psychologie

Le couple survivra-t-il au virus ?

Deux ans de pandémie plus tard, après avoir été confiné, testé, isolé et reconfiné encore, la question se pose : comment va le couple ? La science tente encore de trouver la réponse. Pour y voir plus clair, notre équipe a interrogé sept spécialistes et quatre couples. Analyses, explications et illustrations.

UN DOSSIER DE SILVIA GALIPEAU, DE VÉRONIQUE LAROCQUE, D’OLIVIA LÉVY, DE LAILA MAALOUF ET DE SYLVAIN SARRAZIN

Le couple dans tous ses états

Insaisissable couple… Depuis deux ans, tout est dit à son sujet : tantôt éprouvé, tantôt ragaillardi par la pandémie. Quel sens a-t-il pris aujourd’hui ? Eh bien, s’il fallait lui choisir un statut matrimonial sur Facebook, ce serait : « c’est compliqué ».

Pour Sophie Bergeron, psychologue à l’Université de Montréal, ceux dotés de meilleures capacités d’adaptation vont mieux, contrairement à ceux qui souffraient davantage de détresse psychologique, sans égard au confinement.

« Pour le moment, je ne conclurais pas que le couple va plus mal. On trouve des choses semblables à ce qu’il y avait pré-COVID-19 : certains couples ne vont pas bien, d’autres vont bien et se sont adaptés. Si on met tout ça ensemble, je ne pense pas qu’on va voir de gros soubresauts en moyenne », dit-elle.

Pour Marie-Pier Vaillancourt-Morel, psychologue et professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), les effets du stress sur une longue durée restent un facteur prépondérant. « Le stress lié à la COVID est très différent d’une personne à l’autre. Il y a eu des séparations, mais aussi des couples qui vont mieux, on voit donc une très grande variabilité dans les réponses, la sexualité, mais aussi le fonctionnement conjugal », éclaire-t-elle.

Cofondatrice d’En duel en duo, la coach conjugale Valérie Sentenne voit seulement défiler les couples en difficulté ; la demande a d’ailleurs explosé. Le cas typique ? « Des couples qui se disent colocs, avec un statu quo, une routine et une déconnexion émotionnelle et physique », illustre-t-elle.

« La crise les a mis face à ce qu’ils n’étaient peut-être pas prêts à voir. Il n’y a plus rien pour les distraire et ils ne peuvent plus faire l’autruche. »

— Valérie Sentenne, coach conjugale et cofondatrice d’En duel en duo

Elle s’attend d’ailleurs, pour ce genre de couple avec enfants, à une vague de séparations postpandémique, beaucoup ayant préféré reporter leur rupture pour ne pas ajouter une couche de stress à leurs jeunes déjà éprouvés.

Auparavant surtout consultée par des couples qui souhaitaient se réconcilier, Mme Sentenne voit désormais défiler plus de cas où la gestion de la séparation est perçue comme un objectif. « lls veulent être accompagnés dans la transition vers un nouveau statut relationnel, comme devenir des coparents, des associés, des amis. » Aussi, elle traite de plus en plus de cas d’ambivalence amoureuse. « C’est comme si le sens du couple redevenait important », souligne-t-elle, précisant que le billet de blogue le plus lu de son site web est celui intitulé « Pourquoi être en couple ? ».

— Avec la collaboration de Silvia Galipeau, de Véronique Larocque, d’Olivia Lévy et de Laila Maalouf, La Presse

Notre démarche

Afin de brosser un portrait précis de la situation du couple après deux ans de pandémie, nos journalistes ont consulté une panoplie d’experts provenant de différents milieux. Voici nos spécialistes.

• Sophie Bergeron, professeure au département de psychologie de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les relations intimes et le bien-être sexuel

• Suzanne Guillet, avocate et médiatrice familiale

• Katherine Péloquin, professeure agrégée au département de psychologie de l’Université de Montréal, chercheuse et directrice du Laboratoire d’étude du couple

• Chiara Piazzesi, professeure au département de sociologie de l’UQAM et chercheuse au Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS)*

• Valérie Sentenne, coach conjugale, cofondatrice d’En duel en duo, et enseignante PNL

• Claudine Thibaudeau, responsable du soutien clinique chez SOS violence conjugale

• Marie-Pier Vaillancourt-Morel, psychologue et professeure adjointe au département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), directrice du Sail Lab (Laboratoire de recherche de la vie sexuelle et intime), titulaire de la chaire de recherche UQTR sur la sexualité des couples et chercheuse au CRIPCAS ainsi qu’au sein de l’Équipe SCOUP-Sexualité et Couple

* Chiara Piazzesi lance ces jours-ci l’enquête « MACLIC – Mapping Contemporary Love and Intimacy Ideals in Canada » (Cartographier les idéaux amoureux et intimes au Canada). Dans ce projet financé par le Conseil de recherches en sciences humaines, on vise à rejoindre 3000 répondants, pour sonder à la fois l’état de leurs relations intimes (comment vont-ils ?) et leurs idéaux (comment devraient-ils aller ?).

Un coup d’accélérateur pour les séparations

Personne n’était préparé à ça. À vivre en confinement, privé de vie sociale, sans école pour les enfants, en télétravail, sans aide et sans répit. Les couples ont été mis à rude épreuve, certains se sont remis en question. Et ceux qui étaient fragiles ont fini par se séparer.

« La pandémie a fait éclater les malaises qui étaient déjà présents au sein des couples, elle n’a pas causé les séparations, mais a donné un vrai coup d’accélérateur. »

— Suzanne Guillet, avocate et médiatrice familiale

La séparation pour ces couples était une question de temps. Beaucoup n’étaient pas heureux et se trouvaient déjà en état de rupture avant la pandémie. Et quand, en confinement, la charge mentale des femmes s’est alourdie, qu’il n’y avait plus de sorties ni d’activités, la pression sur les couples a été parfois insurmontable, surtout pour ceux avec des enfants.

« En 2020, au moment de réorganiser la vie familiale, ce sont essentiellement les femmes qui ont assumé l’augmentation de la charge mentale, un stress supplémentaire sur les couples », estime Chiara Piazzesi, professeure de sociologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Les éléments irritants se sont donc accumulés.

« Le stress, la perte d’un emploi, la maladie, l’insécurité financière, le manque de soutien, l’isolement, ça use les couples, certains n’ont pas survécu. »

— Katherine Péloquin, professeure de psychologie à l’Université de Montréal

Certains partenaires ont vu l’occasion de remettre en question leur vie. « En confinement, certains se sont dit : “La vie est trop courte, ce n’est pas avec cette personne-là que je vais passer le reste de ma vie.” Ou encore : “Il me tombe sur les nerfs, je ne peux plus entendre le bruit qu’il fait en mangeant sa soupe” », indique Suzanne Guillet.

Toutefois, plusieurs spécialistes ont noté une montée de l’empathie entre les anciens conjoints lorsqu’il est temps d’aller en médiation.

« J’ai vu de petits miracles. Il y avait plus de compréhension de la part des partenaires. Les négociations sont plus faciles, l’ambiance est à la collaboration mutuelle, ce qui n’était pas le cas auparavant. On perdait maintenant moins de temps sur des détails, il y avait plus de générosité. Nous étions avant dans un monde de certitudes, et là, tout a volé en éclats, alors les gens sont plus sensibles. »

— Avec la collaboration de Silvia Galipeau, de Laila Maalouf et de Sylvain Sarrazin, La Presse

Qu’en est-il de la violence conjugale ?

En près de 35 ans d’existence, l’organisme SOS violence conjugale a reçu plus d’appels que jamais en 2021. Peut-on conclure qu’en pleine pandémie, les cas de violence conjugale se sont multipliés dans la province ? Pas tout à fait.

Les féminicides présumés qui ont ébranlé le Québec, les publicités gouvernementales dénonçant la violence conjugale, la médiatisation du problème et l’ajout de services chez SOS violence conjugale, comme les textos et le clavardage, sont tous des éléments qui ont pu amener un plus grand nombre de personnes (très majoritairement des femmes) à se tourner vers l’organisme, soutient sa porte-parole Claudine Thibaudeau.

« Ce ne sont pas de nouvelles situations de violence conjugale. La pandémie n’a pas rendu des gens respectueux irrespectueux. […] Cependant, dans des situations où le partenaire avait déjà une certaine emprise […], ça a permis à la violence de devenir plus grave, plus intense. Ça a créé une escalade », indique-t-elle.

— Véronique Larocque, La Presse

Pandémie de sexe ?

Il fallait s’y attendre : stress et intimité ne font pas exactement bon ménage. Non, la majorité des couples n’a pas profité du confinement pour s’éclater sous la couette. Quoique certains ont osé. Et ne devraient pas le regretter.

C’est ce qui ressort d’une enquête dirigée par un chercheur du célèbre Kinsey Institute, de l’Université de l’Indiana, publiée dans le journal Leisure Sciences, au cœur de la toute première vague. Menée auprès de 1559 répondants (dont 70 % en couple), l’étude conclut sans surprise que pour près de la moitié des adultes consultés (43,5 %, tous âges, genres et statuts socioéconomiques confondus), la pandémie a rimé avec déclin de la sexualité.

« Cela confirme ce que plusieurs études ont déjà démontré », analyse Sophie Bergeron, psychologue à l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les relations intimes et le bien-être sexuel. « Trop de familiarité, ça n’est pas bon pour le désir. » Non, être en mou 24 heures sur 24, ça n’entretient pas exactement la flamme. On s’en doutait.

« La routine, c’est quand même l’ennemi du bien-être sexuel pour beaucoup de couples, à long terme. »

— Sophie Bergeron, psychologue et chercheuse en bien-être sexuel

Cela étant dit, un répondant sur cinq a tout de même noté une amélioration de son activité sexuelle, grâce surtout à une diversification des activités explorées. Ici mentionnés : l’inclusion des sextos, de nouvelles positions et l’échange des fantasmes.

« Une personne sur cinq a noté une amélioration de sa vie sexuelle, parce que les activités étaient plus diversifiées, signale la chercheuse. Ce sont des gens qui ont été obligés d’être plus créatifs et de se partager leurs fantasmes. » En un mot : ils ont été obligés de se parler.

Morale ?

« Paradoxalement, trop de familiarité, ce n’est pas bon pour la sexualité, mais plus d’intimité, de partage de vulnérabilité et d’empathie, ça, c’est très bon pour la sexualité ! »

— Sophie Bergeron, psychologue et chercheuse en bien-être sexuel

Même son de cloche de la part de Marie-Pier Vaillancourt-Morel, psychologue à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), titulaire de la chaire de recherche UQTR sur la sexualité des couples. Certes, la pandémie en général, et le stress qui y est associé en particulier, a été un tue-l’amour de taille. « On voit que le stress est une variable clé, dit-elle, associée à une plus faible satisfaction sexuelle, une plus faible satisfaction conjugale et une plus faible fréquence des activités sexuelles dans le couple. » Mais pas pour tous.

« Il y en a qui ont réussi, au contraire, à se retrouver dans la sexualité, ils avaient plus de temps, plus de temps pour le plaisir avec leur partenaire, conclut-elle. Mais ça n’a vraiment pas été le cas pour tout le monde… »

— Avec la collaboration de Véronique Larocque, d’Olivia Lévy, de Laila Maalouf et de Sylvain Sarrazin, La Presse

Les secrets de ceux qui vont bien

Si la pandémie a laissé des cicatrices au cœur de certains couples, d’autres, au contraire, semblent avoir navigué en toute aisance dans les eaux calmes de la bonne entente. Comment y sont-ils parvenus ?

La notion clé, selon Sophie Bergeron, psychologue à l’Université de Montréal, est l’empathie au sein du couple. Une étude menée dans 57 pays sur l’amour en temps de pandémie montre que « quand on se sent compris et validé par son partenaire […] quand on a l’impression que son partenaire est empathique, c’est là qu’on note le moins de diminution de la satisfaction conjugale et relationnelle », souligne-t-elle.

Marie-Pier Vaillancourt-Morel, psychologue et professeure à l’UQTR, abonde dans ce sens : les couples qui « vont avoir plus tendance à se tourner l’un vers l’autre au lieu de s’éloigner l’un de l’autre » dans des situations de stress, justement parce que les personnes peuvent compter sur une réponse empathique de leur partenaire, disposent d’une ressource inestimable.

« [L’empathie], c’est souvent un facteur protecteur. »

— Marie-Pier Vaillancourt-Morel, psychologue et professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)

Et ce, pas seulement en temps de pandémie.

Il ne suffirait donc pas d’avoir les mêmes valeurs et objectifs de vie ; être capable de soutenir l’autre dans les moments où il en a besoin est fondamental, ajoute Katherine Péloquin, professeure de psychologie à l’UDM.

« Le Gottman Institute a suivi plus de 650 couples sur 14 ans. Il en est ressorti que les couples heureux ont des habiletés particulières que les couples malheureux n’ont pas nécessairement, que ça soit de l’intelligence émotionnelle, l’acceptation du partenaire, la responsabilisation, c’est-à-dire de se sentir responsable du bien-être du couple à 100 %, versus le 50-50 », explique la coach conjugale Valérie Sentenne, cofondatrice d’En duel en duo.

« Moments d’arrêt »

Il ne faudrait pas sous-estimer non plus la question cruciale du temps. Les couples qui se sont le mieux portés sont ceux qui ont pu travailler sur eux-mêmes et prendre des « moments d’arrêt ». « Mais pour ça, il fallait avoir de l’air. Une gardienne. Ce sont des gens plus fortunés », précise Sophie Bergeron.

L’absence de stress lié à la COVID-19, comme la peur de tomber malade ou l’insécurité financière, a aussi contribué à ce bien-être conjugal. Tout autant que le fait de ne pas avoir à jongler avec les contrecoups des fermetures de garderie et d’école, dans le cas des couples sans enfant, avance Marie-Pier Vaillancourt-Morel.

D’autres ont aussi apprécié le fait de pouvoir se retrouver et passer du temps ensemble, sans la famille extérieure et les proches, ajoute-t-elle.

« Pour certains couples, je pense que oui, ils vont ressortir plus solides. Comme après une épreuve. Ils ont été capables de faire équipe », estime Sophie Bergeron.

— Avec la collaboration de Silvia Galipeau, de Véronique Larocque, d’Olivia Lévy et de Sylvain Sarrazin, La Presse

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