Résumé du chapitre précédent

Roger Panneton et Antoine Meursault se sont connus à l’adolescence. Une relation trouble : c’est pour acquitter une dette envers Meursault que le futur inspecteur des Homicides avait mis le feu à une maison abandonnée, un geste lourd de conséquences...

Un homme détestable Notre polar estival

Chapitre 12 : Les vidanges

Vincent de Léon conduisait une Honda Civic pour l’unique raison qu’on ne pouvait plus se procurer de voitures soviétiques. Sa japonaise poussive semblait néanmoins revenue du Tadjikistan. Panneton ne tarda pas à la repérer dans ce parking chauve comme son patron.

Le policier entra et serra la main du journaliste. Il remarqua sur la banquette arrière quatre sacs de poubelles verts entassés, où s’empilaient des articles de sport, un grille-pain et des livres, parmi lesquels Panneton repéra Que Faire ? le classique de Lénine.

– Ma blonde avait peur que je manque de linge, dit de Léon.

Panneton ne le trouvait pas drôle. Il prenait un risque en venant le voir. En cas de fuite dans les médias, le service de police menaçait de passer au polygraphe tous les enquêteurs. « Y est mieux de me donner de quoi, le pouilleux », pensa l’enquêteur.

Les écrits du reporter laissaient deviner des restes de marxisme et une haine féroce de l’establishment, mais ils avaient les dehors de la rigueur intellectuelle. Même quand ils suintaient d’insinuations malveillantes, ils étaient truffés d’informations précieuses et témoignaient autant de la qualité de ses sources que de son incroyable perspicacité. Comment ces textes subtils et savamment construits pouvaient-ils émaner de cet individu hirsute qui paraissait habiter dans sa voiture, et qu’on aurait cru sorti de la Old Mission Brewery ?

– Écoutez… J’ai des problèmes à la maison, fiez-vous pas à ce que vous voyez… Regardez ça.

Le journaliste tendit un cahier de 25 pages au policier.

Panneton était stupéfait. La première partie du document, superbement organisé, dressait un portrait corporatif détaillé des activités de Meursault. La deuxième détaillait sa vie personnelle : nom, adresse, situation de ses trois ex-femmes, enfants, beaux-parents…

– Ça t’a jamais tenté d’être une police ?

– Mon job, c’est de surveiller le pouvoir. Tous les pouvoirs. Si je collabore avec vous, c’est juste parce qu’on a une cible commune. Je serai jamais une police.

– Pourquoi tu me donnes ça ?

– Parce que je vais avoir besoin de vous quand je pourrai plus avancer. Moi, je peux pas faire des perquisitions… Je veux que vous ayez confiance.

– Pis tu lis quoi, là-dedans ?

– Je lis plein de fausses pistes. La première, c’est la religion. Si Meursault a été tué cinq fois, c’est juste pour cacher le mobile. Ses femmes, il les a inondées d’argent. Comme elles l’ont aussi marié pour l’argent, y a pas trop de problème. La crucifixion, le texte biblique… Bullshit. La société secrète, c’est ben beau, mais comme toutes les sociétés secrètes, le seul but c’est de se partager le fric entre initiés, à l’abri du peuple…

– Finalement, y a juste l’argent dans tes théories ?

– Lénine disait que le jour où on pendra les capitalistes, ils vont trouver le moyen de nous vendre les cordes…

– Ça me dit pas qui l’a pendu, ton capitaliste, ça, le smatte…

Le téléphone de de Léon vibra mais Panneton pensa que c’était le sien et le prit dans ses mains juste assez longtemps pour lire : « Après tout ce que j’ai fait pour toi… Ostie d’égoïste ! »

Panneton, gêné, remit l’objet au journaliste, lui serra la main et quitta sans regret ce véhicule insalubre pour regagner le Chevrolet Caprice du service de police.

Demain 

Nathalie Petrowski : D’un pont à l’autre…

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