Dans le ventre du Dakar
Arabie saoudite — Si le rallye Dakar est peu suivi en Amérique du Nord, c’est une tout autre histoire en Europe, en Afrique, en Amérique du Sud et au Moyen-Orient. Dans ces régions du monde qui ont vu la caravane passer et où le terrain est favorable à la pratique de ce type de sport, l’évènement est inscrit au chapitre des fiertés nationales. Les médias en assurent une large couverture et pour les participants, prendre le départ est la réalisation d’un rêve qui a été nourri depuis l’enfance.
Bienvenue dans les entrailles de cette bête qui depuis 44 ans s’impose en maître sur tous les sols qu’elle investit et qui demeure indomptable… même pour les plus aguerris. Pros ou amateurs prennent le départ, mais à peine la moitié franchiront le dernier fil d’arrivée. D’une édition à l’autre, les surprises sont au rendez-vous. Pannes, accidents, erreurs de navigation, tout peut arriver. Même de voir les derniers finir les premiers.
Le 1er janvier 2022, 551 véhicules ont quitté Jeddah en Arabie saoudite, hôte de l’épreuve pour la troisième année consécutive, pour un parcours total de 8404 km dont la moitié est consacrée à la course. Dunes et cailloux seront au rendez-vous.
Tout le monde peut s’engager sur le rallye fondé par Thierry Sabine et aujourd’hui dirigé par David Castera. Il suffit d’avoir 18 ans et de posséder une licence de la Fédération internationale de l’automobile (FIA) ou de la Fédération internationale de motocyclisme (FIM), une formalité administrative qui ne repose sur aucune compétence. Il faut toutefois savoir que le Dakar demeure le plus dur rallye au monde. Un entraînement au pilotage et à la navigation s’impose.
Les concurrents s’entendent pour dire que les deux rôles sont d’importance égale. Si le pilote doit gérer les limites de vitesse, les autres véhicules et les défis du terrain, la navigation requiert de suivre plusieurs outils en simultané, notamment le compas et le road book qui indique la direction à suivre, les repères visuels, les obstacles. Autant d’informations à annoncer au pilote au fur et à mesure. L’enjeu étant de réaliser la distance en le moins de temps possible, il importe de suivre le cap, d’éviter les casses et de ne pas s’enliser.
Après chaque étape, les véhicules rentrent au bivouac, là où leurs mécaniciens mettront des heures à les rafistoler. Les coureurs peuvent aussi compter sur leurs mécanos pendant les liaisons, mais cette aide leur est interdite sur la spéciale, la portion chronométrée de l’étape.
Pilote et copilote doivent donc savoir prodiguer les premiers soins à leur machine, et d’autant plus à l’étape marathon, où ils sont sans assistance pendant 48 heures.
Les motards de la catégorie « Original by Motul » doivent quant à eux être complètement autonomes. Une malle de pièces et d’outils leur est fournie et il leur revient d’entretenir leur monture jour après jour. Certains auront rarement le temps de se doucher.
Traditionnellement, on trouve sur le Dakar des autos, des motos, des quads, des camions. Récemment, de nouvelles catégories se sont ajoutées, dont les « side by side » et les prototypes légers.
Apparus sur le rallye il y a quatre ans, ces petits buggies rendent l’inscription plus accessible en matière de défi technique et de frais. Mais il ne faut pas se leurrer, une participation dans cette catégorie représente 15 000 euros (environ 21 000 $ CAN), en plus du véhicule, son équipement, l’assistance, le déplacement et l’entraînement.
L’entreprise allemande South Racing offre des forfaits clés en main de l’initiation jusqu’à l’inscription à des courses. Il faut prévoir un budget de 15 000 euros pour la formation et entre 60 000 et 72 000 euros pour un engagement sur un rallye. Sous cette prise en charge, le Dakar requiert quant à lui un investissement de 250 000 euros.
L’édition 2022 du rallye est marquée par l’apparition des véhicules hybrides signés Audi conduits par les ténors Carlos Sainz, qui compte 14 participations au Dakar, et Stéphane Peterhansel, qui y détient le record de victoires avec 14 premières places, dont 8 en auto et 6 à moto. Leur Audi RS Q e-tron ouvre la voie à la catégorie « T1 Ultimate » qui gagnera en importance d’année en année. D’ici 2026, par l’entremise du projet « Dakar futur », tous les pros devront rouler à bord de véhicules à basse consommation. En 2030, le plan prévoit que la règle s’appliquera à toutes les autos.
Tous les coureurs suivent le même parcours, hormis ceux qui sont inscrits dans la « Classic ». Intégrée l’an dernier, cette catégorie invite les amateurs de voitures vintage sur un tracé en marge du rallye officiel. Y sont admises les autos d’avant 2000. Ce clin d’œil au passé se veut un hommage aux pionniers, certains véhicules qui ont connu les Dakar d’antan. Cette catégorie a son propre parcours, ses propres règles. Il s’agit d’une course de régularité qui requiert de respecter des limites de vitesse à la seconde près d’un point à l’autre. La distance parcourue est un peu moins longue et le terrain, moins casse-gueule. Pour sa deuxième édition, la « Classic » compte 142 équipages, ce qui représente le plus important contingent, et c’est là qu’on trouve la plus grande représentation féminine. L’engagement est plus abordable que pour les autres catégories auto et certaines équipes vivent l’expérience sans assistance.
Les meneurs qui se disputent la victoire usent de stratégies allant jusqu’à faire alliance pour bloquer des véhicules, et ce, jusqu’aux limites du règlement. Les grandes écuries qui ont l’habitude des réclamations sont conseillées par leurs avocats en cours de route. Il y a beaucoup d’argent en jeu, non pas pour le titre qui n’a aucune valeur financière, mais pour les retombées générées. Derrière les coureurs, l’ambiance est à la camaraderie. Il n’est pas rare de voir une équipe s’arrêter pour dépanner un véhicule pris. Dans ce cas, seul le temps du véhicule assisté sera considéré, le temps requis au bon Samaritain ne sera pas comptabilisé.
Le règlement est aussi strict que complexe. Les leaders sont susceptibles d’être vérifiés à tout moment. On s’assure entre autres qu’il n’y a pas de cellulaire dans le véhicule, d’ailleurs ces appareils ont été mis sous scellés au moment des vérifications.
En cas de mise hors course, si le véhicule le permet, le concurrent pourra demeurer sur l’épreuve hors classement. Il fut une époque où un départ pris en retard impliquait une mise hors course instantanée et un renvoi automatique. Le Dakar a gagné en bienveillance au cours des années.