Opinion Santé et lobbysme

Le tout-puissant médicament

L’être humain est l’une des rares espèces, sinon la seule, à avoir une conscience obsessionnelle de la mort qui approche. D’ailleurs, certains évolutionnistes pensent que c’est à force de chercher des moyens de retarder notre date de péremption que nous avons considérablement développé nos capacités cognitives. En plus de la médecine et de l’hygiène, nous avons inventé une panoplie de technologies pour faire un pied de nez aux éléments hostiles de la nature qui abrégeaient l’espérance de vie de nos ancêtres lointains.

Bien avant les compagnies pharmaceutiques et leurs molécules de longévité, les religions canalisaient cette anxiété existentielle en proposant une vie éternelle en échange de l’adhésion à un dogme. Or, quand on croit qu’ici-bas n’est qu’un simple tremplin vers quelque chose de plus agréable et durable, être redevable et généreux avec les agents-facilitateurs devient automatique. Semer la peur pour récolter le pouvoir est une constante immuable de l’humanité. Pour s’en convaincre, retournons en cette année 1000 qui devait marquer la fin du monde selon le livre de l’apocalypse.

Certains historiens du XIXe siècle pensent que la frayeur apocalyptique de ce tournant du premier millénaire était une manigance cléricale pour inciter les fidèles épouvantés, dont les riches seigneurs, à donner davantage aux monastères pour sauver leur âme. D’autres, au contraire, pensent que cette grande angoisse existentielle de l’an 1000 a été largement exagérée et travestie par des penseurs anticléricaux de la Renaissance et des Lumières qui voulaient ternir l’image de l’Église.

Malgré ces avis bien partagés, je ne peux m’empêcher de penser qu’en ces années 2000, certains laboratoires pharmaceutiques semblent s’inspirer des méthodes qui avaient fait la force de l’Église médiévale pour promouvoir leurs armes « repousse-mort ». Pour mieux se remplir les poches, ils misent aussi sur d’effrayantes prédictions apocalyptiques. Pensons à tous les milliards engrangés par cette industrie avec la fausse pandémie de grippe A (H1N1). On annonçait alors l’arrivée d’un virus aussi effrayant que les sauterelles à tête humaine et à queue de scorpion qui peuplaient l’imaginaire des chrétiens de l’an 1000.

Pourtant, bien des spécialistes croient aujourd’hui que l’exagération de cette grippe, qu’on disait foudroyer des jeunes en bonne santé, était probablement le fait du noyautage de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) par le lobby des laboratoires pharmaceutiques. Le célèbre épidémiologiste allemand et ex-président de la commission pour la santé du Conseil de l’Europe, Wolfgang Wodarg a même réclamé une enquête sur ce qui, pour bien des scientifiques, ressemble à une grosse arnaque planétaire bien mijotée.

Comme les années 2000 sont celles du tout-puissant lobby des pharmaceutiques, baptisé Big Pharma, il est plus qu’indispensable de verrouiller solidement les portes qui les séparent des médecins. Une façon de préserver notre système public de santé, qui nous garantit une confiance envers notre médecin traitant. Cette porte étant grande ouverte aux États-Unis, l’humain à traiter s’y sent parfois comme une simple bourse à vider.

La Union of Concerned Scientists (une association qui regroupe des « scientifiques inquiets ») a rapporté qu’entre 2009 et 2011, le lobby américain de la santé a dépensé 700 millions pour ouvrir des portes, ce qui en fait le groupe d’influence le plus puissant économiquement aux États-Unis. De cette somme, 487 millions provenaient de l’industrie pharmaceutique, dont les orientations et les actions sont plus motivées par le profit que par la cause humaine. La preuve, des centaines de médicaments homologués pendant les 25 dernières années, un minuscule pourcentage concerne les maladies tropicales qui font pourtant des millions de victimes par année dans les pays pauvres.

Les médicaments sont-ils plus importants que la qualité de l’éducation, celle de la nourriture et de l’air que nous respirons ? Prévenir est-il moins pertinent que guérir ?

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