucun effet pour le soulager. Jusque-là, d’une médication prescrite à l’autre, nous cherchions les doses et les combinaisons adéquates sans succès.

Le soir de l’intervention du 24 janvier, il a fait un infarctus et il a été admis de nouveau à l’hôpital du Sacré-Cœur, là où il avait reçu le diagnostic.

De retour à la maison, trois jours plus tard, on nous a offert un suivi en clinique externe de soins palliatifs et en oncologie également.

Je me dois de souligner la qualité de l’approche du personnel, et ce, à tous les niveaux de soins. De l’urgence aux divers intervenants des cliniques, tous ont été exceptionnels et nous ont communiqué leur empathie et ont fait part de professionnalisme.

Notre premier rendez-vous en clinique externe de soins palliatifs a eu lieu le 3 février avec la Dre Olivia Nguyen. Sa gentillesse, sa compassion et sa sollicitude nous ont grandement touchés. De plus, sa stratégie de soulagement nous a beaucoup aidés. Un baume apaisant venait de se poser sur une brûlure.

Dès cette première rencontre, près de trois semaines après l’annonce de sa maladie, mon amoureux a exprimé son souhait de demander l’aide médicale à mourir, sa maladie étant déjà avancée.

La Dre Nguyen nous a assuré que son état le permettait, que sa demande était valide le jour même et qu’il n’y aurait pas ou peu de délais pour l’obtenir. Nous sommes rentrés à la maison, soulagés, équipés sur le plan de la médication et résignés à profiter des mois qui restaient à vivre ensemble.

Trois jours plus tard, la Dre Samini, de la clinique d’oncologie, nous faisait part d’un sombre pronostic. La chimiothérapie agressive était proscrite car cela risquait de provoquer un autre infarctus. Ne restait qu’une chimiothérapie douce ayant pour but d’alléger les symptômes.

Nous sommes partis avec ces informations et sommes allés réfléchir ensemble.

Le vendredi 10 février, nous avions un suivi téléphonique avec la Dre Nguyen pour vérifier l’efficacité de la médication. Elle a dû augmenter les doses d’analgésie et mon amoureux a alors réitéré sa demande d’aide médicale à mourir lorsque son corps montrerait des signes de détérioration et que sa qualité de vie serait affectée.

Je dois préciser que, malgré la gravité de sa maladie, mon amoureux restait autonome bien que très fatigué. Il a eu le courage de mettre en ordre, en trois semaines seulement, une quantité de documents pour me faciliter la tâche lors de son éventuel départ.

Il me répétait : « Je ne veux pas souffrir, je ne veux pas mourir en m’éternisant ni en m’étiolant progressivement. »

Nous avions longuement réfléchi à la maladie et à la mort, nos lectures respectives nous y avaient amenés, et ce, bien avant qu’il ne soit atteint. Il n’y avait aucun sujet tabou entre nous. Le plus important est et a toujours été la qualité de vie et la dignité au moment du départ.

Cruellement, ce même vendredi de l’appel téléphonique avec la Dre Nguyen, il a fait un AVC massif en soirée et a sombré rapidement dans l’inconscience.

Les services d’urgences de Deux-Montagnes, où nous habitons, sont intervenus avec une rapidité et une efficacité impressionnantes et je les en remercie.

À notre arrivée à l’hôpital de Saint-Eustache, nous avons réitéré son souhait avant qu’il ne soit inconscient. Il a acquiescé entre deux nausées/vomissements, en présence du personnel à l’accueil. Personne n’en a tenu compte et nous savons tous pourquoi... : ce n’est pas la procédure prévue par la loi !

On nous a offert des soins palliatifs pour le confort et la douleur, c’est tout ce qu’ils pouvaient nous offrir.

L’objectif de tout ce témoignage est de poser les bases d’une situation qui risque de s’imposer à d’autres. Notre famille et moi avons dû assister pendant plusieurs jours à l’horreur de la fin de vie progressive et lente d’un être aimé, bon, apprécié de tous en nous demandant ce qu’il y avait à retenir de cet évènement traumatisant.

Nous essayons tous de trouver un sens à ce malheureux épisode qui nous a échappé et qui, en l’espace d’un mois, nous a laissé très peu de marge de manœuvre pour régler l’essentiel, dont sa volonté ultime. La douleur de nos enfants est indescriptible autant que le désarroi de toute une famille et des amis qu’il chérissait.

Face à l’image imposée par les circonstances d’un corps qui se dévitalise sous nos yeux, qui s’amenuise de jour en jour, de râles en gargouillements lugubres, de pauses respiratoires en pauses de nos propres respirations, nous veillons, attendons, souhaitons une fin libératrice pour lui et pour nous.

Cet écrit ne se veut aucunement une plainte contre qui que ce soit. Notre système de santé fait ce qu’il peut, avec ses forces et ses failles, tout comme les humains que nous sommes.

L’objectif est de témoigner d’une situation inacceptable pour chaque être qui, en toute connaissance de cause, a exprimé son souhait de ne pas la subir mais s’est trouvé coincé dans les mailles d’une loi encore trop mal ficelée, une loi qui peine à se baliser et qui laisse une personne et sa famille aux prises avec une fin cruelle et inutile.

Nous avons occupé une chambre d’hôpital pendant plusieurs jours quand on sait que tant de personnes malades en auraient eu besoin.

Là n’était pas son souhait, pourquoi tant d’incohérences ? Aurait-on pu agir autrement pour valider plus rapidement sa demande ? Ne pourrait-on pas accorder une validité à une demande verbale exprimée en toute lucidité ? Aurait-on pu réaliser un enregistrement avec la Dre Nguyen lors de notre visite à son bureau et un autre enregistrement téléphonique lors de son appel ? Ces pistes de solution pourraient-elles être prises en considération pour éviter que ne se répète une situation semblable à la nôtre ?

Il semble inconcevable qu’une société aussi ouverte et évoluée que celle du Québec puisse permettre en 2023 de tels paradoxes. On se doit d’être lucide, de décider en toute connaissance de cause mais... rapidement !

Mesdames, messieurs, décideurs de tous les milieux concernés par cette loi encore précaire qui empêche l’accès à un souhait formulé clairement, loi qui entrave la dignité des êtres humains, je vous demande d’accélérer vos réflexions et de modifier l’accès à l’aide médicale à mourir pour que plus personne ne se retrouve cruellement prisonnier de son corps s’il ne le souhaite plus !

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